NON MERCI !
A l’issue d’un vote interne, Sud Libé a décidé d’appeler les salarié(e)s du journal à voter contre l’entrée de Rothschild au capital de Libération .
A l’heure du marasme de la presse - pour ce qui nous concerne, baisse des ventes, train constant d’économies, déficit -, le choix de repousser l’arrivée de 20 millions d’euros au capital du journal n’est évidemment pas facile, mais il est par certains côtés moins aventuriste et suicidaire qu’un vote favorable à l’entrée de Rothschild.
On sait dorénavant à quoi devraient servir et ne pas servir ces fonds.
Cet argent ne règlera pas un centime de la dette bancaire du journal - on nous dit que c’est normal, les banquiers semblent d’un autre avis. Un nouvel emprunt est d’ailleurs prévu.
Cet argent ne permettra aucune revalorisation salariale. La direction l’a promis : le train d’austérité continuera - on peut même penser qu’il prendra de l’ampleur compte tenu des objectifs de rentabilité avancés par Rothschild.
Cet argent devrait être investi par contre dans le projet d’une baisse du prix de vente - à l’appui d’études encore inexistantes. Mais aussi dans un redéploiement de la formule et le basculement des cahiers spéciaux le samedi, vaguement testée lors de la dernière étude de lectorat, et ce malgré le rejet de l’équipe. Cet argent est donc la mise du prochain pari de la direction.
Mais il s’agit d’un vrai-faux pari et peut être même d’un leurre, puisque la direction promet à Rothschild une montée supplémentaire et gratuite au capital jusqu’à 49%, en avalisant des cliquets de rentabilité inatteignables qu’il a lui même fixés. Pour l’équipe, l’échec est donc programmé.
Le futur pacte proposé au vote a le mérite de la clarté. Il indique la nouvelle règle qui risque de peser sur la gouvernance du journal. Il donne surtout à terme les clés de Libération à un banquier qui n’a, jusqu’à aujourd’hui, jamais eu la moindre expérience de presse. Méconnaissance contrebalancée par l’expertise de l’ex-garde rapprochée de Jean-Marie Messier (Touraine, Hanezo). Ce pacte cède un nouveau pan de la presse et de l’édition au monde de l’opacité et de la concentration financière.
On ne saura rien des arrière-plans politiques de l’opération. Serge July veut nous amuser lorsqu’il raconte qu’il a consulté Gogol (Google) à ce sujet. Il n’y a rien trouvé... Cette légèreté frise l’indécence, quand on sait que la seule garantie accordée par Rothschild concerne le maintien de sa position personnelle dans l’entreprise jusqu’en 2012. Nous pouvons l’informer qu’Edouard de Rothschild a déjà financé, à droite, des campagnes électorales.
Restent les faits. L’arrogance avec laquelle Edouard de Rothschild a rejeté toutes les objections du conseil de surveillance donne raison sur un point à la direction : il n’y a jamais eu de négociation. Seuils de rentabilité non modifiables, représentation du CS au comité de développement seulement symbolique, refus de s’engager à ne pas reprendre, en sus, les actions 3i. Le seul « geste » visant à « prêter » une partie des droits de vote à la SCPL pour maintenir une minorité de blocage virtuelle émane des actionnaires actuels.
L’argent est sur la table. Il faudrait ne pas s’interroger. Comme au bonneteau. Rapidement. Sans discussion. Prendre l’argent ? Le prendre, en tous cas, c’est accepter de perdre un certain nombre de choses : l’indépendance - en image à l’extérieur, et dans les faits dans l’entreprise -, une possibilité d’infléchir les choix qui nous a, pour beaucoup - fait venir à Libération, et la poursuite d’une aventure rédactionnelle collective. Accepter aussi, au passage, qu’aucune clause de cession ou de conscience ne soit ouverte pour ceux qui le souhaiteraient.
Sauf mensonge éhonté de la direction, le journal n’est pas au bord du dépôt de bilan. A preuve, la direction a présenté, fin décembre, un budget prévisionnel 2005 - hors schéma Rothschild - affichant des pertes de fin d’année à hauteur de... 800.000 euros. Lors de sa présentation au CE, il a été précisé que ces chiffres supposent le report, envisagé, de l’échéance de remboursement bancaire de 2005 (2 millions d’euros) et l’émission d’un emprunt obligataire (6millions d’euros). Si les pessimistes préconisent un vote Rothschild, ils devront donc aussi mettre en doute le budget prévisionnel de la direction. Faire contre les mensonges de la direction, le choix de la direction.
Edouard de Rothschild n’a rien voulu discuter, ni élaborer avec nous. Il a défini ainsi clairement la future place qu’il laisserait aux salariés, une fois vice-président de Libération. Nous avons des solutions à trouver - en interne et à l’extérieur - mais c’est avec de vrais partenaires autour de notre identité. La relance de Libération passe par notre remobilisation.
SUD Libération
Note d’Acrimed : La CGT Libération a également appelé à voter non, estimant que « la direction veut céder Libération en viager pour 20 millions d’euros à Edouard de Rothschild, bradant les intérêts des salariés actionnaires dont les parts tomberaient de 36,4% à 15,4% du capital d’ici à 2012 »