I. La France malade de ses fainéants
– Diagnostic. Après la parution Bonjour Paresse [1], ce livre qui lançait mollement un appel à la désertion aux soldats du libéralisme, (ces pauvres hères consentants - ou non - qui se stressent à faire de la marge pour les actionnaires des entreprises qui les emploient), la riposte de certains médias s’organise.
Tel l’éditorial d’avril 2005 d’Enjeux-Les Echos [2] « Cette étrange maladie qui est la nôtre », et le dossier de Une aux titre et sommaire sans ambiguïté : « Adieu paresse ! » : « Le travail est une valeur qui remonte... ». « L’économie française en a besoin et 10% de la population active est en quête d’emploi »... « Avec un sondage Enjeux/CSA » [3].
En donneur d’ordre, un certain Sarkozy... Le Figaro (2 avril 05) tire dans un encadré la substantifique moelle de son show chez l’ami Mazerolle (« 100 minutes pour convaincre ») : « Récompenser "la France qui travaille" - une réussite accessible à tous mais qui se mérite » (comme des baffes ?).
Cependant, puisque l’on évoque la maladie, il faut le savoir : la France qui travaille... se dope. Comme le constate Le Parisien (8 avril 2005), « près de 30 % » pour « tenir au boulot ». La faute à qui ? « Il se passe dans le monde du travail la même chose que dans le monde sportif : c’est la course à la performance. »
– Remède n°1. Coupons les vivres aux chômeurs... C’est le remède prescrit dans l’édito de Nicolas Barré (Le Figaro, 2 avril 2005) pour devenir méritant : « La France s’épuise dans des politiques de traitement du chômage et de réduction du temps de travail dont les résultats n’ont jamais été démontrés. Les aides publiques à l’emploi engloutissent chaque année 25 milliards d’euros, soit 1,5% du PIB. Une somme gigantesque, presque égale à notre effort de recherche. Pour quel résultat ? »
– Remède n°2 : Interdisons les centre-villes aux chômeurs. Un correspondant nous signale la « Une » de l’édition « Bordeaux » du journal Sud-Ouest (mardi 29 mars).
Un exemple de plus de la doctrine TINA (There is no alternative : merci Margaret Thatcher) :
- soit on habite dans un bidonville et l’on a un travail ;
- soit on habite une superbe ville rutilante avec un tramway flambant neuf (mais qui n’aime pas la pluie) et on est au chômage...
– Remède n°3 : préparer la jeunessse. Certes, il fallait que jeunesse se passe (lire les précédents Lu, vu, entendu sur la loi Fillon et la condescendance qui alla avec) mais il ne faut pas non plus exagérer : « François Fillon fait dégager les lycées bloqués » [4], titre avec une violence jouissive Le Figaro (8 avril 2005).
II. La France guérie par la consommation
Publicités et promotions : passées les bornes de la bêtise, il n’y a plus de limite au cynisme.
– Publicité pédagogique n°1. Comment se vendre aux consommateurs paresseux ? Premier exemple : Dans un article intitulé « L’Etrange campagne publicitaire de Leader Price », La Tribune (5 avril 2005) note au sujet de ses derniers spots que le distributeur hardiscounter n’hésite pas à dénigrer les membres de sa « propre famille » (les hypermarchés) : « elle s’en prend aux grandes surfaces en invitant les consommateurs à ne plus être des gogos » avec l’assentiment passif de sa maison mère : le groupe Casino et ses... hypermarchés.
– Publicité pédagogique n°2. Comment louer des DVD aux fainéants qui n’ont rien d’autre à faire ? Second exemple : tiré de l’AFP du 31 mars 2005 et sans commentaires (une remarque toutefois : les explications des protagonistes que nous soulignons sont assez inquiétantes sur la santé mentale de notre société, le fou rire n’est pas loin) : « Oussama ben Laden a fait une surprenante réapparition sur les écrans de télévision... en Belgique, par le biais d’un spot télévisuel diffusé depuis quelques jours sur la chaîne privée RTL-TVI. La publicité, pour le compte d’un site de location de DVD en ligne, montre le chef du réseau terroriste al-Qaïda en pyjama et pantoufles, ouvrant la porte de sa maison à un livreur venu lui remettre en mains propres sa commande. "On est parti de l’idée : quelle est la personne qui a le moins envie de sortir de chez elle ? On a pensé à beaucoup de gens et puis on s’est dit : évidemment, c’est Ben Laden", a expliqué mercredi soir sur RTL-TVI Pieter De Lange, concepteur du spot réalisé par Young and Rubicam. "Après réflexion et après vérification juridique, on s’est dit qu’a priori on ne choquait vraiment personne en utilisant un personnage comme Ben Laden", a ajouté un responsable du groupe, Nicolas De Bouw. "Après tout, on l’a mis en pyjama chez lui avec ses charentaises. On l’a pas mis avec sa veste de guerrier et sa Kalachnikov autour du cou". »
– Promotion immobilière et mimétisme. Comment vendre aux fainéants les domiciles de leurs rêves ou simplement leur permettre “ l’accès à la propriété " ? Le lecteur parisien du Nouvel Observateur qui aurait échappé au numéro du 24 mars 2005 consacré au " prix de l’immobilier " a - ouf ! - pu se rattraper avec celui du Point, le 31 du même mois. Même thème d’actualité : le salon de l’immobilier à Paris avec son cortège de sondages [5] des doléances sur le sentiments de cherté.
