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Acrimed en débat

Pour des médias associatifs affranchis des entraves politiques et financières

par Guy Pineau,

« Acrimed en débat » : Nous publions et publierons sous cette rubrique des contributions des adhérents de notre association pour participer à la relance du débat public sur des propositions de transformation de l’ordre médiatique existant. Ces contributions, revues, amendées, complétées, serviront à la rédaction ultérieure de notre plate-forme. Sous leur forme actuelle, elles n’engagent que leurs auteurs. (Acrimed)

La défense, la création et le développement de médias associatifs est une priorité qui s’inscrit dans un cadre plus vaste [1]. C’est une priorité notamment parce que les conditions d’existence des médias associatifs les rendent extrêmement vulnérables. Jamais les pouvoirs publics ne les ont dotés des moyens à la hauteur des enjeux. Ce n’est pas seulement leur développement qui est sciemment entravé, mais, dans nombre de cas, leur survie qui est menacée.

Trois bonnes raisons de soutenir prioritairement les médias associatifs.

(1). L’existence de médias associatifs, indépendants et laïcs, libres de tout assujettissement politique ou commercial, est une condition décisive de la diversité sociale, politique et culturelle, sans laquelle la pluralité des médias telle qu’elle existe aujourd’hui offre souvent un simple apparence de pluralisme, notamment parce qu’elle exclut la contribution des citoyens qui sont traités en simples consommateurs d’un espace médiatique mutilé, qu’il s’agisse de l’information, du divertissement ou de la culture.

(2). L’existence de médias associatifs, indépendants et laïcs, libres de tout assujettissement politique ou commercial, est une condition décisive de l’exercice du droit d’informer, qui est d’abord le droit d’informer différemment, de créer et de se divertir par des moyens indépendants. De tels médias, quand ils cultivent la proximité et sont ouverts à l’invention de formes nouvelles (à l’écart des formats dominants, voire contre leur imposition) sont à la fois une source irremplaçable de participation collective, de créativité culturelle et d’invention journalistique, professionnalisée ou non. De tels médias sont ou peuvent être des médias critiques. La critique des médias dominants se reconnaît dans nombre d’entre eux parce qu’elle est, avec ses propres moyens d’expression, une composante du mouvement des médias associatifs.

(3). L’existence de médias associatifs, indépendants et laïcs, libres de tout assujettissement politique ou commercial est une condition de reconstruction d’un service public de l’information, de la culture et du divertissement. En effet, s’il existe encore un secteur public de l’audiovisuel (ou, plutôt, un secteur semi-public, en raison du financement commercial de son activité), le service public, lui, est menacé de ruine en raison des logiques commerciales auxquelles il a été assujetti par sa mise en concurrence avec un secteur privé largement financiarisé. S’il existe déjà des médias associatifs, indépendants et laïcs, les entraves mises à leur développement leur interdisent de remplir pleinement leurs fonctions de service public. Le pourraient-ils, il est invraisemblable (et peu souhaitable) qu’ils parviennent (ou cherchent) à se substituer au secteur public qui doit être défendu, renouvelé et doté des moyens, notamment financiers, d’exister comme un véritable service public.

Ainsi, la redéfinition des politiques publiques de l’audiovisuel et la constitution d’un service public, indépendant du financement commercial sont donc une priorité. Un tel service public devrait reposer sur deux secteurs et deux formes de propriété complémentaires :
- un secteur public allégé de contraintes commerciales ;
- un secteur associatif, indépendant et laïc.

Ces médias associatifs et sans but lucratif ne peuvent se développer sans l’adoption de deux orientations majeures :
- l’attribution prioritaire de fréquences disponibles aux radios et télévisions associatives ;
- l’attribution d’un financement public à la hauteur des enjeux.

Nous soutenons donc la plupart des propositions qui émanent des médias associatifs

1. Des fréquences pour les médias associatifs audiovisuels

 Les radios associatives. À leur sujet, il faut commencer par tordre le cou à deux idées reçues. L’idée selon laquelle les radios libres seraient pour la majorité d’entre elles devenues des radios commerciales. C’est faux. Elles sont plus de 600, dont plus de 250 appartiennent à la Confédération nationale des radios libres, résolument laïque et démocratique, en référence à la Déclaration des droits de l’homme, droits sociaux inclus. Deuxième idée reçue : elles n’auraient pas d’audience. C’est faux. Mais évidemment cette audience est qualitativement différente de celle des radios commerciales, et c’est le plus important.

