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La précarité à Radio France et à ...« Là bas si j’y suis »

En septembre 2004, alertés par les syndicats sur la précarité à Radio France et sur le conflit qu’elle avait suscité à « La bas si j’y suis » (le non renouvellement du contrat de deux reporters Claire Hauter et Thierry Scharf), nous avions publié les deux tracts correspondants.

Nous avions également publié, successivement la réponse de Daniel Mermet, personnellement mis en cause par le second de ces deux tracts, ainsi que la réponse Claire Hauter et Thierry Scharf, personnellement mis en cause par le texte de Daniel Mermet.

Cinq ans après, il nous a semblé qu’il était temps de regrouper en un seul article, tous ceux que nous avions consacrés à ce conflit. (Acrimed, 21 décembre 2009)

* De la précarité version Radio France à « la précarité version Mermet » (publié le 26 septembre 2004)

En avril 2004, la direction de Radio France confirmait qu’il y avait bien des précaires appelés pudiquement : « intermittents permanents » : 2000 cachetiers pour l ‘ensemble de Radio France dont une majorité ne touche pas d’Assedic.

Pour garder les troupes corvéables et soumises, on alimente la peur et l’individualisme par « le gré à gré » : le salaire à la tête du client, la précarité assurée. Mais ça ne marche pas toujours et les « interpermanents » se rebiffent de plus en plus souvent.

Il est vrai que la lutte des intermittents a révélé tous ces scandales : que sont les cachetiers de cette maison (réalisateurs, comédiens, producteurs...), des fantômes, des OVNIS sans droits ? (Acrimed)

I. La précarité version Radio France :
 « Les cachetiers n’acceptent pas le cachot  » (CGT, avril 2004 – Publication sur le site d’Acrimed : 24 septembre 2004)

Face à la précarité généralisée, la CGT, en avril 2004, publie un tract : « Les cachetiers n’acceptent pas le cachot  ».

On peut y lire ceci :

« Pour le rapport Gourinchas [Rapport sur l’intermittence dans l’audiovisuel public commandé par le Ministre de la Culture], “il est naturel que le motif de leur collaboration s’évanouisse une fois le projet abouti” et ce statut “n’est pas la galère trop souvent décrite”. Ils sont la bonne occasion pour qu’il préconise de « négocier une réorganisation du travail des permanents » par exemple par “l’évolution de certains métiers vers la polyvalence " ! »

Et le tract de la CGT de poursuivre :

« Comme tous à Radio France : pas d’augmentation du point d’indice depuis 8 ans. Mais ce n’est pas tout, pour nous cachetiers, le salaire a diminué !
- Aucune prime annuelle
- Doublement de la cotisation chômage depuis juillet 2002 comme pour tous les intermittents sans aucune compensation !

C’est bien là la preuve qu’il existe des « intermittents maison » à Radio France !

Certes, comme il nous a été répondu, Radio France a également subi cette augmentation, mais son budget n’est pas le nôtre ! Pour celles et ceux qui ont des contrats de grille, la direction parle de gré à gré pour refuser toute mesure collective : mais le gré à gré n’existe plus pour l’immense majorité d’entre nous. Une sorte de barème tacite nous est opposé comme une fatalité, hors toute négociation, pour faire barrage à toute discussion. Pour rattraper un certain niveau de salaire, nombreux sont ceux obligés de multiplier les prestations, interdisant ainsi le métier à de nouveaux talents.

Il semble malgré tout que Radio France trouve encore de nombreux avantages à laisser une partie de ses salariés dans ce no man’s land de l’intermittence ! Aucune négociation en vue, aucun rendez-vous pour les cachetiers : l’indifférence et le mépris pour toute réponse ! On préfère du côté de la direction le bricolage, le cas par cas qui fragilise chacun et nous aliène tous ! Mais nous existons et notre travail n’est pas clandestin lui ! La grille des programmes repose essentiellement sur nous : notre colère face au mur du silence opposé à nos revendications légitimes ne passera pas inaperçue pour les auditeurs. »

Ajoutons à ce diagnostic que la longue grève des journalistes avait mis en lumière la précarité des journalistes pigistes.

