Il s’est passé beaucoup de choses depuis l’éviction (été 2002) de Jean-Marie Messier, le PDG de la fameuse convergence des médias et de la mondialisation du tout-numérique - considéré comme le responsable d’un endettement fabuleux et de la chute brutale des valeurs en bourse - accompagnée d’une chute des activités audiovisuelles (crise de Canal Plus), des investissements dans les nouvelles technologies (échec de Vizzavi, etc.), et bien sûr d’une perte d’image dans les médias, et, peut-être aussi, de déboires judiciaires (information en cours)...
Aujourd’hui Vivendi-Universal a beaucoup perdu à l’international et n’est présent de manière significative que dans 3 secteurs d’activité :
- la téléphonie (Cegetel-SFR), qui représente probablement 45% de ses ressources
- l’industrie musicale (Universal Music Group)
- la télévision (groupe Canal Plus)
S’y ajoutent des activités dans l’édition de jeux vidéo (VU Games), une participation de 20% dans Veolia Environnement (ex-Vivendi Environnement, ex-Générale des Eaux), et - peut-être à titre purement temporaire, 20% de la nouvelle société NBCU (National Broadcasting Company Universal), issue de la vente de son secteur cinéma et audiovisuel américain à NBC, filiale de la toute puissante General Electric.
I. Le démembrement de l’empire Messier
Le groupe détient encore quelques filiales et participations considérées comme très secondaires, qui sont bien souvent des actifs qui n’ont pas trouvé acheteur, par exemple dans le cinéma et le sport professionnel. Dans l’urgence des échéances financières, il a bien fallu parfois se résoudre à brader quelques entreprises : ainsi, en juillet 2004, les prestigieux studios de cinéma et de télévision de Babelsberg (à Berlin) ont été cédés pour 1 euro symbolique à un groupe d’investisseurs allemands : il s’agit, selon les termes de J.-R. Fourtou l’actuel PDG, « d’éliminer des foyers de perte » - et pour cela Vivendi n’hésite pas à prendre à sa charge les 18 millions d’euros de dette des studios.
Les principales cessions intervenues après la débâcle financière ont porté sur :
1° Vivendi Universal Entertainment (VUE), c’est-à-dire les entreprises Universal de production cinématographique, de production et de diffusion télévisuelle, de vidéo, les salles de cinéma, le catalogue de programmes audiovisuels et les parcs d’attraction (septembre 2003). Seul le département musical du groupe américain racheté par Messier en 2000 a été conservé avec son appellation Universal ;
2° Vivendi Universal Publishing (VUP), secteur éditorial, N° 2 en France après Hachette-Lagardère. On sait que l’arbitrage des autorités européennes a imposé la scission du groupe, rebaptisé Editis, qui est revenu après diverses péripéties au fonds Wendel-Investissements à 60% et à Hachette pour 40% [1] : à Lagardère Larousse, Dalloz, Dunod, l’espagnol Anaya - à Wendel-Seillière Nathan, Bordas, Plon, Perrin, Julliard, La Découverte, 10/18, Fleuve Noir...
Parmi les cessions, nombreuses, quelques unes sont révélatrices des bouleversements imposés par les circonstances et des nouvelles stratégies :
- la moitié des parts détenues par la maison-mère dans Vivendi-Environnement dès décembre 2002 ;
- dans le secteur d’Internet : vente des 50% de Vivendi dans Vizzavi (né en juin 2000, le jour même où la fusion de Vivendi-Universal était officialisée) cédés à son partenaire Vodafone, cession de ses parts dans AOL-France, vente ou liquidation des sites musicaux, vente d’Allo-Ciné ;
- vente de L’Express-L’Expansion et de L’Etudiant à la Socpresse et de la Comareg à France-Antilles ;
- vente de l’éditeur américain Houghton Mifflin à des fonds d’investissements - avec une moins-value de 500 millions d’euros [c’est pour acheter Houghton Mifflin que Vivendi s’était séparé de sa presse médicale, scientifique et professionnelle héritée de Havas (Medi-Media, Tests, L’Usine Nouvelle, Le Moniteur, etc.] ;
- vente de ses intérêts dans le téléphone en Hongrie, Pologne, Monaco malgré le renforcement de la présence du groupe dans le secteur ;
- vente de nombreuses filiales de Canal Plus (cf. ci-dessous).
II. Les principales activités du groupe :
1° Groupe Canal Plus
Le groupe est détenu à 100% - la chaîne proprement dite à 49%. Le vieux rêve de la constitution d’un grand groupe audiovisuel européen a disparu en même temps que celui, plus récent, de la conquête des marchés mondiaux avec un partenaire américain. Canal Plus s’est retiré d’Eurochannel (diffusion de programmes en Amérique Latine), se désengage ou s’est déjà désengagé de Belgique, Pologne, Scandinavie, Espagne, Italie - parfois pour le plus grand profit de ses concurrents : en Italie c’est Murdoch/News Corp qui a racheté Telepiú (pour fusionner avec Stream et donner naissance à Sky Italia). La filiale Technologies (décodeurs, etc.) a été cédée à Thomson, qui en a revendu l’essentiel à Murdoch.
