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« L’AFP, "patron voyou" au Venezuela » (SNJ-CGT)

La direction de l’AFP suspend sine die le bureau de Caracas. Le SNJ-CGT réplique. Nous publions ici, successivement le communiqué de la direction et la réponse syndicale au lock-out patronal. (Acrimed)

I. Communiqué de la Direction sur le bureau de Caracas

Soumise à des contraintes inacceptables de la part d’un syndicat de la presse qui entrave le fonctionnement rédactionnel et met le bureau de Caracas en coupe réglée, l’Agence France Presse n’a d’autre choix, pour sortir d’une impasse coûteuse, que de suspendre temporairement sa représentation au Venezuela.

L’AFP continuera à assurer, dans le respect des engagements envers la clientèle, la couverture texte et photo dans ce pays, par rotation d’envoyés spéciaux hispanophones venant d’Amérique latine. La couverture en français demeure du ressort de Bogotá et de la cellule francophone de Montevideo. La qualité rédactionnelle du service en provenance de Caracas pour les clients Amsud sera donc intégralement maintenue.

Les conditions de travail à Caracas sont régies depuis une dizaine d’années par une convention collective extrêmement contraignante qui pénalise le fonctionnement rédactionnel, empêche toute évolution de la structure et génère des coûts disproportionnés. Les employés bénéficient de conditions particulièrement avantageuses et sont notamment rémunérés avec 16 à 17 mois de salaire par an en fonction de l’ancienneté (dont 2 mois déposés en fidéicommis pour constituer un capital de départ à la retraite).

A travers les dispositions de cette convention, source de conflits sociaux récurrents, le syndicat entend exercer un monopole de fait sur les embauches de l’ensemble des catégories de personnel, les nominations à des postes de responsabilité, les remplacements temporaires, le recrutement de pigistes. Par des directives adressées au personnel, le syndicat prétend contrôler l’organisation de la rédaction. Les rédacteurs observent ainsi une instruction leur enjoignant de ne pas accepter la moindre modification des horaires de travail. Même si l’actualité l’exige, l’entreprise n’est pas en mesure d’adapter les tours de service, sauf à devoir payer des heures supplémentaires et des compléments de salaire le week-end particulièrement onéreux.

L’AFP ne peut tolérer un tel diktat qui nie la liberté d’embauche et menace son indépendance en matière de choix de couverture et de critères de fonctionnement. Des négociations ont été menées pendant près de trois ans avec le syndicat. Des avancées ont été faites par l’AFP en matière salariale, en échange d’une demande d’assouplissement des coercitions imposées par la convention. Les règles communément admises dans l’exercice de la profession de journaliste doivent prévaloir. La couverture de l’actualité ne peut être subordonnée à un chantage permanent à la rémunération supplémentaire.

L’intransigeance du syndicat n’a pas permis d’aboutir à un accord.

L’AFP a été saisie en septembre d’une nouvelle demande de renégociation de la convention collective, notifiée avec effet rétroactif au 1er août 2004.

Les revendications sont totalement inacceptables. Le syndicat demande, entre autres, le paiement de 24 mois de salaire par an, dont 4 mois au titre d’une prime sur les " bénéfices " et 4 mois sous forme d’une prime spéciale équivalent à une surindexation de 20% des salaires de base.

Il exige en outre que tout dimanche ou jour férié travaillé soit désormais rémunéré avec trois journées de salaire supplémentaires, six journées si le dimanche correspond à un férié.

L’AFP ne peut accepter des prétentions aussi démesurées, au moment où elle est engagée dans un processus de rétablissement de ses équilibres financiers.

La Direction déplore la situation de blocage ainsi imposée par les exigences exorbitantes du syndicat, dans un contexte juridique local déjà particulièrement défavorable à l’entreprise. Elle constate l’impossibilité de faire fonctionner ce bureau dans le cadre de relations de travail propres à une entreprise de presse.

