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RER D - 9. Sud-Ouest prend le RER en marche

par Daniel Querry,

Dans le Hall des locaux du quotidien régional Sud Ouest trône sur le mur, derrière le comptoir de l’accueil la devise du journal : « les faits sont sacrés, les commentaires sont libres » [1].

Mais comment les « faits » peuvent-ils être « sacrés » quand ils sont ostensiblement déformés par leur présentation et systématiquement contredits par les commentaires ?
Faut-il par ailleurs - sous couvert de référence émouvante à la « liberté » - considérer que les commentaires n’auraient pas à tenir compte de la réalité des faits, et pourraient à loisir réécrire l’histoire, y compris celle rapportée par leur propre journal ?

Lorgnant peut-être sur le statut de quotidien “de référence”, Sud Ouest aura offert à ses lecteurs en l’espace de trois éditions la quintessence de toutes les outrances que l’on aura pu constater ailleurs démontrant une fois encore qu’au mépris de la devise du quotidien, sa direction semble plutôt considérer que « la désinformation est sacrée, et l’autocritique est facultative »...

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Lundi 12 juillet : De la « sobriété » de l’information

Pas de gros titre en « une » pour le quotidien Sud Ouest , mais une mention, tout de même, en première page : « indignation générale », accompagnée de ce commentaire laconique : « condamnation unanime après l’agression à caractère antisémite d’une jeune femme et de son bébé ».

Une sobriété relative qui détone au regard de l’ensemble de la presse, d’autant plus qu’elle tranche avec le contenu qui, lui, ne fait guère montre de distance critique.

Bruno Dive signe ainsi en page deux un éditorial enflammé. Il comporte quelques rares conditionnels (au début...) : « Si les faits survenus vendredi matin dans un RER de la région parisienne sont avérés », « telle qu’elle a été rapportée cette histoire est symptomatique (...) », « l’agression [...] constituerait en soi une première ».

Des précautions démenties cependant par d’autres formules... Conditionnel ou pas, il s’indigne déjà à l’indicatif de cette « violence gratuite » qui « laisse un sentiment d’horreur et de dégoût », et décrète (sans condition) que « le “sursaut” a encore du chemin à faire ».

Ces rares précautions sont également démenties par l’article principal qui retrace à l’indicatif les grandes lignes de cet « acte ignoble et barbare ». La seule mise à distance porte - comme nous avons eu de multiples occasions de nous en rendre compte dans cette affaire - sur un point très précis, à l’exclusion de la quasi-totalité des autres. Ici, cela donne : « Selon les premières déclarations de la jeune femme, quatre seraient d’origine maghrébine et les autres africains. Certains étaient armés de couteaux. ».
Le quotidien rapporte brièvement - angle régional oblige - les propos de Noel Mamère, maire de Bègles puis reproduit sans aucune distance, ceux de Jean-Paul Huchon, évoquant un « acte barbare », une « agression ignoble et inqualifiable, qui s’est déroulée avec des symboles lourds, cheveux coupés comme un scalp et croix gammées ».

Les journalistes utilisent en outre le terme ambigu de « violenté » (qui renvoie tout à la fois à des violences physique et à des violences sexuelles) puis reproduisent le témoignage d’un agent de la RATP emprunté à l’AFP (sans le sourcer) : « Ce n’est pas la première jeune femme agressée et ce ne sera pas la dernière [...] les passagers agressés, c’est sans arrêt. C’est la banlieue ici. »

Sud Ouest enchaîne en rappelant pour conclure l’évidence des « faits » : « Une banlieue où une jeune femme a été durement violentée, vendredi dernier, peu avant 9 h 40, dans le train qui la ramenait chez elle. »

A cela s’ajoute une longue colonne nous rappelant 9 précédents d’agressions depuis deux ans (incluant deux cas dont le caractère antisémite est pour le moins douteux, comme l’agression du rabbin Gabriel Fahri, et l’agression du 4 juin à Epinay-sur-seine - nous y reviendrons).
Cet encadré est repris mot pour mot sur une dépêche AFP (« agressions antisémites : des précédents depuis 2002 », AFP, 12.07.2004). Mais au lieu de garder le titre initial, Sud Ouest choisit - comme Le Figaro - de pimenter l’encadré en surtitrant « agressions en séries », sans doute jugé plus évocateur.