II. « La précarité version Mermet » (tract intersyndical [1] - Publication sur le site d’Acrimed : 24 septembre 2004)

« La valse des collaborateurs continue dans l’équipe de Daniel Mermet ! Il y a quelques mois, c’était son assistante, Joëlle Levert, la nième d’une longue série de collaborateurs épuisés, psychologiquement à bout, qui était débarquée[Lire : « Mis en cause pour « harcèlement moral », Daniel Mermet répond ».]]

Aujourd’hui, c’est au tour de Claire Hauter et Thierry Scharf, deux reporters permanents de l’émission, d’être sanctionnés pour cause de « fonctionnarisation » et « manque de rendement » (ou bien pour avoir soutenu Joëlle Levert ?)

Tous deux se sont vu signifier en juin dernier que leur contrat de grille ne serait pas renouvelé à la rentrée.

Pour justifier cette décision, Daniel Mermet leur a tenu un discours digne des patrons les plus brutaux : dorénavant ils seraient payés à la pige ce qui les stimulerait et les ferait travailler plus vite et plus efficacement. Selon lui, en substance, les reporters au contrat s’avachiraient, relâcheraient leurs efforts et prendraient en otage le reste de l’équipe en les démoralisant par leur manque d’ardeur à la tâche. En s’organisant mieux, ils pourraient produire davantage...

Cela n’a pas empêché le même Daniel Mermet de rediffuser à la rentrée dans son émission des reportages de ces deux « fonctionnaires », sans mentionner, bien sûr, le sort qui leur a été réservé !

Claire Hauter et Thierry Scharf ont refusé, comme le droit du travail les y autorise, ce changement de contrat imposé autoritairement alors qu’ils travaillaient depuis plusieurs années pour cette émission exigeante, sans compter leurs heures.

Le comportement de Daniel Mermet est d’autant plus inadmissible, que ce producteur connaît très bien les conséquences désastreuses de la précarité puisqu’il les dénonce, à juste titre, dans ses émissions. Mais il y a visiblement un fossé entre ses dénonciations et ses pratiques.

Pratiques qui profitent largement aux directions de France Inter et de Radio France !

Pour toutes ces raisons, mais surtout pour le respect des salariés et notre lutte sans faille contre la précarité, nous refusons le double jeu de la direction et de Daniel Mermet.

Nous refusons le licenciement de deux collègues qui ne demandent qu’à exercer leur métier !

Et pour un prochain numéro de l’émission, nous proposons un excellent thème de reportage : la précarité à « Là bas si j’y suis ».

Paris, le 22 septembre 2004. »

III. Daniel Mermet répond :
 « Pourquoi tant d’amour ? » (publié sur le site d’Acrimed le 29 septembre 2004)

Rentrant de reportage, je suis à la fois stupéfait et bouleversé de découvrir qu’en mon absence des tracts me mettant violemment en cause ont été affichés dans les ascenseurs de France Inter.

Avec « un discours digne des patrons les plus brutaux », j’aurais en juin dernier, signifié à Thierry Scharf et Claire Hauter, reporters permanents de l’émission, que leur contrat « ne serait pas renouvelé à la rentrée ».
Je n’ai jamais tenu de tels propos et je défie mes accusateurs d’apporter l’ombre d’une preuve. Cette diffamation est indigne.

Je tiens donc à rétablir les faits.

Il est absolument scandaleux et mensonger d’affirmer que j’aurais mis un terme au contrat de Claire Hauter et de Thierry Scharf en juin dernier.

Je n’en ai jamais eu l’intention et je n’en ai pas le pouvoir.

Je n’ai envers les collaborateurs de l’émission qu’un rôle réduit au cadre imposé par France Inter, étant moi-même payé au cachet selon un contrat (CDD) renouvelable, comme d’ailleurs toute l’équipe de l’émission.

A France Inter, un « budget de pige » est affecté à chacune des émissions des programmes. C’est sur ce budget que les collaborateurs occasionnels et les reporters de « Là-bas » ont longtemps été rémunérés au cachet, au gré des prestations.

