Au lendemain de la prise d’otages dans une école, en Ossétie du Nord, Alexandre Adler, s’est exprimé simultanément sur France Culture (le 6 septembre 2004) et dans le Figaro (du 15 septembre 2004). Disposant donc d’une forte audience, Adler en profite, comme toujours, pour divulguer de façon liminale ses positions exhibées comme des vérités.
Dans le Figaro, l’expert commence par un jugement de valeur aussi singulier que ses longues tirades calligraphiées : « Le phénomène le plus surprenant et le plus odieux de la prise d’otages suivie du massacre des enfants en Ossétie, ce n’est pas l’étendue de la sauvagerie manifestée par les islamistes tchétchènes [...] ; ce n’est pas non plus l’impéritie absolue des prétendues forces spéciales russes incapables d’accomplir le moindre sauvetage, dont les chefs n’ont cessé depuis le début de cette guerre de se montrer corrompus et violents, corrompus avec les forts, violents avec les faibles. » Non, qu’y a t il de plus surprenant à tout cela, alors ? « La véritable surprise, et elle est de taille, c’est la révélation de la bassesse, de l’insensibilité et de la traîtrise des peuples de l’Europe de l’Ouest. » [Souligné par nous]
La trahison ou la traîtrise ? Le crime des crimes, pire que tout autre, massacres inclus. Débusquer la trahison ou la traîtrise ? Une fonction d’intellectuel, de préférence maccartiste ou stalinien, et une spécialité d’Alexandre Adler. Qu’on se souvienne de sa trop peu célèbre diatribe sur les « traîtres juifs » : « Au fond, Tariq Ramadan, il n’est ni affreux, ni sympathique. Je suis beaucoup plus choqué par des traîtres juifs comme les Brauman et autres . » [1] [Souligné par nous] Rony Brauman, président de Médecins sans frontières de 1982 à 1994, coupable de n’avoir pas la même opinion qu’Alexandre l’Unique sur le conflit israélo-palestinien, est donc un traître juif, comme les « autres ».
Mais retournons à la prose adlérienne, « Les croassements officiels ou officieux ont donné le sentiment irrespirable que les Européens mettaient en accusation, sous prétexte de Poutine ou de qui que ce soit d’autre, le peuple russe dans son terrible deuil. » « Les Européens » ? La généralisation n’est pas seulement audacieuse, mais proprement aberrante, puisque seulement deux pays (les Pays-Bas et la Pologne) ont osé demander des explications sur la prise d’otages de Beslan. La liberté d’un grand historien-chroniqueur, c’est d’abord la liberté qu’il prend avec les faits.
Généralisation corrigée dans la phrase suivante, mais au prix, d’une nouvelle et inquiétante outrance : « Personne n’aurait pu se permettre l’arrogance insensée du ministre des Affaires étrangères néerlandais, un certain Bot, qui pensait parler au nom de notre pauvre demi-continent. De même qu’ on aurait dû faire taire ces voix polonaises ou baltes qui étaient d’autant plus déplacées qu’elles étaient celles de dociles serviteurs du pouvoir soviétique de naguère aujourd’hui reconvertis dans l’économie de marché et la russophobie de caniveau. » [Souligné par nous]
Mais comment « faire taire ces voix » ? Rassurons immédiatement le lecteur inquiet de cette résurgence brutale du stalinisme passé d’Adler et peu familiarisé avec cette prose : le Grand Expert ne mord pas, il aboie fort... Et, faute de mieux, il lèche un peu : « Poutine n’est certainement pas Satan, il n’est même pas Staline [...] il est tout simplement un peu incompétent, un peu inconséquent, un peu prétentieux » et gémit : « C’est la noblesse de quelques-uns de tendre à la Russie la main de la solidarité à présent qu’une fois de plus nous constatons amèrement qu’elle est à terre. »
Mais surtout il s’enrage : « Heureusement, il y avait encore Jacques Chirac, Gerhard Schröder et Tony Blair pour trouver les mots simples et nécessaires de solidarité avec le peuple russe blessé et de réprobation pour un terrorisme dont la cruauté n’a d’équivalent que celle des nazis . » [Souligné par nous] Des nazis ? « Parfaitement, des nazis , puisque le premier crime impardonnable des forces allemandes entrées sur le territoire soviétique en juin 1941 fut précisément de massacrer le petit millier d’enfants des centres de vacances de la municipalité de Moscou qui tombèrent entre leurs mains en Biélorussie. » [Souligné par nous]
Chez « l’historien » Adler, ce type d’analogie tient lieu de méthode. Adler, en octobre 2001 : Ben Laden, n’es pas seulement l’égal d’Hitler, il en est le successeur : « Hitler estimait que le combat final et apocalyptique opposerait une Allemagne nationale-socialiste ayant digéré la Russie et fini d’exterminer les juifs d’Europe à une Amérique négrifiée et enjuivée, celle-là même qui combat aujourd’hui Ben Laden. » [2] Adler, mars 2004, après la victoire électorale de Zapatéro en Espagne : « Ben Laden vient de remporter une victoire stratégique importante. [...] L’électorat [espagnol] a réagi magnifiquement, il a voté pour la trouille, pour le renoncement, pour Munich. Donc le terrorisme parvient à ses fins, il est justifié puisqu’il obtient des résultats spectaculaires. » [3] [Souligné par nous] Et la boucle est bouclée.
L’expert se reconnaît à ses affirmations péremptoires : « La Russie jouit d’une pleine légitimité juridique lorsqu’elle s’oppose au sécessionnisme tchétchène [...]. » Mais il se reconnaît aussi à sa capacité à justifier n’importe quoi au nom d’un discours de maintien de l’ordre : « Brutale, injuste, illégale et maladroite , la répression russe n’a pourtant d’autre ambition que de ramener le calme dans une province qui est partie intégrante du territoire russe depuis 1860. » [Souligné par nous]
Mais encore : « L’avenir de la Russie se joue en Biélorussie à Kiev, au Kazakhstan, en Extrême-Orient sans doute - il ne se joue pas à long terme dans le maintien artificiel de nationalités barbares du Caucase qui ne sont en réalité pas dignes , comme le prouve quotidiennement leur comportement, de faire partie de la civilisation russe . » [Souligné par nous]
« Nationalités barbares » ? Sans commentaires.
Des propos emportés et agressifs, Adler nous en sert aussi à la radio, le matin sur France Culture. Oui « Culture » ! Avant de publier son article dans Le Figaro, il proposait ainsi ses services : « C’est le premier moyen de faire face à la tragédie que d’analyser. Alors on va analyser un petit peu cette situation... » [4] Une surprenante analyse, qui mène à ces mots : « la Russie doit faire preuve de fermeté militaire, il faudrait envoyer pratiquement toute l’armée russe en Tchétchénie aujourd’hui pour mettre fin à une situation intolérable ».. Subtile suggestion. Le guerrier a parlé.
(A suivre...)
Mathias Reymond