Un autre encadré (« Les actes antisémites et la face cachée de l’Iceberg »), à nouveau emprunté à l’AFP, nous informe sur une « réalité multiforme d’une inquiétante gravité », et rappelle que pour Ariel Goldman, « les manifestations d’antisémitisme “font désormais partie du quotidien” ».

Ce n’est pas tout...

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Lundi 12 juillet : De l’« élévation » des commentaires »

Alors que l’article principal, - reprenant là encore, mot pour mot, une dépêche de l’AFP (11.07.2004, 17h58) - rapportent que « La jeune femme n’a pas pu préciser si, à l’heure où elle a été agressée, d’autres voyageurs étaient dans le wagon et s’il y avait des passagers à l’étage », Bruno Dive, dans son éditorial, préfère une autre version [les passages surlignés en gras le sont pas nous] :
« [l’agression] est intervenue au lendemain d’un discours de Jacques Chirac contre le racisme et l’oubli, pour un « sursaut » des Français. Certains passagers du RER D, qui partaient à leur travail, pouvaient donc lire des extraits de ce discours dans leur journal et assister en même temps à un “fait divers” qui en était la sinistre illustration. Ils n’ont pas bougé pour autant. Une femme et son bébé pourraient donc se faire agresser, parce que juifs, à 9 heures du matin dans un transport collectif, sous les yeux d’autres passagers tétanisés ou préférant détourner le regard. Le “sursaut” a encore du chemin à faire. » [2]

Bruno Dive n’en reste d’ailleurs pas là, car pour lui le principal problème est que « le discours par ailleurs remarquable de Jacques Chirac n’est pas entendu par ceux auxquels il s’adressait en priorité. »
Mais de qui s’agit-il ? Vous l’avez probablement deviné, il n’est « pas entendu car inaudible pour des jeunes souvent issus de l’immigration, enfermés dans des ghettos (même s’il leur arrive d’en sortir pour prendre les transports en commun), pour lesquels l’histoire récente de notre pays n’évoque rien. (...) »

Sans aucun scrupule, Bruno Dive impute à l’ensemble DES « jeunes souvent issus de l’immigration » le comportement révoltant (et, en l’occurrence, imaginaire...) des prétendus agresseurs du RER.

Ne reculant devant aucune outrance, Bruno Dive décrit les « jeunes souvent issus de l’immigration » comme « (...) Des jeunes pour lesquels la Shoah n’est même pas un « détail » de la Seconde Guerre mondiale, qui ne voient les juifs qu’à travers le prisme du conflit israélo-palestinien ou le cliché du « nouveau riche » des beaux quartiers. »[Souligné par nous]. Par conséquent, ils seraient plus dangereux que Le Pen, qui lui, au moins, avait “concédé” que la Shoah était un « détail » de la dernière guerre mondiale ?
Et l’éditorialiste conclut ainsi sa diatribe : « Toute la limite de l’exercice chiraquien est là : l’antisémitisme ne vient plus tellement de la France profonde ou des centres-villes, mais des banlieues et de certaines populations immigrées qui ne se sentent pas concernées par la repentance et les beaux discours [...] Pour les agresseurs, l’opération “Nuit et Brouillard” ne signifie sans doute rien. Eux se contentent de créer des petits matins blêmes sur une ligne de banlieue ».
« Certaines population immigrées » ne feraient donc pas partie de la France profonde ? On comprend alors tout le mépris qu’elles inspirent à Bruno Drive et qui transpire dans ses propos...
Et qu’importe que l’essentiel des banlieues françaises soient sans histoires. Qu’importe aussi que l’immigration désigne un mouvement et non un état, et que ce terme soit parfaitement impropre à désigner des individus résidant sur le sol français. Qu’importe enfin que l’essentiel des personnes visées soient françaises (et qu’une partie d’entre elles, étant née en France, n’ait jamais immigré...).
C’est sans aucun scrupule ni aucune pudeur que Bruno Dive marche, à coup de fantasmes nauséabonds, d’inculture crasse et d’amalgames grossiers sur les traces de Jean-Marie Le Pen.