– Promotion personnelle et séduction. Comment vendre aux fainéants Paul Wolfowitz, promu Président de la Banque qui veille sur eux ? Ainsi : « Sa première femme l’a initié à l’Indonésie. Sa maîtresse est tunisienne, élevée en Arabie. L’Amour a fait de lui un grand connaisseur du monde musulman ». C’est comme ça que Paris-Match (31 mars 2005), présente en tête de gondole Paul Wolfowitz, dit « Wolfie » : un « brillant cerveau » qui vient de prendre la tête de la Banque mondiale en dépit des fortes réserves médiatiques dues à ses états de service [6].
III. Jours agités dans le microcosme (suite)
Pas fainéants, ceux-là...
– José Barroso privé de parole sur France 2. Rappel : Le Portugais José Manuel Barroso, le - libéral - président de la Commission européenne, invité de « 100 minutes pour convaincre » sur France 2 a été déprogrammé peu après la publication de sondages favorables au vote « non » au Référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE).
Et la polémique de naître : L’Express (26 mars) affirme que le cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin " s’est chargé de demander aux responsables de France Télévisions de renoncer au projet " à la suite de la " colère " du président Jacques Chirac. " A l’heure où la chaîne entend jouer un rôle pédagogique en expliquant le projet de constitution européenne, il est paradoxal de se priver d’un acteur central dans ce dossier ", estime la SDJ (Société des journalistes). " France 2 donne l’impression qu’elle est aux ordres du pouvoir ", ajoute-t-elle (nouvelobs.com, 31 mars 2005).
Pour ne pas donner cette fâcheuse impression, Mazerolle balance Tessier. Olivier Mazerolle, présentateur de « 100 minutes pour convaincre », interrogé par Le Figaro (31 mars 2005), fait preuve d’un aplomb culotté qui force le respect : « L’idée d’inviter Barroso vient du président Marc Tessier [C’est lui qui balance et c’est nous qui soulignons] , la date a été fixée bien avant que nous connaissions celle du référendum sur la Constitution. [...] Seulement, nous avons joué de malchance en fixant son intervention le 21 avril 2005, une période durant laquelle les temps de parole sont décomptés. » Dommage !
Et Mazerolle de s’en prendre aux Français qui osent dire « non » :
- Le Figaro : « L’émission aurait pu tout de même être diffusée... »
- Mazerolle : « Barroso et Bolkestein sont quasiment qualifiés de « Frankenstein ». Plus personne en France ne veut les écouter. Marc Tessier a estimé que, dans ce climat, il n’était pas judicieux de faire une émission avec un homme qui tient un rôle d’épouvantail. Curieux pays où l’on n’a plus le droit de s’exprimer si on tient des propos qui ne plaisent pas aux Français ! » [C’est lui qui balance et c’est nous qui soulignons : la faute aux Français, nouvel argument].
Et pour finir :
- Le Figaro : « L’intervention est-elle venue de l’Elysée ? »
- Mazerolle : « A ma connaissance, non. Sur le plan journalistique, je regrette cette issue. ».
Mais Mazerolle s’est rattrappé : il a invité une troisième fois Nicolas Sarkozy...
