Un décompte montre qu’entre 1987 et 2003 Finkielkraut a signé, généralement seul et, plus rarement, avec d’autres auteurs, 81 articles, dont 61 parus dans le Monde, 11 dans Libération, 5 dans le Figaro, 2 dans le Point, 1 dans La Croix et 1 dans L’Express [1]. Ces articles, pour la plupart des points de vue de l’auteur, mais aussi des appels, des pétitions ou des témoignages, abordent des thèmes aussi redondants qu’éloignés les uns des autres. Moins prolifique qu’Alexandre Adler (au moins 388 tribunes de 1992 à 2004), Finkielkraut pense sur tout, vite et (presque) partout.
Inventaire (références dans les notes) :
- Sur le progressisme et la « pensée de gauche » [2] ;
- Sur les changements au sein de l’école, autour du thème : « tout fout le camp ! » [3] ;
- Sur les conflits dans l’ex-Yougoslavie et la guerre du Kosovo [4] ;
- Sur le conflit israélo-palestinien [5] ;
- Sur la laïcité [6] ;
- Sur le cinéma [7].
Etc.
Pour le pire et sans savoir
Au fil de ces innombrables interventions, Alain Finkielkraut « dérape » avec constance.
Relevons d’abord les deux tribunes de 1995 consacrées au cinéma. Elles offrent un bel échantillon de la méthode d’investigation (forcément philosophique) de Finkielkraut. Dans la première, intitulée « L’imposture Kusturica » [8], écrite suite à la remise de la Palme d’Or du Festival de Cannes à « Underground » d’Emir Kusturica, notre cinéphile se livre à une critique agressive qui présente le film comme un instrument de propagande au service des serbes : « Il [le jury de Cannes] a honoré un illustrateur servile et tape-à-l’œil de clichés criminels ; il a porté aux nues la version rock, postmoderne, décoiffante, branchée, américanisée, et tournée à Belgrade, de la propagande serbe la plus raboteuse et la plus mensongère. » Pour Finkielkraut, cinéphile averti, « ce que Kusturica a mis en images, c’est le discours même que tiennent les assassins pour convaincre et pour se convaincre qu’ils sont en état de légitime défense car ils ont affaire à un ennemi ».
L’objet ici n’est pas de juger de la qualité intrinsèque du film [9] mais plutôt d’évaluer la crédibilité et de la valeur intellectuelle de tels propos. En effet, quelques mois plus tard, après avoir démoli le film, Alain Finkielkraut, qui ne peut plus cacher son escroquerie, avoue dans Libération : « Il n’était pas nécessaire, autrefois, d’avoir vu le Don paisible ou le Triomphe de la volonté pour savoir qu’on n’avait pas affaire à des oeuvres respectivement antisoviétique et antinazie [...] Maintenant que j’ai pu voir le film , je reconnais que j’ai été injuste avec Emir Kusturica » [souligné par nous]. Sans s’excuser d’une précédente chronique erronée, il prolonge et amplifie son torrent d’arrogance : « Ce film crée un genre nouveau : la propagande onirique. [...] Mensonges, démesure et citations : les naïfs en prennent plein la vue et les cyniques relèvent la tête ».
Tant de probité est un art ! On en trouve d’innombrables exemples dans les falsifications délibérées destinées à alimenter sa vindicte. Ainsi contre Pierre Bourdieu dans Le Monde (18 septembre 1998) : « Ce qu’il [Pierre Bourdieu] met tant d’énergie à combattre, ce n’est pas le rétrécissement de l’espace public, c’est son existence ; ce n’est pas le journalisme et ses dérives commerciales, c’est l’insulte quotidienne faite par ce qui reste de pluralisme dans notre pays à sa vérité ». Ou encore contre Serge Halimi et l’extrême gauche dans Le Monde (12 décembre 1997) : « Les vieux démons de l’extrême droite n’ont pas mis longtemps à ranimer ceux de l’ultra-gauche ».
Enfin, on peut relever cette justification des opérations militaires israéliennes quand elles sont assimilables à des « crimes de guerre » : « Israël n’avait pas d’autre choix que de tenter de juguler lui-même le terrorisme. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de solution militaire qu’une réaction militaire est frappée d’illégitimité. [...] On ne peut à la fois terrifier les gens et leur demander d’obéir scrupuleusement aux conventions de Genève » [La Croix (17 avril 2002)]. Comme si la condamnation des actes de terreurs valait absolution des moyens employés contre leurs prétendus auteurs.