En revanche, les radios associatives sont menacées par toutes les mesures qui reviennent à accorder une priorité de droit et de fait aux radios commerciales et à leurs réseaux.

 Les télévisions associatives et les télévisions de proximité (notamment celles que rassemble la Fédération des vidéos de pays et de quartier).

La multiplication des fréquences hertziennes, le développement de l’ADSL et la baisse sensible du prix des équipements numériques rendent la télévision accessible à de nouvelles pratiques sociales et associatives. L’accès du tiers secteur à la télévision est été inscrit dans la loi du 1er août 2000. Si des catégories distinctes de titulaires des autorisations n’existent pas, le législateur (art. 29) appelle néanmoins désormais le CSA à veiller sur l’ensemble du territoire, à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Ces télévisions sont soumises à des interdictions de fait ou à une concurrence qui revient à leur dénier les moyens d’exister et de se développer. Privées de tout financement public, elles disposent de budgets si limités que le CSA, au comble de l’hypocrisie, en tire argument pour sous-traiter aux groupes de presse dominants (en alliance plus ou moins ouverte avec les collectivités territoriales) la quasi-totalité des fréquences disponibles. La prétendue décentralisation n’est plus alors qu’une déconcentration de l’emprise déjà existante dont elle aggrave tous les effets. La prétendue diversification de l’offre n’est plus alors qu’une adaptation commerciale classique, une réponse à la segmentation des marchés pour mieux les exploiter.

C’est pourquoi nous devons affirmer avec force qu’une politique publique française (et européenne) de soutien aux médias alternatifs est une priorité, qui passe notamment par :

 une affectation prioritaire de fréquences disponibles aux médias associatifs ;
 des dispositions contre la constitution de monopoles locaux et régionaux.

Face à la transformation de l’espace public en espace commercial et publicitaire, les médias associatifs doivent se voir attribuer non seulement le droit, mais en premier lieu les moyens d’exister.

2. Un financement public pour les médias associatifs audiovisuels

Le financement des médias associatifs audiovisuels doit passer par l’élargissement et la modification du fonds de soutien aujourd’hui réservé aux radios.

 Création d’un fonds de soutien à l’expression audiovisuelle, ou l’extension du fonds de soutien existant aux chaînes associatives, alimenté comme pour la radio, par un prélèvement sur les recettes publicitaires audiovisuelles véritable impôt indirect au profit des entreprises.
 Modification des sources et de l’ampleur de financement, ainsi que des règles d’affectation.

Ce type de mécanisme national est la seule façon d’objectiver l’attribution des aides selon des critères définis en associant les partenaires du secteur. Il éviterait d’être par trop dépendant de subventions de collectivités territoriales soumises à des capacités financières régionales inégales ou des variations idéologiques, politiques.

 Réexamen du régime fiscal applicable au tiers secteur ;
 rétablissement des « emplois aidés » indispensable pour la vie associative ;
 création d’un statut juridique spécifique propre à ces médias sans but lucratif.

3. S’agissant particulièrement des radios associatives :

Comme nous l’avons fait avec la Confédération nationale des radios libres (CNRL), dont les animateurs étaient des membres fondateurs d’Acrimed, nous soutenons les principales revendications du Syndicat national des radios libres (SNRL) [2] :

 pour un développement du FSER (trop faiblement doté), la modification de son fonctionnement et modalités de représentation en son sein ;
 pour le rétablissement de mécanismes d’aides à l’emploi ;
 pour l’accès des radios associatives aux campagnes d’intérêt général (conformes à l’esprit même de leur programmation) et la suppression de la réglementation discriminatoire qui réserve ces campagnes aux radios commerciales ;
 pour le rétablissement d’une commission de consultation permanente associée à la vie du secteur (comme le CSA pratique couramment avec les grands médias).

4. S’agissant particulièrement des télévisions associatives

Comme nous l’avons fait en soutenant notamment les revendications de Zalea TV et les candidatures des télévisions associatives aux fréquences des télévisions locales, nous soutenons toutes les exigences de toutes les télévisions associatives.