Elle décide en conséquence la suspension sine die de la représentation de l’AFP au Venezuela et met un terme à l’application de la convention collective. Les indemnités de licenciement du personnel seront versées conformément à la loi et aux bonifications prévues par la convention.

La Direction
Paris, le 7 décembre 2004

II. « L’AFP "patron voyou" au Venezuela » (SNJ-CGT)

L’annonce de la décision du PDG de lockouter le bureau de Caracas frappe en premier par la violence du ton employé, véritablement haineux vis-à-vis des salariés locaux du bureau, et par un argumentaire, appuyé sur des mensonges, pour « justifier » une décision brutale, lourde de conséquences pour la couverture de l’AFP en Amérique Latine.

Le Comité d’entreprise n’a été ni informé, ni consulté, sur cette décision de fermer un bureau de l’Agence. Le PDG s’est contenté d’une annonce lors de la conférence de rédaction du matin mardi, suivie d’un communiqué de la direction mis sur les fils en fin de journée qui présente de manière spécieuse les conditions de rémunération des salariés du bureau.

Le droit social en question

Le PDG met en avant que « les règles communément admises dans l’exercice de la profession de journalistes doivent prévaloir ».

Mais un journaliste est avant tout un salarié dont les droits sont garantis par un code du travail et une convention collective. Au Venezuela comme ailleurs. La convention collective, négociée et signée par la direction, il y a une dizaine d’années pour le bureau de Caracas s’inscrit dans ce cadre légal.

L’AFP, comme ses concurrentes, est tenue de respecter la loi du pays dans lequel elle emploie des salariés. C’est le prix à payer pour, comme le prévoit son statut, "assurer l’existence d’un réseau d’établissements lui conférant le caractère d’un organisme d’information à rayonnement mondial".

Et la convention négociée à Caracas s’inscrit dans ce cadre légal, ni plus, ni moins.

Le système, dénoncé par le PDG sur les week-end et les jours fériés notamment, existe aussi chez la concurrence et d’importants journaux vénézuéliens, dont la CGT a obtenu les accords.
Dans la région, des journalistes locaux ont ainsi récemment quitté l’AFP pour EFE qui offrait des conditions plus avantageuses.

La mise en exergue du nombre de mois de salaire versés est spécieuse car au Venezuela la retraite est assurée par ce système. L’équivalent des mois de salaire supplémentaires est versé à un fonds de retraite. C’est une obligation légale qui vaut pour toutes les entreprises du pays. Cela reviendrait en France à comptabiliser dans le salaire versé les cotisations salariales et patronales au titre de la sécu, des retraites complémentaires et à l’assurance longue maladie. Pour mémoire, la totalité des charges patronales en France représentent environ 45% du salaire brut. Et on ne peut citer, comme le fait la direction, le nombre de mois versés sans indiquer le montant du salaire concerné !

A Caracas, le salaire le plus élevé - versé au chef de la rédaction après 26 ans d’ancienneté - culmine à l’équivalent de 1750 euros par mois, dans un pays où l’inflation a fait chuter de manière vertigineuse le pouvoir d’achat des salariés.

Non, à l’AFP ce ne sont pas les journalistes locaux d’Amérique Latine qui touchent des "bonus" faramineux.[Pour comprendre cette allusion, lire : « AFP : Bonus faramineux pour la hiérarchie, colère des salariés » (Acrimed).]

Quant aux heures supplémentaires, elles étaient contractuellement prévues dans la convention acceptée et signée par la direction.

Mais depuis un an et demi, la direction ne respecte plus sa signature. Ce manquement à un engagement pris est à l’origine du conflit dans le bureau. Le ministère du travail a récemment condamné la direction à respecter l’accord et à payer l’arriéré du. C’est visiblement ce qui a déclenché le coup de colère irresponsable du PDG.

