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Leçon de critique littéraire sur un plateau de télévision

par Mathias Reymond,

Les émissions ou les séquences de critiques littéraires (pour lesquelles il n’était pas toujours indispensable d’avoir lu le livre critiqué) sont maintenant remplacées par la « promo » (pour laquelle il est devenu totalement inutile de lire ce dont on parle). Jusqu’au jour où un auteur refuse de « jouer le jeu ».

Mardi 12 octobre 2004, sur France 3 Languedoc Roussillon, Yann Moix (réalisateur du film « Podium » et auteur du roman Partouz) est invité sur le plateau de l’édition régionale du 12/14. Le présentateur (Bertrand Lefebvre), très décontracté, se lance dans une interview d’un auteur qui lui inflige une leçon de critique littéraire (et de prise du pouvoir) en 5 étapes. Mémorable !

1ère étape : Ecouter patiemment

- Présentateur : Bonjour donc à Yann Moix.
- Yann Moix : Bonjour.
- P  : Bienvenue sur le plateau du 12-14, Partouz c’est le dernier roman. Alors, on va bien sûr un petit peu parler de « Podium », puisque les gens vous connaissent un petit peu mieux depuis « Podium »...
[S’ensuit alors une brève discussion sur le film, sur son succès et sur ses suites.]
- P : Parlons du livre alors. [Et sur un ton hésitant] Heu..., Partouz, c’est donc votre nouveau livre paru chez Grasset. Heu... on raconte un petit peu l’histoire. L’histoire est une rencontre, une rencontre avec le narrateur et une jeune fille qui s’appelle Céline, dans un métro parisien, le métro Glaciaire, et cette Céline a une vie sexuelle un petit peu turbulente. Elle fréquente régulièrement les, les clubs échangistes et l’histoire commence là à peu près... Hein ?

2ème étape : Confondre l’interlocuteur

- Y M [étonné au début, puis énervé ensuite] : Enfin, il n’y a aucune personne qui s’appelle Céline dans mon roman.
- P : Ah bon ?
- Y M : Je ne sais pas où vous êtes aller le chercher...
- P [un peu gêné, mais sur le ton de l’humour] : J’étais persuadé... Vous êtes sûr ? [les passages en gras sont soulignés par nous]
- Y M : Non, non...
- P : Comment s’appelle-t-elle alors ?
- Y M : ... comme c’est moi qui l’ai écrit je... elle s’appelle Leila.
- P : Leila, pardon.
- Y M : Oui, je suis à peu près sûr de ce que j’écris.
- P : Ça commence bien.
- Y M : Non, non, mais... ça commencerait mieux si les journalistes lisaient les romans.
- P [sur la défensive] : Mais nous, on peut pas tout lire non plus ...
- Y M : Mais quand vous faites un film, les gens vont voir le film, quand on fait un livre personne ne le lit. Bon, on sait que c’est la règle, donc on s’est habitué. Y a pas de problème.

3ème étape : Inverser les rôles

- P : On peut ne pas en parler. On peut parler d’autres choses aussi.
- Y M : Oui, si vous voulez parlons d’autres choses.
- P : D’accord, bon d’accord. Est-ce que vous êtes allé au cinéma dernièrement ?
- Y M : Oui, je suis allé au cinéma dernièrement.
- P : Qu’est-ce que vous êtes allé voir ?
- Y M : Ça ne vous regarde pas.
- P [Très embêté] : Ah bon d’accord, donc on est pas du tout en communication là ?
- Y M : Non, parce que quand vous recevez un invité, la moindre des choses, c’est de lire son livre.
- P : Oui d’accord, mais c’est vrai qu’on a pas toujours l’occasion de lire tous les livres.
[Discussion simultanée] On est là pour vous rendre service, non ?
- Y M : Vous me demandez si je suis sûr si le personnage s’appelle Céline...
- P [minimisant sa bourde] : Oh, excusez moi, d’accord, OK... [enfin !]

4ème étape : Prendre le pouvoir à l’antenne

- Y M [sans transition, l’auteur présente son livre] : Ce livre est en fait un livre extrêmement personnel...

Et, fait exceptionnel, l’invité s’exprime sans être coupé pendant 1 minute et 40 secondes. Face à un journaliste complètement déficient, il en profite pour résumer l’histoire du roman et exposer son point de vue sur les partouzeurs et sur les terroristes.

- P : Je n’ai peut-être pas lu le livre, mais j’ai lu le dossier qui l’accompagnait. [Exclamation de Yann Moix]. Et il y a pas mal de questions qui m’ont interpellées...

Pas mal ? En fait seulement deux questions très générales, sans doute suggérées par le dossier de presse : « Les femmes, en ce début de siècle, seraient-elles avides de leur seul plaisir ? » et « Les hommes seraient-ils les derniers romantiques ? »

5ème étape : Laisser le dernier (bon) mot au présentateur

Enfin le présentateur conclut cette séquence d’auto-humiliation : « Voilà, j’ai essayé de me faire le porte-parole des téléspectateurs qui n’ont pas lu le livre par définition puisque (vous êtes venu annoncer) [passage difficilement audible] votre venue à Montpellier. »

Le roman, sorti début septembre, n’a pas pu être lu par les téléspectateurs, pourquoi ? « Par définition »... Quelle définition ? On ne le saura pas. Le journal se termine ainsi.

Mathias Reymond

P.S. Critique littéraire à Elle, puis dans l’émission « Rive droite, rive gauche » de Thierry Ardisson sur Paris Première, régulièrement invité sur les plateaux de télévision d’audience nationale (Ardisson, Giesbert, Durand...), Yann Moix, fait preuve ici de bien moins de complaisance face à un « petit journaliste de province » que vis-à-vis des vedettes du showbiz médiatique.

 
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