On le voit, l’absence presque complète de conditionnel ou du moindre recul par rapport à la réalité supposée des faits, comme les propos outrancier de l’éditorialiste démentent l’idée d’une prudence légitime, ou d’une exceptionnelle conscience professionnelle.

Comment expliquer, alors, que le quotidien n’ait pas comme les autres placé ce fait divers en une ?

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Lundi 12 juillet : Raffarin contre le RER ?

Une explication probable de cette prudence surprenante est sans doute plus vraisemblablement la présence de Jean-Pierre Raffarin dans la région.
Le premier ministre est venu visiter la base aérienne de Cazaux, et les usines Dassault, en compagnie du pdg, Serge Dassault [3].. Il accorde pour l’occasion un « entretien » au journal Sud Ouest. Il y rappelle qu’il se « [rend] souvent en Aquitaine », sa « “grande région” d’origine », que l’aéronautique est « l’un des secteurs clé de la France », et que Cazaux en est en « maillon clé ». Il « s’explique » en outre sur divers sujets politiques.
Tant de compliments et de démagogie ne pouvaient laisser indifférent les patrons de presse locaux. Du reste, on sait que les journaux régionaux sont toujours ravis de pouvoir mettre en vedette des personnalités d’envergure nationale, ce qu’il perçoivent comme une valorisation de leur entreprise [4].
C’est donc Jean-Pierre Raffarin qui occupe l’essentiel de la « une », et constitue, le 12 juillet, en pages 2 et 3 du quotidien Sud-Ouest, « le fait du jour », reléguant l’affaire du RER D en page sept..

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Mardi 13 juillet : « Le monde du silence »

Sud Ouest nous offre ce jour-là une démonstration exemplaire de l’importance de la mise en page et du travail dévolu au secrétariat de rédaction, ainsi que de la distance qu’il peut y avoir entre l’effort d’information des journalistes et les options éditoriales de leur direction.

Cette fois, l’affaire constitue le fait du jour, et occupe pratiquement l’intégralité des pages 2 et 3 (à l’exception de la photo du jour et du sommaire)

L’article central relate (en gros titre) « la prudence des enquêteurs », qui admettent ne pas avoir « de témoins directs de faits », mais expliquent que « tout est mis en œuvre pour essayer de corroborer les déclarations de la victime ». L’article rétabli en outre le conditionnel pour rapporter les « déclarations » de la « victime ».

L’éditorial et trois encadrés cernent cet article. Le premier livre les « conseils d’un policier » nous expliquant « Que faire lorsqu’on est témoin d’une agression ? », un autre nous compte l’histoire d’une personne « frappée après avoir défendue une passante », un troisième nous propose une courte interview du sociologue Patrick Baudry sur les rapports entre les individus, la société et la violence.

La « une » indique qu’« aucun témoin ne s’est manifesté ». Mais alors que c’est désormais une source de doute pour les enquêteurs - et pour la plupart des autres journaux, comme pour l’article central du jour - Sud Ouest opte pour la version qui l’arrange : les témoins existent et puisqu’ils existent, c’est qu’ils ne veulent pas parler. Le quotidien titre donc en très gros caractères sur «  Le monde du silence  ».
Et le texte de présentation enfonce le clou : si « bien des questions se posent après l’agression à caractère antisémite du RER parisien », elles consistent non pas à se demander si le témoignage de la jeune femme est digne de foi, mais « pourquoi le silence, voire l’indifférence, pendant comme après ces actes de violence, sont-ils si souvent constatés ».
Une fois de plus on donne l’impression d’avoir atteint un degré d’indifférence extrême, qui relève pourtant du plus pur fantasme.

