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BFM, la radio de l’économie : La voix de son maître (CQFD)

En cas d’insomnies, faites attention en zappant sur la bande FM. La bouillie libérale y est si épaisse que l’on distingue à peine le petit grumeau qui nage dedans. Ce bout de propagande en dur, c’est BFM, « la radio de l’économie ».

Au début on ne se méfie pas, on peut même se laisser bercer par la chorale des prêcheurs qui psalmodie en boucle « rentabilité », « parts de marchés », « valeurs boursières », « consommateurs », « grands patrons ». Mais quand l’ex-DRH invité en ce mercredi 13 octobre vous vocifère brusquement dans les oreilles - « Une société d’assistés, ça conduit à quoi ? Ça conduit à l’ex-URSS ou des pays comme ça ! » - là, vous vous réveillez pour de bon.

Pauvre cadre sup’, cible privilégiée de ce matraquage : il se lève sur « Good morning business », noue sa cravate avec « Business expression » et s’attable durant le « 12-14 » animé par Valérie Lescable [1], dont la bande-annonce résume la vision du monde : « Les invités du 12-14, ce sont ceux qui font la une, ce sont les stars, ceux qui font l’économie, ceux qui font la politique, ceux qui font l’international, ceux qui font la société. » Une société idéale, pétillante et totalitaire, où l’humain n’apparaît que vêtu de son trois-pièces de décideur dynamique, et dans lequel il est normal qu’un PDG gagne en un an l’équivalent de quatre siècles et demi de salaire au Smic [2]

Quand, par inadvertance, les journalistes de BFM entendent parler de ces extraterrestres qui ne détiennent aucun portefeuille d’actions, ils s’interrogent : comment peut-on « vivre à Paris avec 2 500 euros ? ». Plus inquiétante encore, cette maladie infectieuse qui a pour nom chômage : « Et ceux qui bullent, ils ne vont pas contaminer ceux qui bossent ? » (Marc Dumas, 13/10/04). Heureusement, la société idéale est bien vaccinée. Le week-end, l’émission « Goût de luxe » lui présente le meilleur importateur de cigares, les villas de rêve dans lesquelles il faut absolument « investir », les bons plans pour acheter une Rollex d’occase, ou bien encore, « après avoir fait la fête, comment malgré tout rester beau ».

C’est en 1992 que cette incitation permanente à la haine (celle des riches pour les pauvres, qui n’est pas passible de poursuites) a débarqué sur les ondes. BFM est la première radio privée d’information en continu à mettre le paquet sur ce que les autres font un peu plus discrètement : la promotion exclusive des possédants et de leurs intérêts. Pendant dix ans, BFM baignera dans l’opulence, comme le confie un ancien pigiste : « Je n’ai jamais bien compris comment une radio si petite avait de tels moyens ». Derrière cette niche croquent une multitude d’actionnaires, dont Dassault, Apax Partners et la Compagnie financière de Rothschild.

Mais en juin 2002, c’est la crise, BFM dépose son bilan. Bizarrement, alors que le syndicalisme est proscrit des locaux exigus de BFM (« hormis quelques maigres lettres de la CGT et autres CFTC timidement accrochées à un mur, l’activité syndicale est presque inexistante »), techniciens et journalistes se mettent en grève pour contester le licenciement des deux-tiers du personnel, alors qu’après tout, la direction ne fait qu’appliquer à la lettre les principes martelés chaque jour à l’antenne. Mais voilà que le sauveur pointe son nez : NextRadio (propriétaire de RMC) apporte 3,5 millions d’euros et prend la boîte en location-gérance. Les licenciements auront lieu quand même. Quant aux coûts de production, ils sont revus à la baisse. Finis les reportages sur le « terrain », dorénavant tout se déroule en studio : on invite, on cause et on passe des coups de fil aux « grands patrons ». Lesquels, en remerciement de leurs pompes bien cirées, exposeront ensuite leur trombine dans des pleines pages de pub pour BFM [3]

Il faut dire qu’ici, on est entre amis. Exemple : « Les grands débats de l’économie » animés par Philippe Manière, rédacteur en chef de la Lettre de l’Expansion, qui badine durant deux heures avec des invités garantis « indépendants ». Tellement indépendants qu’ils paraissent loger au fond du couloir à droite, à côté de la machine à café. L’émission est réalisée avec la collaboration de l’Institut Montaigne, un machin « 100 % indépendant », aux dires de l’animateur, qui en sait quelque chose puisqu’il est l’un des directeurs du machin en question. Quand il n’occupe pas le micro, l’Institut Montaigne pond des rapports à la douzaine pour « lever les multiples obstacles qui freinent l’initiative », comme s’en flatte Claude Bébéar, son président, vieux pote à Chirac et ancien PDG d’Axa.

BFM grésille, l’insomnie s’estompe, on est prêt à quitter le cauchemar économique pour un sommeil agité quand, soudain, un petit chef d’entreprise causant de ses employés nous rappelle qu’« il y a un pourcentage des gens qu’on appelle des rebelles, qui sont des joueurs. Ces gens-là, il faut les stimuler tout le temps et si vous les laissez s’endormir, ils vous font chier, y a pas d’autre mot ».

Martin Seux

Article paru dans le n°17 de CQFD (Novembre 2004)


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 Lire notre article : « CQFD : un journal alternatif aussi par ses pratiques »

 
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Notes

[1Ancienne journaliste aux Echos, à l’Evénement du jeudi et au Nouvel Economiste, elle vient d’accepter le poste de directrice de la rédaction de France Soir.

[2Comme le patron de l’Oréal en 2002. Sur ce thème, consulter l’Observatoire des inégalités.

[3Ce qui n’empêche pas BFM de rester une radio confidentielle, puisqu’elle ne totalisait que 1,1 % d’audience en Ile-de-France (région à plus fort taux de cadres) sur la période avril-mai 2004. Source : Médiamétrie.

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