C’est contre cette situation aléatoire et fragilisante que j’ai bataillé auprès de la direction de France Inter pour obtenir des contrats annuels pour les reporters. Chacun en été témoin et il est tout à fait malveillant aujourd’hui de m’accuser de précariser quiconque !

Depuis trois ans nous fonctionnons de cette manière. Thierry Scharf ayant un contrat d’environ 3 700 Euros mensuel (24 000 Francs) pour fournir la matière de quatre reportages en moyenne par mois. Le contrat de Claire Hauter s’élevant à 2 720 Euros par mois pour fournir trois reportages en moyenne mensuellement.

Fin juin dernier, nous avons ensemble fait le bilan de la saison.
D’abord pour nous féliciter de la qualité des reportages, mais...
mais pas de la quantité. ! Nous étions loin du compte. Sur les dix mois de la saison Thierry Scharf avait fourni environ 25 reportages (au lieu de 40 ) et Claire 23 reportages (au lieu de 30). Encore une fois, j’insiste, ces reportages ont été de très grande qualité mais loin de pouvoir nourrir cet ogre quotidien qui s’appelle « Là-bas », 22 numéros chaque mois, 220 émissions chaque année...

Il ne s’agit pas d’un conflit opposant un gros vilain chef à d’innocentes victimes précarisées, mais tout simplement d’un budget insuffisant. La cause de cette crise est là, et nulle par ailleurs. Et c’est à la direction de France Inter d’y mettre un terme.

En attendant, en juin, j’ai proposé aux reporters :
- Soit de concevoir des reportages moins lourds afin de rester dans l’enveloppe imposée dans le cadre du contrat de grille
- Soit de revenir au rythme des piges en relevant le montant de celle- ci.
Sans aboutir à une conclusion nous avons préparé le déménagement et chacun est parti en vacances.

Jamais je n’ai parlé de « fonctionnarisation » ou « de manque de rendement ». Il est indigne de me prêter de tels propos. Il est mensonger d’affirmer qu’un « changement de contrat a été imposé autoritairement ». Je le répète, nous n’avons pris aucune décision, nous promettant de nous rappeler dans l’été pour faire le point.

A la mi-juillet j’ai appelé Thierry Scharf pour discuter des sujets de la rentrée. D’emblée Thierry m’a annoncé sa décision d’arrêter le reportage radio et de s’orienter vers le documentaire en image. Depuis dix ans, à plusieurs reprises Thierry a quitté « Là-bas » tantôt pour le reportage télé, tantôt pour se lancer dans le documentaire de fiction, Chaque fois il est revenu frapper à la porte de « Là-bas » et la porte lui était ouverte. Aussi pour en avoir le cœur net, je l’ai rappelé quelques jours plus tard. Il m’a confirmé sa décision, sans rancune, il avait fait son choix. Il tentait par ailleurs d’obtenir de la direction de France Inter des piges dans des émissions, des chroniques ou des interventions qui lui laisseraient le temps de s’investir dans la voie fixée.

Quant à Claire, sans aucune nouvelle durant l’été mais comptant sur elle pour septembre, elle m’apprit brièvement cinq jours avant la rentrée, qu’elle ne reprenait pas, venant de s’engager avec xxx [2] sur l’écriture d’un scénario (tiré d’ailleurs d’une émission de « Là-bas »)

C’est donc bien Thierry et Claire qui ont pris la décision eux mêmes de suspendre leur collaboration avec l’émission et non le contraire !

Ces deux départs ont rendu la rentrée difficile. Affectivement d’abord, on s’en doute et professionnellement ensuite. Les bons reporters radio de magazine ne courent pas les rues...

Toute l’équipe de Là-bas a été surprise et indignée par ce tract. Des voix s’élèvent pour dire que ce règlement de compte ne s’attaque pas aux vrais problèmes : la précarité des pigistes permanents et des journalistes des programmes non reconnus et qualifiés de « collaborateurs spécialisés », ainsi que l’insuffisance des budgets qui conduit à un appauvrissement du contenu comme de la forme des émissions. Autant de thèmes pour l’action de tous et de l’action syndicale en particulier.