Répétons-le et précisons tant l’urgence est grande :

 pour une affectation prioritaire de nouvelles fréquences des télévisions locales aux acteurs associatifs [3] ;
 prévoir une procédure compatible avec la vie associative. En effet, les délais de mise en œuvre des procédures d’appel à candidatures doivent tenir compte de la spécificité de ce secteur : le temps associatif n’est pas le temps du business.

Sur ces deux points au moins, un changement d’orientation du CSA est urgent [4].

 Pour la création des conditions d’une viabilité économique, avec notamment la création d’un fonds d’intervention (équipement, fonctionnement) alimenté par une taxe sur les flux publicitaires générés par les grands médias et le hors médias, (soit, une assiette d’environ 30 milliards d’euros par an). Il s’agit de créer une taxe additionnelle à la source, du côté des annonceurs (pour éviter une usine à gaz alourdissant des frais de gestion) de l’ordre de 0,1 à 0,2 %, conduisant à abonder le fonds à hauteur de 30 à 60 millions d’euros/an ;
 pour le développement, à l’instar de la presse, d’un système coopératif de diffusion de chaînes associatives.

Au total, un changement d’orientation du CSA est absolument nécessaire.

Il s’agit de sortir d’une hypocrisie législative où une loi concède des droits sans en donner les moyens de les exercer. Les télés associatives ont le droit de se porter candidates à l’obtention de canaux hertziens (locaux, nationaux, analogiques et numériques). Mais aucun cadre, ni modèle économique ne leur permet d’exister réellement face aux mastodontes privés.

5. Une dimension européenne et internationale

Les solidarités déjà existantes peuvent et doivent se développer :

 pour l’existence au niveau européen d’une priorité accordée aux médias associatifs dans chaque pays, d’un fonds de soutien européen, d’un statut juridique européen propre à ces médias.
 pour la création d’un réseau européen (et, dans un second temps, de deux réseaux) de radios et de télévisions associatives, destinés à promouvoir des échanges, à concevoir des projets de contenu et à coordonner des luttes communes pour obtenir les moyens d’exister et de se développer.

La mobilisation des professionnels des médias contre l’ordre médiatique existant et le combat des médias indépendants qui tentent de répondre aux mouvements qui parcourent la société sont porteurs de l’exigence d’un nouveau service public de l’information, fondé sur le droit à une information libre et pluraliste, c’est-à-dire sur le droit à une information différente qui est d’abord le droit d’informer différemment.

Conclusion provisoire

Les principales revendications ici s’articulent autour de la nécessité de mettre en place un cadre juridique approprié à la spécificité associative, et un cadre économique viable pour ces médias non-marchands : radios, télévisions, presse (celle-ci étant d’une réglementation propre plus ancienne à rénover profondément [5]).

Ces revendications ne justifient en aucun cas l’abandon ou la marginalisation du pôle public de radiotélévision. Bien au contraire, à nos yeux, le mouvement associatif doit être une composante du renouveau du service public, trop souvent dans une posture mimétique par rapport au privé. Ce peut être le moment, d’une appropriation par la nation de son système public de radio-télévision qui a fait défaut au pôle public, fortement étatisé, notamment sous la période gaulliste et post-gaulliste. Il s’agit donc de penser la relation entre service public de l’audiovisuel et initiatives citoyennes (assistance, collaborations, ouverture de l’antenne aux mouvements citoyens, formation, alliances contre l’appropriation privée, capitalistique des médias...)

Cette question est d’autant plus importante que nous réunissons au sein d’Acrimed des forces issues du pôle public et du mouvement associatif, au moment même où les menaces, internes et européennes, contre le service public se précisent toujours plus. C’est cette articulation et alliance, public/associatif qui peut aider, contribuer, à rendre plus vivable notre monde médiatique.

Guy Pineau
Le 25 janvier 2004


 
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Notes

[1Pour une première approche d’Acrimed, lire « D’autres médias pour un autre monde », intervention au Forum social Européen de 2003. Voir également notre rubrique « Les alternatifs ».

[2Entretien du 13/11/2004 avec Jacques Soncin du Syndicat national des radios libres (SNRL)

[3Lire notre dossier : « Les télévisions locales ».

[4Comme le souligne justement l’Observatoire français des médias : [« Pour que le CSA défende réellement le tiers secteur audiovisuel » (lien périmé, août 2013)

[5Lire notamment, à paraître : « Pour une aide publique aux publications associatives ».

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