Après le rachat par le Groupe Dassault de la Socpresse (70 titres), 270 journalistes de ces journaux (sur 2748 [1], soit un dixième) ont décidé de quitter leur emploi en faisant jouer la " clause de cession ", rapporte la presse le 15 décembre 2004, reprenant notamment une dépêche AFP du 14 décembre s’appuyant sur des sources syndicales.
La clause de cession est prévue par le Code du travail dans sa partie consacrée aux journalistes.
– L’article L. 761-5 expose les conditions du licenciement des journalistes :
" Si le congédiement provient du fait de l’employeur, une indemnité est due. Elle ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements ; le maximum des mensualités est fixé à quinze.
Une commission arbitrale est obligatoirement saisie pour déterminer l’indemnité due lorsque la durée des services excède quinze années. "
– L’article L. 761-7 (repris par la Convention collective des journalistes) indique :
" Les dispositions de l’article L. 761-5 sont applicables dans le cas où la résiliation du contrat survient par le fait de l’une des personnes employées dans une entreprise de journal ou périodique mentionnée à l’article L. 761-2, lorsque cette résiliation est motivée par l’une des circonstances ci-après :
1 Cession du journal ou du périodique ;
2 Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;
3 Changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour la personne employée, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux. "
C’est cet article qui instaure, sans les nommer, la " clause de cession " (" circonstance " n°1) et la " clause de conscience " (n°3).
L’article L. 761-7 renvoie au L. 761-5. Donc la loi édicte que, en cas de cession de la publication, les journalistes peuvent partir dans les conditions du licenciement.
Or, l’AFP écrit que
" la cession d’une entreprise de presse est l’un des cas d’ouverture de la clause de conscience qui permet au journaliste de démissionner tout en bénéficiant d’avantages importants [2], ce qu’on appelle souvent "clause de cession". "
Ce que reprend Libération (lien périmé) :
" Dès le rachat par l’avionneur, une clause de cession permettant aux détenteurs d’une carte de presse de démissionner en bénéficiant d’avantages importants avait été ouverte. "
Ces textes de loi ne sont pas secrets. N’importe qui - même un journaliste ! - peut aisément en prendre connaissance, et constater que les conditions de la clause de cession sont celles du licenciement.
Nul ne saurait contester à un journaliste de l’AFP ou de Libération le droit de considérer, comme la plupart des patrons de presse, que les conditions de licenciement d’un journaliste (les siennes, donc !), constituent des " avantages importants ". Pour autant, un minimum d’honnêteté exigerait que l’on ne camoufle pas ce qui relève de l’opinion derrière l’apparence de l’information.
Mais un autre passage de la dépêche AFP dénote aussi un tragique manque de rigueur.
" L’industriel Serge Dassault a racheté la Socpresse fin juin. La clause de cession a été ouverte du 30 juin au 30 novembre ".
En réalité, la clause est ouverte de droit dès le changement de propriétaire, et la loi ne prévoit pas de date limite (comme le rappelait le SNJ en juillet). En l’occurrence, la " date limite " du 30 novembre est une " recommandation " issue des discussions entre l’employeur et les syndicats. Mais, légalement, rien n’empêche un journaliste de faire valoir son droit à la clause de cession après cette date.
Et ceux qui restent ? L’indemnité de départ étant proportionnelle à l’ancienneté, " ceux qui ont fait jouer la clause ont pour la plupart entre 55 et 60 ans " (Libération) : la clause de cession se traduit dans les rédactions par une hémorragie d’expérience, de maîtrise, de savoir-faire. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur la " qualité " du travail journalistique.
D’autant que " tous les départs ne seront pas remplacés ", aurait indiqué la direction au cours d’une réunion de suivi le 14 décembre (selon l’AFP, citant FO). La clause de cession prend donc des allures de " plan social " [3], aggravant les conditions de travail dans les rédactions, avec les conséquences prévisibles pour le contenu...