Le 13 septembre, en partant en reportage, j’étais à mille lieux d’imaginer qu’en mon absence sans la moindre enquête, sans daigner m’interroger, une chasse à courre syndicale allait me prendre pour gibier à partir d’ affabulations rancunières dont les raisons je l’avoue , m’échappent entièrement. Parricide symbolique ? Amours enfouies ? Comment comprendre ces attaques fratricides qui ne font que réjouir le camp des maîtres ?

J’avoue ma très profonde tristesse.

Daniel Mermet

Je suis bien sûr à la disposition de tous pour trouver une issue à cette crise.

IV. Réponse de Claire Hauter et Thierry Scharf à Daniel Mermet :
 « A prendre ou à laisser » (publié sur le site d’Acrimed le 1er octobre 2004)

Au déballage indécent de Daniel Mermet, ses mensonges et ses allégations psychologisantes nous préférons la vérité toute simple.

Fin juin, le jour même de l’émission consacrée au « Grand Bond en arrière », un brillant ouvrage de Serge Halimi dénonçant la précarisation néolibérale, Daniel Mermet nous signifiait brutalement qu’il ne renouvellerait pas nos contrats à la rentrée. Raison invoquée ? Manque de rendement. Il nous faudrait désormais produire plus pour maintenir le même niveau de salaire. Et pourtant, tout le monde sait à France Inter que s’il y a un bureau où la lumière s’éteint rarement, week-ends et soirs compris, c’est bien celui de Là-bas si j’y suis. Pour nous, c’était un choix, une forme d’engagement.

Il nous reprocha aussi de « bloquer l’accès à tous les jeunes qui rêvent de travailler pour l’émission ». L’équipe, disait Daniel Mermet, était en train de « se fonctionnariser ». Le fait de revenir à un paiement à la pige ne pourrait que nous stimuler à travailler plus vite et plus efficacement.

Sa décision était catégorique, c’était « à prendre ou à laisser » et il voulait une réponse rapide.

Il ajouta que nous n’avions qu’à nous en prendre à la direction de France Inter qui lui imposait cette décision. Vérification faite, il s’avéra que la direction n’avait jamais requis ce changement, bien au contraire, puisqu’elle préconisait de faire signer des contrats de grille (sur 10 mois) aux cachetiers réguliers.

A bout d’argument, Daniel Mermet nous lâcha qu’il ne nous pardonnerait jamais de ne pas l’avoir soutenu dans le conflit qui l’opposait à son ex-assistante. En effet Joëlle Levert l’avait accusé de harcèlement moral et nous n’avions pas voulu cautionner le texte d’autodéfense qu’il fit paraître à ce sujet. Tentative d’ailleurs vaine puisqu’il s’y exprimait, comme aujourd’hui, au nom de « toute l’équipe ».

Nous avons refusé l’inacceptable. Comment accepter pour soi ce que l’on condamne à longueur d’émissions ?

Daniel Mermet affirme nous avoir proposé une alternative au retour à la pige en allégeant le contenu des reportages pour augmenter la productivité. Quand on connaît son exigence ça ne tient pas debout. Giv Anquetil, le troisième reporter et Antoine Chao, le réalisateur de l’émission, le savent bien.
Il y a quelques mois, dans sa réponse à Joëlle Levert, Daniel Mermet s’interrogeait déjà : « Mais allez donc mettre de la raison dans une histoire d’amour ! » Aujourd’hui notre licenciement lui inspire cette question : « Pourquoi tant d’amour ? »

Nous nous posons quant à nous la question : pourquoi tant de malhonnêteté ?...

Claire Hauter et Thierry Scharf, le 1er octobre 2004

 
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Notes

[1SNRT-CGT, SNJ-CGT, CFDT, FO, CFTC, SNJ, CGC, SUD de Radio France

[2Il nous a semblé préférable, dans la mesure où cela n’altère pas le sens du texte, de supprimer le nom de la personne concernée, étrangère au conflit (Acrimed).

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