L’éditorial époustouflant de Bruno Dive, intitulé « Chape de plomb sur un train de banlieue », confirme le choix tranché de la direction.

Comme la veille, le commentaire ne fait pas dans la finesse... Dive se paie le luxe de nous affirmer que même si « l’émotion reste vive après l’acte monstrueux du RER D », « il faut pourtant essayer de l’analyser aussi sereinement que possible ».

Puis il entame son analyse “sereine” : « Avant l’agression antijuive, c’est la violence ordinaire des trains de banlieue qui ressurgit. Avec sa lâcheté. Celle des agresseurs, qui s’en prennent à une femme et à son bébé ; celle des autres voyageurs, qui évitent d’intervenir. Avec sa terrible routine, que soulignent les témoignages accablants de passagers, blasés ou désabusés, que n’indigne même plus le spectacle d’un homme traîné à terre pour se faire voler son téléphone mobile. » [souligné par nous]

Devant ce constat dramatique - tel qu’il le présente - Bruno Dive laisse éclater son dépit. «  On se croirait revenus avant le 21 avril 2002. C’est comme si Nicolas Sarkozy n’avait jamais été ministre de l’Intérieur. Les statistiques de la délinquance ont peut-être reculé ; force est de constater que la violence perdure, progresse même dans la sauvagerie, que ses auteurs ne connaissent plus de limites... » [C’est nous qui soulignons]
La preuve ? cet « acte antisémite, au moins “par procuration”, puisque la jeune femme n’était juive que dans le regard haineux de ses agresseurs (...) » Et c’est le retour du spectre néonazi... « (...) Ressurgissent alors ces images d’un autre temps, ces SA du « Dictateur » de Chaplin, ces SS du « Pianiste » à Varsovie, s’en prenant aux plus faibles et aux plus innocents avec un total sentiment d’impunité, quand les passants courbent le dos, détournent le regard ou continuent leur chemin. » [C’est nous qui soulignons]
Voici qui appuie lourdement, une fois encore, l’idéologie sécuritaire et ses fantasmes d’explosion perpétuelle de la violence (toujours présentée comme désormais sans limite) et d’impunité des criminels.

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Mardi 13 juillet : Le monde des fantasmes

Bruno Dive marque également son soutien à la ligne éditoriale du jour (s’il n’a pas lui-même participé à sa définition...), en choisissant de s’indigner du « terrible silence des témoins »
Un silence qu’il attribue à la « peur des représailles » et à la « honte d’un moment d’impuissance ou de lâcheté. », pour conclure sentencieusement qu’il s’agit du « silence de la mort, car une démocratie est bien fragile quand des citoyens ordinaires tremblent devant une poignée de jeunes sauvageons. » [la partie que nous surlignons ici en gras est mise en exergue dans l’article en gros caractères].

Dans cet état d’esprit, l’encadré expliquant que faire en cas d’agression et l’anecdote d’une bordelaise frappée pour être intervenu dans une altercation ont évidemment pour effet orienter l’interprétation de l’absence de témoins vers leur silence et non vers leur inexistence pure et simple.

Patrick Baudry sociologue, est-il interrogé ? La « titraille » de ses propos en infléchissent le sens ... conformément à l’orientation choisie par le quotidien.