Le groupe a vendu plusieurs filiales de production de programmes audiovisuels, spécialisés dans le film d’animation, les jeux, la téléréalité, le télé-achat. De même Canal Plus a lâché sa principale filiale de distribution et d’exploitation cinématographique, Bac-Majestic, en décrépitude totale [2].
Il cherche à vendre Numéricable, filiale à 100% opérateur du câble (21 % des foyers français desservis) et fournisseur d’accès Internet [3]. Si sa filiale (commune avec RTL) de droits de retransmission sportive a été vendue en juin 2004, aucun acheteur ne s’est précipité sur l’équipe de foot-ball professionnel Paris Saint-Germain.
Le siège social, à Paris, a été vendu, et plus de 400 emplois ont été supprimés en 2003. Toutefois Canal Plus, qui tend à retrouver l’équilibre financier (les comptes seraient redevenus positifs pour la première fois depuis 1996), reste très actif dans la télévision et le cinéma, la vidéo, l’exploitation des produits dérivés. Les conventions passées avec les professionnels du cinéma (financement de la production française, modalités de diffusion) ont été reconduites en 2004. Les filiales Canal Satellite et Studio Canal ont été préservées, de même que ses positions dans les chaînes thématiques du câble et du satellite : filiales i-tele (chaîne d’information continue), Sport+, Demain, et part majoritaire, face à Lagardère, dans Multithématiques (Canal Jimmy, Planète, Ciné-Cinéma, Seasons)
2° Universal Music Group (détenu à 92%)
L’actuel Universal-disques est le produit de nombreuses fusions et acquisitions bien antérieures au rachat par Vivendi : c’est l’histoire de Decca, de Music Corporation of America et de Seagram, anciens propriétaires d’Universal - Seagram ayant notamment, peu avant la fusion avec Vivendi, racheté Polygram à Philips...
Universal Music, c’est pour le public A&M, Barclay, Decca, Deutsche Grammophon, Philips, Polydor, Fontana, Island, Chess, Motown, Impulse, Mercury, Verve, Geffen, etc. Récemment le groupe a racheté Trema, la marque de Michel Sardou, au moment même où il était en procès avec sa star Johnny Halliday.
Universal Music reste un des deux grands du disque au niveau mondial, mais a décidé fin 2003 de supprimer 1350 emplois.
A la tête de la lutte contre le piratage, seul facteur, selon ses dirigeants, de la crise du marché du CD, Vivendi-Universal n’éprouve plus aucun enthousiasme pour Internet. MP3.com a été liquidé, et e-music (vente en ligne) a été cédé.
3° Téléphonie
Cegetel et sa filiale SFR constituent une véritable pompe à phynances pour le groupe. C’est la raison pour laquelle la nouvelle direction s’est battue pour conserver l’avantage sur son principal partenaire dans la structure, le britannique Vodafone. Ce dernier s’étant porté acquéreur des parts détenues dans Cegetel par British Telecom, Vivendi a fait jouer son droit de préemption. Au prix de douloureuses négociations avec les banques, un nouvel emprunt a été souscrit, permettant de neutraliser Vodafone et de devenir majoritaire dans Cegetel.
Le groupe a conservé d’autre part des intérêts en Pologne et surtout dans Maroc Telecom, auquel il attribue un fort potentiel.
4° Jeux vidéo
Les performances de VU Games, comme celles de tout éditeur de jeux vidéo, sont très variables, mais la tendance est à la baisse depuis l’été 2003. Constitué à coup d’acquisition, VUG a failli être vendu en 2002, mais après une remontée temporaire des ventes, le chiffre d’affaires est en recul face aux concurrents américains et japonais. VUG a annoncé en juin dernier la suppression de 350 emplois en Amérique du Nord, son marché principal.
III. « De nouvelles ambitions dans les médias »
En 2001-2002, les pertes cumulées s’établissaient à 37 milliards d’euros, et la dette à 35 milliards. Le chiffre d’affaires du nouveau groupe, petit périmètre par rapport à l’ancien a été de 25 milliard en 2003.Le groupe, plus ou moins contraint, a conservé des actifs dispersés, considérés comme non stratégiques, et qui donneront lieu à de nouvelles cessions.
Le PDG se déclare optimiste - il faut bien remonter le moral des actionnaires. Il peut faire état d’une amélioration des comptes, la dette ayant été réduite d’environ les deux tiers. Mais - peut-être désireux de ne pas passer pour un simple syndic de faillite - il n’a pas tardé à renouer avec les discours ambitieux. Dans un entretien de La Tribune (18 mars 2004), il croit dans une « convergence économique très forte entre les télécoms et les médias ». Il juge nécessaire « de générer progressivement un acteur européen dans les médias et l’entertainment qui soit digne de ce nom ».
Et il insiste : « Notre objectif est de devenir un important pôle européen de médias ». En avant pour de nouvelles aventures.
Daniel Sauvaget