Tout en nuances et délicatesse
Mais c’est à la revue L’Arche qu’Alain Finkielkraut réserve ses prédications les plus savantes. Comme Alexandre Adler [10] et à l’instar de la plupart des prescripteurs d’opinion, le maître à penser s’adapte à son public potentiel et réserve ses propos les plus virulents à des médias plus confidentiels que les « grands » journaux.
Déjà en mars 2002, il accuse : « Quand la violence vient des banlieues, on garde le silence. Si des mosquées, par malheur, avaient été attaquées depuis le déclenchement de l’Intifada, la réaction aurait été immédiate. Les autorités publiques tout comme les intellectuels se seraient manifestés, et nul n’aurait accepté l’excuse selon laquelle il se serait agi d’une transplantation du conflit au Proche-Orient. » Inversement, ce fût le cas lorsqu’il y eut des actes anti-juifs en France immédiatement condamnés par le Président de la République.
En mai-juin 2002, il récidive. Le philosophe des beaux quartiers continue avec un langage peu commun pour un professeur de l’Ecole Polytechnique : « Ce ne sont pas seulement des voyous déstructurés qui transposent le conflit du Moyen-Orient en France : l’élite est, une nouvelle fois, au diapason de la racaille . » [Souligné par nous]
Dans le même article et toujours dans le concept de l’assimilation réductrice et du propos fantasmé, Alain Finkielkraut, s’insurge contre José Bové, « L’homme qui fait des sauts de puce de Seattle à Porto Alegre et de Porto Alegre à Ramallah, ce n’est pas Astérix, c’est Touristix. José Bové, c’est le tourisme érigé en politique. »
Et rêve des intentions : « Dans un premier temps, on dit : les Israéliens sont des nazis, et tous les Juifs qui les soutiennent aussi. Dans un deuxième temps, une fois qu’on a nazifié les Israéliens, on reverse sur Israël l’image de la pieuvre ou de l’araignée et le discours paranoïaque des Protocoles des Sages de Sion : ce sont les Juifs qui tirent tous les fils. »
L’omniprésent philosophe sort les grands mots : « Protocoles des Sages de Sion ». Et, sur un ton menaçant, met en garde en prédisant ce qu’il souhaite : « Là-dessus, il faut donc être très clair : soit José Bové est désavoué par le mouvement antimondialisation, la Confédération paysanne, ATTAC et Le Monde diplomatique, soit nous pouvons tenir ces mouvements pour comptables de ses discours et affirmer que l’antisémitisme de demain viendra de ce camp-là. »
D’ailleurs, « c’est le progressisme aujourd’hui qui est en train d’engendrer les monstres . José Bové est l’un de ces monstres, et il n’est pas le seul. » [souligné par nous]
De la presse écrite à la télé ?
Depuis la fin de l’année 2003, Alain Finkielkraut n’a plus signé de « Point de vue » dans les grands quotidiens français. Il a accordé quelques interviews ça et là [11], mais surtout participé à de multiples émissions télévisées. Client régulier de Serge Moati, pour l’émission « Ripostes » (2 novembre 2003, 30 mai 2004, 7 novembre 2004 et 19 décembre 2004), invité annuel de Guillaume Durand pour l’émission « Campus » (12 octobre 2003 et 14 octobre 2004), il est aussi chargé d’émouvoir régulièrement Franz-Olivier Giesbert dans « Cultures et dépendances » (13 mars 2002, 10 septembre 2003 et 10 décembre 2003). Sa dernière prestation ? L’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » du 9 janvier 2005 animée par Marc-Olivier Fogiel où il disserta sur le film « La Chute », pour nous dire tout le bien qu’il faut en penser.
De tribune en tribune, de plateau en plateau, de faux entretiens en vrais monologues, Alain Finkielkraut dispense et disperse ses « opinions originales », comme dit... Fogiel !
A suivre...
Mathias Reymond
– Lire l’article précédent : Les prédications d’Alain Finkielkraut (1) : « Répliques à moi-même »
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