Patrick Baudry tente de répondre au cas de figure tel qu’on le lui présente (« Comment expliquez-vous qu’apparemment personne [...] n’est bougé (...) »), et relève qu’il « reste anormal d’assister à une telle scène sans bouger. » De quoi s’interroger...
Mais surtout Patrick Baudry affirme sans ambiguïté qu’il ne partage pas « l’opinion selon laquelle la société est de plus en plus violente », et que « la logique répressive est une solution de court terme. ». Avant de préciser ceci : « Il faut travailler en profondeur autour de la notion de tolérance, de respect de soi. Il convient de se poser des questions sur la culture de l’héroïsme meurtrier, donner d’autres modèles d’identification que celui de la personnalité toute-puissante qui se permet de faire n’importe quoi. C’est quand on n’a aucun pouvoir dans la société que l’on cède à ce modèle. Il y a aussi des logiques de spectacle qu’il faut interroger. [...] Le formatage des danses sur le modèle de la Star Ac’ ou l’importance donnée au body-building. Avec le corps, on peut aussi apprendre autre chose. La relation à l’autre, ce n’est pas d’être vissé dans son propre corps. »
Des propos discutables, mais parfaitement explicites. Enfin, Patrick Baudry estime que les actes de violences « sont révélateurs d’énormes questions qui n’ont pas été posées aux institutions. Tant qu’elles ne l’auront pas été, on risque d’aller de pis en pis »

Que retient Sud Ouest de tout cela ? Exclusivement ce qui semble conforter l’orientation du quotidien. L’entretien est donc surtitré « Passivité », avec cette précision : « Pour Patrick Baudry, sociologue et anthropologue bordelais notre société manque d’une culture de l’intervention ».
Exit les questions posées aux institutions, exit l’anormalité d’une telle passivité. Quant aux propos sur la violence et la critique de la logique répressive...

On comprend alors comment la présentation (titre, surtitre, chapô, citation en exergue...) d’un entretien ou d’un article (une présentation qui ne dépend pas toujours de l’auteur), le thème des encadrés qui les accompagnent ainsi que les choix de mise en page peuvent orienter fortement l’impression d’ensemble et l’interprétation que le lecteur sera spontanément porté à adopter sur l’actualité qui lui est rapportée.

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Mercredi 14 juillet : L’autocritique selon Sud Ouest

Le mardi après-midi, la nouvelle tombe : Marie L. a menti.

Sud Ouest applique alors sa méthode habituelle (la même que celle employée, par exemple, quelques mois auparavant lors des attentats de Madrid) : profil bas, autocritique subliminale, puis diversion par d’autres sujets.

Dès le mercredi, le fait du jour, en pages un et deux, est ainsi occupé par un problème existentiel qui devient soudain urgent et essentiel : « Les jours fériés ont-ils de l’avenir ? ». Les journalistes n’ont cependant pas poussé le culot jusqu’à lui réserver le gros titre de « Une », qui est réservé au RER. Difficile de faire moins. Mais le compte rendu de l’affaire du RER est à nouveau repoussé en page sept.

Alors que la « Une » annonce théâtralement qu’« Elle avait tout inventé », centrant l’annonce sous l’angle du mensonge (et non de la faute professionnelle commise par les médias, qui est pourtant bien plus grave), en page intérieures, un article très factuel (« Une affabulation inexpliquée »), nous raconte les retournements... de l’enquête policière.

Puis un encadré intitulé « quand la machine s’emballe », nous remet en mémoire « plusieurs affaires [qui] ont connu un rapide emballement médiatique et politique favorisé par l’actualité ».
Toujours les mêmes thèmes. Tout ici est à nouveau dans le titre et le chapô de l’article. Le terme de “machine” qui connaît un dysfonctionnement ponctuel, le partage de la responsabilité entre les médias et les politiques, et enfin « l’actualité » (variante plus fine du « contexte » et du « climat ») qui, c’est bien connu, s’impose aux journalistes qui ne font que la suivre.

Enfin, une colonne complète le dispositif, en reproduisant certaines réactions syndicales et associatives. Une fois encore, elles ne sont pas choisies au hasard.