Les assertions de la direction sur un hypothétique "contrôle de l’embauche" relèvent du mensonge pur et simple.

Pour Bertrand Eveno, la question ne porte pas tant sur liberté du travail que sur la liberté pour l’employeur de licencier quand bon lui semble. Comme à Mexico, comme à Buenos-Aires...

L’attitude du PDG sur Caracas augure mal des garanties que la direction est prête à accorder dans le cadre de la définition d’un véritable statut régional (droit social, couverture médicale, retraite...) pour les salariés sous statut local. Lors de la première réunion sur ce sujet, la direction a ainsi présenté un projet de contrat de travail qui stipule qu’il peut être dénoncé à tout moment sous la seule réserve d’un préavis de trois mois !

L’ire du PDG sur Caracas est surtout née du fait que le ministère du travail a voulu le contraindre à respecter les accords signés par l’AFP.

Alors que la direction entend faire peser en priorité sur les locaux et les salariés des filiales la rigueur induite par le COM. Comme pour la filiale allemande, l’AFP-GMBH où, par un chantage à l’emploi, la direction a gelé les rémunérations depuis trois ans et aussi supprimé un mois de salaire qui contrairement aux engagements pris, ne sera rétabli que pour moitié en 2005.

La couverture sacrifiée aux humeurs du PDG

Reste posée la question de la présence de l’AFP au Venezuela, 5ème pays producteur de pétrole au monde, membre de l’OPEP, et qui est en ce moment un pays dont l’actualité est plus qu’agitée. Il suffit de regarder le service de l’AFP ces derniers temps pour se rendre compte de son importance sur l’échiquier latino-américain...

Les "solutions" présentées par la direction paraissent irréalistes.

La prétention du PDG de continuer à couvrir ce pays depuis Bogota ou Montevideo fait sourire. Songerait-on à couvrir les événements en Ukraine depuis Paris ou l’actualité de Madrid depuis Rome ? D’autant que la législation locale prévoit des mesures destinées à interdire les lockouts frauduleux qui visent uniquement à licencier des salariés ou réviser à la baisse des accords pour ensuite reprendre une activité à moindres coûts.

La volonté de l’AFP de maintenir une cellule en sous-main, quasi-clandestine, pour assurer le suivi technique des clients, la facturation et les démarches commerciales risque de tomber sous le coup de cette loi. L’AFP pourra-t-elle continuer à commercialiser son service au Venezuela alors qu’elle a officiellement annoncé qu’elle cessait toutes activités ?

Le Venezuela, avec un chiffre d’affaires attendu de près de 400.000 dollars en 2004, est commercialement le 3ème bureau de l’Agence en Amérique Latine.

De même, le projet de "rotation d’envoyés spéciaux" est peu crédible pour couvrir ce pays. Outre les frais de missions (Caracas est aussi cher que Paris) et de transmissions, les journalistes rencontreront d’énormes difficultés pour travailler. Contacts avec les autorités, accréditations sans carte de presse du pays alors que l’AFP n’a plus d’existence légale au Venezuela.

Et si l’AFP veut à terme rouvrir un bureau, la même loi peut l’obliger à reprendre le personnel licencié et à acquitter sa dette avec le paiement des salaires durant la période d’interruption. L’agence a déjà été confrontée à un cas similaire au Brésil.

A moins que le PDG n’envisage une fois de plus d’utiliser cette crise pour une nouvelle délégation de couverture à travers un énième partenariat.

C’est la présence de l’AFP dans la région et, une fois de plus, son statut d’agence mondiale, qui est mis en cause par les humeurs du PDG et la logique d’austérité inscrite dans le COM.

La cessation d’activité sera effective au 1er janvier 2005.

La CGT demande que pour une fois la raison prévale et que la direction reprenne les négociations avec le personnel du bureau de Caracas pour que l’AFP puisse continuer à remplir son rôle dans la région.

CGT journalistes, 8 décembre 2004

 
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