Thierry Ardisson, un « croque-mort médiatique » ?
Caricaturé régulièrement par les dessinateurs de Charlie Hebdo, Ardisson était aussi régulièrement amoché par le directeur de l’hebdomadaire. Suite à la venue de Thierry Meyssan dans « Tout le monde en parle », Philippe Val s’était, en avril 2002, « enflammé » dans un éditorial rédigé au vitriol [1].
Extrait : « Se préservant avec quelques clins d’œils signifiant qu’il-n’est-pas-tout-à-fait-dupe-mais-quand-même-il-y-a-des-choses-troublantes, Ardisson fait surgir un nouvel élément dans notre réalité : l’effondrement psychique qui consiste à jouir de la transformation perverse d’une chimère en faits. »
Mais que reprochait alors, outre l’invitation de Meyssan, le patron de Charlie à l’animateur-producteur ? Réponse, sans coupures : « Ardisson campe tellement bien le croque-mort médiatique qui accompagne tout effort de réflexion au cimetière, qui rend cadavérique toute pudeur, toute prudence, qui ringardise toute tentative de cerner une vérité vivante, qu’on ne peut éviter de citer en exemple. »
Et Philippe Val de poursuivre : « Je n’irai jamais voir une corrida. Je sais ce que c’est et ça me suffit à m’empêcher de dormir. Je comprends aussi pourquoi le spectacle fascine. Je ne suis pas innocent. Et je comprends aussi pourquoi “Tout le monde en parle” fascine. Pour les mêmes raisons. Sauf que dans les corridas on ne demande pas son avis au taureau, alors que ceux qui vont chez Ardisson choisissent eux-mêmes de mourir dans l’arène. »
Nous laisserons à Philippe Val la responsabilité d’une telle virulence polémique...
Philippe Val, un « clown » sans pyjama ?
Ce samedi 23 octobre 2004, Val a donc décidé de mourir dans l’arène puisque, disait-il en 2002, « Tout écrivain, tout acteur, tout créateur, tout journaliste qui va sur le plateau de “Tout le monde en parle” est mort. Il vend trois cent mille, certes, mais pas pour ce qu’il écrit. Parce qu’il est devenu un clown. »
Philippe Val aurait-il choisi de devenir, un « clown » et de mourir en différé (puisque l’émission est enregistrée) ? Et tout cela dans l’espoir de vendre « à trois cent mille » la compil’ de ses éditos (Bons baisers de Ben Laden), le livre rédigé avec François Cavanna (Les années Charlie 1969/2004), et son nouvel album ?
Lors de son arrivée sur le plateau, Val est apparu tendu. Animosités à l’égard de l’animateur ? Regrets d’une chronique qu’il espère gommée de la mémoire collective ? Qu’importe. Rapidement, le visage s’est apaisé, et l’invité du « croque-mort » lui a concédé quelques sourires, avant de rire aux blagues de Bruno Gaccio, et, pour finir, de révéler, très à l’aise au cours de l’interview « anti-ardiview », ne pas mettre de pyjama avant de se coucher.
Des livres et de l’album en « promo », il fut à peine question, ainsi que Val l’avait prédit quand, en 2002, il laissait penser qu’il ne se rendrait jamais dans une telle émission : « On s’intéressera au bruit qu’ils [les invités] font mais jamais plus on ne s’intéressera à ce qu’ils disent. C’est fascinant. »
Et il est en effet fascinant de constater que, devenu « client » d’Ardisson, le « meilleur éditorialiste de France » (dixit les Inrockuptibles) ne s’inquiète plus de ce péril extrême : qu’on ne s’intéresse plus à ce qu’il dit ; et qu’il accepte la mise à mort de l’intelligence dont il accusait Ardisson, transformé, avec délicatesse, en pâle héritier des phalangistes espagnols.
En effet, en 2002, « Tout le monde en parle » était « une usine à tuer l’intelligence beaucoup plus efficace, amusante et rentable que le grossier slogan de Primo de Rivera, fondateur de la Phalange espagnole : “A mort l’intelligence !” [2] C’étaient les balbutiements du fascisme à l’époque. On croyait encore que la torture faisait taire les génies. C’était primitif. Aujourd’hui, on les fait passer à la télé. On s’en débarrasse en les noyant dans la vulgarité, on ramasse l’argent du spectacle de leur mort, ils s’en vont en disant merci bien poliment afin d’être réinvités au cas où on trouverait rentable de les faire mourir une seconde fois. »
Val, pas déçu, reviendra sans doute. C’est du moins le sort qu’il prédisait aux... génies.
Après coup : Philippe Val s’explique (ajouté le 8 avril 2005)
Dans son éditorial du 30 mars 2005, le « directeur de la publication et de la rédaction » de Charlie Hebdo s’explique : « Ami lecteur, il faut que tu saches que lorsqu’on fait des livres on subit quelques pressions de la part de nos éditeurs ». Les pressions de l’éditeur de Philippe Val se caractérisent par des « Il faut que tu passes chez Ardisson » et des « restaurants (...) de plus en plus chers ». Et Thierry Ardisson est très demandeur. D’ailleurs, précise Val, « pour Bons Baisers de Ben Laden, ça n’a pas manqué. » [3] Val a dit non, puis il a réfléchi : « OK pour passer chez Ardisson, mais à une condition : qu’il vienne témoigner à mon procès contre Meyssan pour dire qu’il regrette de l’avoir fait passer dans son émission. C’est à prendre ou à laisser. » [4] Ardisson a accepté. Et Philippe Val de terminer « Et voilà comment je me suis retrouvé sur le plateau de Tout le monde en parle ».
Conclusion : Val a passé un marché avec Ardisson, ce « croque-mort médiatique ». En substance (traduction d’Acrimed...) : « J’honore de ma présence ton émission, si tu m’honores de tes regrets d’avoir reçu Thierry Meyssan en témoignant au procès que celui-ci m’a intenté ». C’est gagnant-gagnant ?
Remarque : Après avoir été l’invité de l’émission « Charivari » dans laquelle il chronique toutes les semaines (1/10/04), il part enregistrer sur TV5 (le 22/10), fait le « clown » chez Ardisson (23/10), passe la semaine sur France Inter (dans « TTC », tous les jours du 1/11 au 5/11). Toujours dans la maison de Radio France, il va fustiger Acrimed, PLPL et Pierre Carles sur France Culture dans l’émission « Le premier pouvoir » (6/11). Il traîne au « 13 heures » de France 2 (12/11) avant de passer voir Franz Olivier Giesbert et Elisabeth Lévy sur France 3 le 17/11. On le retrouve dans le journal de TSF le 19/11, en direct chez Emmanuel Chain sur M6 (26/11) avant de terminer le mois de novembre dans « Ripostes » sur France 5 (28/11).
Question : combien de marchés ont été passés par Philippe Val durant cette période de marathon promotionnel ?
Mathias Reymond