Accueil > Critiques > (...) > Les miettes du festin démocratique [Référendum de 2005]

« L’Europe, L’Europe... »

Comment donner « votre avis » en partenariat avec Le Monde

par Henri Maler,

Le référendum sur le Traité constitutionnel européen est l’occasion pour Le Monde et « Expression-publique.com » d’apporter leur inestimable contribution au débat démocratique, en posant les bonnes questions

Sur le site du Monde, on vous demande « Votre avis ». C’est le titre d’un « pavé » que l’internaute peut découvrir, sur la droite de la page d’accueil, en descendant.

« Votre avis », vous le donnerez, si vous êtes naïfs, à « Expression-publique.com » qui se prévaut d’un partenariat avec Le Monde (et réciproquement). C’est assez dire que la responsabilité du Monde est engagée directement.

Nous avions déjà attiré l’attention en 2003 sur les étranges prestations de nos duettistes : les curieuses prétentions démocratiques et scientifiques d’Expression-publique.com, la formulation complètement biaisée de certaines questions et la présentation mégalomaniaque des réponses... destinées aux « Décideurs ». Lire : Le Monde donne la parole au peuple

Rien n’a changé depuis...

Bonnes questions

 Ainsi, le 16 mars 2005, les internautes pouvaient se prononcer sur la déclaration de Chirac sur la directive Bolkestein :

«  En déclarant que la directive Bolkestein était "inacceptable", estimez-vous que Jacques Chirac...
... permet de bien dissocier le débat sur la Constitution européenne à celui sur la directive Bolkestein
... ou introduit au contraire la confusion en liant les deux sujets
Sans opinion. »

Mais vous ne pouviez pas « opiner », en affirmant que la déclaration de Jacques Chirac
... ne permet pas de bien associer le débat sur la Constitution européenne de celui sur la directive Bolkestein
... ou introduit au contraire la confusion en dissociant les deux sujets

Les questions posées dépendent des questions que l’on ne pose pas.

 Encore plus fort : le 18 mars 2005, les internautes pouvaient « s’exprimer » sur la montée du « Non »

«  Qu’est-ce qui, actuellement, contribue le plus à faire monter le Non au référendum sur la Constitution européenne, selon vous ?
- La question de l’adhésion de la Turquie
- Le climat de grogne sociale
- Le débat sur la directive Bolkestein.
- L’attitude du gouvernement.
- Sans opinion. »

Apprécions l’exquise délicatesse et la précieuse clarté des formulations.
- Euphémisme et mépris : les mobilisations sociales deviennent un « climat », mais pas n’importe lequel : « un climat de grogne ».
- Floutage : ce serait les « débats » sur la directive Bolkestein qui font problème, mais pas son contenu.
- Nuage : qui nous dira ce que peut recouvrir « « L’attitude du gouvernement » ?

La seule question qui ne sera pas posée éclaire toutes les autres. Ce questionnaire omet de demander si, par hasard, ce ne serait pas le contenu du Traité constitutionnel qui pourrait expliquer la progression du « Non » dans les sondages !

Comme nous l’écrit un correspondant : « A ce rythme-là, la rédaction du Monde [ou de Expression-publique.com] suggérera, demain, que la température extérieure ou les mauvais résultats de l’équipe de France de foot pourraient inciter les électeurs à voter non... »

Adeptes des jeux de hasard, vous pouvez obtenir, en répondant à de tels questionnaires (parfois abusivement présentés comme des sondages) plusieurs milliers de réponses qui ne veulent rien dire et ne représentent rien.

Une vocation, des experts

Pourtant, « Expression-publique » a une « vocation » : « La vocation d’Expression publique est de vous donner la parole sur les sujets de société ou d’actualité qui font débat. De nombreuses entreprises, désireuses de communiquer avec le grand public, soutiennent le site en tant que partenaires afin de bénéficier d’un retour d’appréciation sur les actions qu’elles mènent au quotidien. Le principe est simple : vous répondez à des questionnaires et votre avis est communiqué aux organismes concernés. Plus vous êtes nombreux à vous exprimer, mieux vous serez entendu. Alors n’hésitez pas, donnez votre avis car il peut tout changer !  » [souligné en gras par les auteurs de cette publicité ridicule]

Ce service de communication, c’est eux qui le disent, « a été créée à l’initiative de Jérôme Jaffré, Président d’Expression publique et Directeur du Cecop (Centre d’Etudes et de Connaissances sur l’Opinion Publique), ancien vice-présidentde la Sofres. » Et « la direction générale du site est confiée à Philippe Chriqui, consultant, expert en opinion publique et ancien directeur des études d’opinion publique de l’IFOP. » [en gras : souligné par nous]

Des instituts de sondages à l’institution ès-bidonnages, il n’y avait donc qu’un pas. En particulier pour celui qui se présente comme ... « expert en opinion publique ». Excusez du peu ! Un titre délivré par celui qui se l’attribue...

Et Le Monde, quotidien de révérence, souscrit à de telles opérations...

Mais revenons au référendum sur le Traité constitutionnel européen. Certes, la propagande silencieuse sponsorisée par Le Monde n’affectera pas le résultat du scrutin. Et si « le diable se niche dans les détails », les détails, ici semblent à la fois si outranciers et si dérisoires que le diable en question n’est sans doute qu’un diablotin. Pourtant...

Henri Maler

PS : À en croire la correspondance que nous avons reçue, de nombreux lecteurs se sont adressés au médiateur du Monde. On lira sa réponse avec intérêt.

 
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