Les déclarations du Mrap se contentent d’accusations vagues (en tout les cas dans ce qui est rapporté par les journalistes de Sud Ouest...) contre « quantité de responsables » ou contre « les propos irresponsables » tenus par « des personnes » qui ont alimenté les « tensions intercommunautaires ».
Même chose pour l’Association nationale des élus de banlieue qui estime que « le travail des politiques et des associatifs de banlieue se retrouve terni par une femme mythomane ainsi que certains responsables politiques prompts à salir l’image de la banlieue » [c’est nous qui soulignons]

Nous avons également droit à l’incontournable Roger Cukierman, président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui est évidemment « désolé qu’on ait trompé toute l’opinion publique avec cette histoire », et déplore que « beaucoup d’informations aient circulé sans vérification ».
« On » a trompé, « on » n’a pas vérifié. Difficile de faire plus creux. Et Cuckierman de souligner que cela « n’enlève rien aux agressions (antisémites) par centaines de ces derniers temps », et que « le fait que l’opinion publique puisse recevoir aussi facilement des informations aussi excessives montre que la violence et l’intolérance font partie de l’air du temps ».

Quant au Syndicat national des officiers de police, il dénonce - conjointement - la « surmédiatisation » et la « politisation » de l’affaire, ajoutant que la « surmédiatisation a été aidée par les déclarations de certains responsables syndicaux qui veulent se faire de la publicité et finissent par dire n’importe quoi ».

Aucune déclaration mettant réellement en cause le traitement médiatique, toujours noyé dans un grand flou indistinct, justifié (par la réalité, le comportement des syndicats...) ou délesté des responsabilités les plus lourdes au profit des politiques.

Et Bruno Dive, me direz vous ? Eh bien, figurez vous que l’éditorialiste « choc » ressent soudain le besoin de nos entretenir de toute urgence des « Juges européens au secours de Sarkozy », ce qui, avouez-le, est tout de même un peu plus important que de présenter des excuses à ses lecteurs pour son comportement indigne.
Le jour suivant, il estimera également plus essentiel de nous expliquer que « Jacques Chirac tente de reprendre la main ». Le surlendemain, c’est « Le triple échec de Chirac » (qui n’a pas réussi à « reprendre la main »...) qui retiendra toute son attention.
Et le samedi, pour finir la semaine il éprouvera l’irrépressible envie de nous donner son avis sur la guéguerre politique entre Chirac et Sarkozy.

Les lecteurs de Sud Ouest seraient en droit d’attendre des excuses, mais aussi des explications sérieuses et une réflexion critique.

Ils attendent toujours...

Daniel Querry

 
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Notes

[1« Cette devise, adoptée par le journal, est une citation du journaliste, éditeur et politicien anglais Charles Prestwich Scott (1846-1932). De 1872 à 1929, il fut éditeur du Manchester Guardian, dont il devint le propriétaire en 1907 », nous précise le site du quotidien.

[2Certes, on pourra (on peut toujours...) objecter que la phrase comporte un conditionnel. Mais au milieu de tant d’affirmations et de propos commentant déjà les faits avec autant d’assurance, cette “précaution” - qui ressemble plus d’ailleurs à un effet purement stylistique - est tout simplement dérisoire.

[3Visite importante, puisqu’elle s’inscrit dans le cadre de négociations qui devraient prochainement aboutir à la signature d’un contrat de 3 milliards d’euros pour l’achat par l’Etat aux entreprises Dassault de 59 avions de combat Rafale (Le Monde, 29.07.2004). Une commande particulièrement opportune pour Dassault Aviation, qui a enregistré en 2003 une baisse de 5,4 % de son bénéfice net consolidé...

[4La surmédiatisation outrancière d’Alain Juppé par Sud Ouest et France 3, lors de la campagne des municipales de 1994 pour la mairie de Bordeaux, en offrait précisément un excellent exemple. Elle fut parfaitement mise en exergue par le documentaire Juppé, forcément, de Pierre Carles (CP-production, 1995). On y voyait, entre autre, Patrick Labarrière, rédacteur en chef de France 3 aquitaine, expliquer que « la présence de Juppé, pour un grand quotidien régional, c’est une chance fantastique » car « ça donne une image, ça donne une présence, ça donne une force ». Michèle Faure, autre journaliste de la chaîne, ajoutait « on est en région, il n’y a pas une quantité industrielle d’évènements ».

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