Rupert Murdoch, « l’homme le plus dangereux du monde » selon Ted Turner, fondateur de CNN et à ce titre longtemps rival du magnat australo-américain des médias, n’a fait qu’étendre son empire depuis deux ans. Mais bien sûr, si les plus grands politiques aux yeux de Murdoch sont Ronald Reagan et madame Thatcher, si ses chaînes américaines (dont Fox News, devenue la plus suivie des chaînes d’information continue) constituent d’indéfectibles soutiens aux conservateurs pro-Bush, ce n’est pas à ses options politiques que Turner s’en prend, mais aux ambitions dévorantes de ses entreprises.
Premier opérateur mondial de télévision payante, présent sur tous les continents sauf l’Afrique avec environ 130 millions d’abonnés dans le monde, resté à l’écart des engouements de ses concurrents à l’époque de la bulle Internet, il accumule les rapports positifs devant son conseil d’administration et ses actionnaires : la croissance des bénéfices de l’exercice 2002-2003 est supérieure à 20%. La prospérité du groupe est fondée sur les réseaux TV payants, sur la puissance de ses chaînes américaines, et (pour le moment) sur ses activités cinéma.
Pourtant la cotation en bourse ne suit pas la progression des résultats. Une réorganisation est en cours avec la décision prise par le Conseil d’administration, le 11 août 2004, de transférer le siège de Sidney à New York et de se rallier au droit des sociétés américaines. Logique : les trois quarts des résultats enregistrés proviennent du marché américain, la principale cotation est à la bourse de New York - et Murdoch est citoyen américain depuis 1985, date à laquelle il a acheté la firme cinématographique Fox (règle de citoyenneté obligatoire à l’époque).
Les grands secteurs d’activité restent
- la télévision, dont la croissance aux Etats-Unis est spectaculaire (achat de l’opérateur-satellite DirecTV, développement du réseau Fox Television avec, fin 2003, 34 stations possédées et 151 affiliées), et progression en Amérique latine, en Europe et en Asie
- le cinéma : production des studios Fox et distribution des films dans le monde (en France via UFD, société commune avec le français UGC)
- la presse : News Corp reste au Royaume Uni le leader de la presse de caniveau, où le groupe détient quatre imprimeries, et procède à une réorganisation de son autre bastion, l’Australie (reprise des parts de la famille Murdoch, majoritaires, dans Queensland Press par News Corp)
- le livre, avec Harper Collins et ses 38 filiales et départements spécialisés, dont 12 dans le livre pour enfants et le secteur éducatif
L’évolution de l’empire télévisuel :
Le groupe s’est considérablement étendu en 2003 avec le rachat de DirecTV, opérateur de télévision par satellite comptant 11,3 millions d’abonnés aux Etats-Unis. La deuxième société U.S. de télévision payante a donc été acquise par Murdoch au terme de trois années d’efforts auprès d’une filiale de la General Electric. Pour montrer sa bonne volonté aux autorités anti-concurrentielles qui ont retenu son dossier d’acquisition pendant une année, il a cédé PanAmSat, une filiale de DirecTV (d’ailleurs très endettée). Mais il a veillé à conserver DirecTV LatinAmerica qui renforce sa présence notamment au Mexique. Ses ambitions sont très affirmées en Amérique du Sud, en pays lusophone (36% de Sky Brasil aux cotés de Globo) comme en pays hispanophone, où une réorganisation est en cours dans les filiales couvrant le Mexique, la zone caraïbe et les pays considérés comme solvables. En février 2004 un rapprochement a été officialisé entre News Corp et le conglomérat vénézuélien Cisneros, qui détient 14% de DirecTV LatinAmerica (et, entre autres, la chaîne Venevisión).
L’ironie de l’histoire, s’agissant du contrôle de la concurrence, est que les autorités américaines, surveillant la répartition des parts de marché national, ont encouragé l’évolution monopoliste en Amérique latine.
La filiale asiatique Star Group s’est implantée dans de nouveaux pays et couvre de vastes territoires, du Pakistan au Japon. Des adaptations aux nombreuses langues locales (notamment en Inde) accompagnent la diffusion des programmes produits ou acquis par la maison-mère, et s’il faut sacrifier quelques programmes pour ne pas mécontenter les dirigeants politiques locaux, pas de problème - déjà Murdoch avait supprimé BBC News de son offre pour pouvoir pénétrer la Chine continentale.
En Europe, News Corp est présent d’abord au Royaume-Uni avec BskyB (11 millions d’abonnés). Pour contrer la concurrence de la télévision numérique terrestre lancée en sous le nom de Freeview, BskyB offre aux abonnés le décodeur et son bouquet comprend 118 chaînes TV et 81 radios (au lieu de 30 chaînes gratuites et 21 radios dans le bouquet Freeview).
Sur le continent européen c’est en Italie que Murdoch a fait la plus forte progression. Profitant de la déroute de Vivendi et de Canal plus, il a pu acheter dans de bonnes conditions la chaîne payante Telepiù, dont la fusion avec sa propre chaîne Stream a donné naissance en juillet 2003 à Sky Italia (2,3 millions d’abonnés). Il y a donc nouveau partage du marché des télévisions commerciales, entre les chaînes payantes de Murdoch et les chaînes hertziennes de Mediaset-Berlusconi - et un petit strapontin pour un troisième larron. En effet, sur injonction de Bruxelles, Murdoch a dû céder deux chaînes hertziennes italiennes. L’acheteur est un proche, Tarak Ben Ammar [1], financier actif en Tunisie, Italie, France et Pays-Bas, déjà en affaires auparavant avec Murdoch ainsi qu’avec Berlusconi ; Ben Ammar crée un réseau numérique dans lequel TF1 prend 49%, et lance avec lui une chaîne sportive, Sport Italia.
Les autres secteurs :
Enfin, à la périphérie de ses entreprises de presse et de télévision, News Corp a créé des radios sur les marchés dits « émergents » (Hongrie, Pologne, Roumanie) - en attendant mieux. En Australie la maison de disques Mushroom Records et en Californie l’équipe sportive professionnelle Los Angelès Dodgers ont été vendues en 2003 . Enfin, le français Thomson a cédé à NDS, filiale de News Corp, sa société Mediahighway, spécialiste des plates-formes numériques et de la gestion des chaînes payantes, dont une partie est constituée de l’ancien Canal Plus Technologies.
Daniel Sauvaget