Sous le titre « Que de “non dits” », l’éditorialiste de Elle - sans appeler explicitement, en toute hypocrisie, à voter « Oui » au référendum - gourmande, dans un même mouvement, les "enfants" qui s’apprêtent à voter « non » et les responsables politiques qui ne remplissent pas leurs fonctions de « petits pères » du peuple indocile.
Ce sont eux qui sont visés par les premières admonestations : « Mesdames et messieurs les politiques de la majorité et de l’opposition, vous qui militez pour le « oui » à la Constitution européenne, et qui semblez, si surpris, si perplexes aussi, de ce que le « non » l’emporte en ce moment dans les sondages, permettez à une simple mère de famille de vous donner quelques conseils de bon sens ».
Michèle Fitoussi, « simple mère de famille » ! Inutile de se demander en quoi ce statut (qui dissimule l’éditorialiste « haut de gamme », comme le magazine dans lequel elle écrit) qualifierait sa bénéficiaire pour dispenser ses « conseils » : c’est une « simple » posture (ou imposture...). Quant au « bon sens » de la « simple mère de famille », mieux vaut ne pas insister sur ce stéréotype qui permet de dévaloriser les femmes sous couvert de les valoriser.
Si notre institutrice à domicile s’adresse aux responsables politiques, c’est pour dresser un portrait « maternel » du peuple français : « Vous avez sans doute remarqué que les Français ont beau être un peuple adulte - si l’on se réfère à leur âge canonique - ils se comportent très souvent comme des enfants qui n’auraient pas dépassé le stade de l’opposition ».
Il faut en savoir gré à Michèle Fitoussi : cet assaut de condescendance se fonde sur un appel à la complicité et à la connivence que nombre de ses confrères n’oseraient pas formuler avec tant de clarté.
Mais ce sont aussi les lectrices « haut de gamme » de Elle qui sont appelées à s’identifier à cette évocation des liens familiaux qui unissent ou devraient unir les « mères de famille » et les pères de la nation...
Après l’identification aux parents d’un peuple infantile, l’identification apparente à ce peuple lui-même : « Chez nous, le « non », fait carrément partie de la culture nationale, c’est un sport et un passe-temps. Les petits l’apprennent dès le berceau ou presque, les lycéens font leurs premières armes politiques en manifestant contres les réformes de l’Education Nationale (qu’elle semble par cette formule implicitement appeler de ses vœux), avec la bénédiction de tous, et ça ne va pas en s’améliorant. Nous disons « non » comme nous respirons, pour un oui ou pour un non (admirez au passage le jeu de mots) en arrondissant la bouche pour prononcer le plus fort qu’on peut ces trois petites lettres définitives, et en secouant la tête de droite à gauche et de gauche à droite ».
Quand le « Oui » qui s’affiche comme celui de toutes les obéissances permet de dénoncer le « non » qui s’oppose aux détenteurs de l’autorité, on croit avoir fait le tour du « bon sens » de notre « simple mère de famille ». Mais ce serait oublier que celle-ci aime ses enfants : « Bien sûr, en certaines circonstances, le syndrome du petit bonhomme à moustache qui dit « non », par « Toutatis » à l’envahisseur nous a largement réussi. Souvent aussi, le « non » politique ou social se révèle indispensable »
Après le stéréotype du peuple enfant, le poncif du gaulois rebelle ! Mais c’est aussitôt pour le mettre en garde : D’autres fois cependant, ce « non » systématique, qui se nourrit de lui-même, peut conduire au blocage. Et là, comme aujourd’hui, on a l’air fin ».
Nous y voilà... Le « non » au Traité constitutionnel, à la différence du « Oui » qui ne saurait être suiviste ou servile, relève de l’opposition « systématique ». Une seule solution, la « pédagogie ». Ou plus exactement ceci : « Là-dessus, mesdames et messieurs les politiques, les psys - dont les parents modernes usent et abusent (sans parler de Elle où ces psys ont élu domicile...) - sont formels : un enfant s’oppose de façon exagérée parce qu’il ne peut exprimer son malaise grandissant autre que par un comportement de refus. Leurs conseils ? Favoriser l’écoute et le dialogue. Rester ferme et explicite. Ne pas baisser les bras. Toutes choses que vous ne savez pas - ou plus faire ».
En d’autres termes, notre « simple mère de famille », devenue conseillère en communication, en appelle à la sainte alliance des éducateurs qui doivent faire face à un « malaise grandissant » et non à des arguments, certes discutables, mais raisonnés, alors que ceux-ci sont forcément le monopole des « adultes » qui sont favorables au Traité.
Et Michèle Fitoussi de prendre « ses » lectrices à témoin du rôle qu’elle s’attribue, en lançant une salve de questions exclusivement destinées aux partisans du « oui » : « Quelle est votre pédagogie pour expliquer l’importance de cette Constitution à laquelle la plupart des citoyens, même parmi les plus informés ne comprennent pas grand chose ? Quels sont vos arguments autres que politiciens en sa faveur ? Quels sont les vrais enjeux de l’Europe telle qu’on nous la propose ? Parlez-nous, expliquez-vous, montrez-vous clairs et convaincants : il reste deux mois à peine ».
Cette leçon de « pédagogie » destinée à des responsables politiques qu’elle devrait inspirer s’achève par une ultime leçon. De modestie, cette fois : « « Et gardez en tête que s’il n’existe pas d’enfants parfaits, il n’y a pas d’éducateurs irréprochables ».
Certes « il n’y a pas d’éducateurs irréprochables ». Il suffit de consulter le site du magazine Elle pour se faire une idée de la fonction civique pas vraiment « irréprochable » de ce « féminin ». Quant à la version « papier », elle ressemble plus à un épais volume de publicités qu’à un magazine d’information.
Certes, il n’existe pas d’ « enfants parfaits ». Mais il n’en demeure pas moins vrai que, pour nos superbes éditorialistes, les citoyens sont des enfants...
Denis Perais et Henri Maler