Négation du droit d’auteur, remise en cause des contrats de travail des salariés attachés à un titre, et au support papier. Moins d’un an après la constitution officielle du « plus grand groupe français de presse quotidienne régional », la direction du groupe Ebra [2] est passée à l’offensive contre le statut et contre les emplois des journalistes. En atteste la logique purement capitalistique qui consiste à ne pas remplacer une forte proportion de partants dans de nombreux journaux (DNA et Est Républicain notamment).
Après avoir programmé pour fin 2008 la destruction de près de 700 emplois dans les services techniques et administratifs des différentes entreprises, par le biais des départs volontaires subventionnés dans le cadre du PMS - ce qui implique d’importants transferts de charges vers les journalistes -, ce sont les rédactions qui sont désormais dans le viseur.
Objectif affiché des dirigeants d’Ebra : briser les barrières entre les titres, en multipliant les « synergies rédactionnelles ».
Depuis cet été, la stratégie de la mutualisation annoncée passe par des « discussions » convoquées au niveau du groupe, auxquelles les syndicats de journalistes ont toujours refusé de participer.
Le mercredi 6 février, les journalistes, délégués syndicaux de plusieurs titres, se sont rendus à Houdemont, au siège de l’Est Républicain, pour faire cesser les pressions individuelles sur les confrères « invités » à s’engager à céder leurs droits d’auteur dans le périmètre d’Ebra. Ces pressions ont pris la forme d’un chantage aussi inacceptable que prévisible, destiné à inciter les journalistes susceptibles d’être envoyés spéciaux aux JO de Pékin ou au championnat d’Europe de football à accepter au préalable que leurs écrits - et photos - soient reproduits sans contrepartie dans l’ensemble des titres du groupe, sous peine de se voir refuser le simple droit d’être missionnés.
C’est en s’appuyant sur ces deux événements symboliques, utilisés comme laboratoire, que la direction d’Ebra entend faire plier les rédactions, les mettre devant le fait accompli. Pour arriver à contraindre tous ses salariés à répondre indifféremment à n’importe quelle sollicitation de tous les journaux du groupe, et sur tous supports, du papier à la téléphonie mobile !
Un constat : derrière le chiffon rouge du droit d’auteur, c’est au contrat de travail que l’on s’attaque en tentant de lui imposer une modification essentielle, l’obligation de travailler pour tous les titres.
On l’aura compris, les dirigeants actuels du groupe, pressés par un actionnaire, le Crédit Mutuel, qui porte bien son nom, ne se contenteront pas de ces petites économies sur des reportages coûteux. Le processus consistera, à terme, à échanger des informations tous azimuts, puis des pages entières, des suppléments, pour supprimer des postes, puis des services entiers, et contribuer à construire à moindres frais un journal unique, voire un média multi-supports unique, étendu de Wissembourg à Avignon.
Plus que jamais attachés à l’identité des journaux et à l’indépendance de leurs rédactions et au pluralisme indispensable à toute démocratie, nous sommes totalement opposés à cette uniformisation des contenus rédactionnels, qui conduira inévitablement le lecteur de PQR, sensible à la spécificité de « son » journal, à lui tourner le dos.
Alors que les grandes manœuvres se poursuivent dans l’ensemble de la presse écrite, engagée dans une quête effrénée vers de nouveaux médias, la démonstration est faite que les phénomènes de concentration, ennemis intimes du pluralisme, constituent un danger pour les droits des journalistes, leur statut et leur indépendance, ciment de la démocratie. Tous ensemble, refusons cette logique.
Paris, le 5 février 2008