Quant au président du CSA, Dominique Baudis, il s’en lave les mains (Le Monde, 1er avril 2005) : « Le CSA n’a pas été informé de ce projet d’invitation et il n’est saisi d’une déprogrammation que dans les quinze jours précédant la diffusion. Je ne ferai donc pas de commentaires. »
– Edwy Plenel mis sur la touche ? Lettre d’Edwy, réponse de Jean-Marie : la démission du premier des fonctions de directeur de la rédaction du Monde, destinée selon, lui à retrouver « les joies simples du journalisme » apparaît rétrospectivement comme le paravent d’une éviction programmée. La réorganisation de la rédaction qui a suivi cette démission s’est déroulée dans une atmosphère de franche camaraderie. Désormais, c’est Plenel lui-même qui est invité à quitter la rédaction. Le Monde (25 mars) avait démenti les « rumeurs de licenciement » d’Edwy Plenel, ajoutant toutefois, dans un communiqué du directoire... que celui-ci pouvait négocier son départ : « Dans le contexte du plan de redressement mis en œuvre actuellement au Monde, la possibilité a été ouverte à Edwy Plenel d’envisager un départ négocié de l’entreprise, s’il le souhaite ». A quoi Edwy Plenel rétorquait, le 29 mars : « La direction du Groupe La Vie-Le Monde a décidé que je devais quitter Le Monde, journal où je travaille depuis 25 ans ». Et de conclure : « Placé devant le fait accompli que constitue l’annonce de mon départ, j’ai demandé à l’avocat de mon syndicat (...) de veiller à la protection de mes droits de salarié. » De son côté, Alain Minc, qu’Edwy Plenel n’avait pas hésité à désigner comme son « ami », donne une explication amicale dans L’Express (12 avril 2005) : « On ne peut pas faire ce métier plus de dix ans et je ne connais aucun patron de rédaction d’un grand quotidien qui ait tenu au-delà de cette limite. Or Edwy Plenel avait manifesté son désir de se retirer, depuis deux ans. Ce métier est usant. Mais nous [sic] avons proposé à Edwy Plenel, dès le jour où il a quitté son poste, de prendre en charge une fondation sous l’égide du Monde, un peu sur le style de l’ex-Fondation Saint-Simon, qu’il modèlerait à sa main. Rien de commun avec un licenciement. » Modeler à sa main un plagiat de la Fondation Saint-Simon ouvre en effet de vastes perspectives...
– Aillagon recyclé après une brève intermittence. L’ex-ministre de la Culture et des intermittents n’est pas resté longtemps sans emploi. Pas suffisamment longtemps en tous cas pour bénéficier du nouveau régime des intermittents. Jean-Jacques Aillagon a désigné le 6 avril 2005 président de TV5 par le Conseil d’administration de la chaîne. Voir L’actualité des médias n°39 (16 mars au 6 avril 2005) : depuis quelques semaines, les syndicats SNJ et CFDT-Radio télé dénonçaient ce projet, rappelant notamment que la loi interdit à une personne qui a eu la tutelle sur une entreprise d’y travailler dans un délai de cinq ans après la cessation de sa fonction " (lire : Aillagon à TV5 : les syndicats dénoncent un verrouillage politique et Aillagon à TV5 : Raffarin va-t-il passer en force ? - La réponse est : oui !). Le gouvernement ayant saisi le Conseil d’Etat à ce sujet, l’autorité administrative suprême a estimé que la nomination d’Aillagon à la présidence de TV5 ne correspondait pas à ce cas de figure. Ce que Le Monde (6 avril 05 05), dans un raccourci saisissant, résume ainsi dans un surtitre : « Le Conseil d’Etat a donné un avis favorable à la nomination de l’ancien ministre de la culture ».
Peu de commentaires défavorables à cette nomination. En revanche :
- La Croix (7 avril 2005) salue son... panache. « Sa nomination à un poste moins exposé porte sans doute ses espoirs de réhabilitation », déclare - benoîtement - le quotidien catholique. Et La Croix d’accompagner ces « espoirs » : « Il lui faudra retrouver l’ambition qu’il avait pour la télévision publique. Non sans un certain panache, il avait commandé à la philosophe Catherine Clément un rapport sur la place de la culture sur France Télévisions. Las, ses admonestations à l’égard de Marc Tessier restèrent sans lendemain. »
- Le Figaro (7 avril 2005) lui tend l’éponge. Constat pudique du quotidien : « Votre nomination a été quelque peu agitée ». L’intéressé parade : « Agitée ? Ce n’est pas le sentiment que j’ai eu en rencontrant, au cours des dernières semaines, les partenaires français et étrangers de la chaîne ou certains responsables des équipes qui l’animent ». Avant de triompher : « Un syndicat national a estimé que ma désignation constituerait une infraction à une disposition du Code pénal. J’ai souhaité que cette affirmation soit vérifiée de façon à lever toute suspicion. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a sollicité l’avis du Conseil d’Etat. Cet avis indique que l’obstacle juridique invoqué n’existe pas. Il va de soi que si le Conseil d’Etat avait émis un avis contraire, je m’y serais rangé et j’aurais renoncé à persévérer dans ma candidature ». C’est pas un délinquant, Aillagon !
– Laure Adler en cours d’atterrissage. Elle va quitter France Culture en septembre. Où Laure Adler va-t-elle atterrir ? La question angoisse... Nous serons obligés d’y revenir.
– Jean-Pierre Elkabbach accumule et grimpe. Déjà Président de Public Sénat et animateur sur Europe1 du rendez-vous politique du matin, à 8 h 20, et du « Grand Rendez-vous », le dimanche à 18 h 10, Jean-Pierre Elkabbach [7] vient d’être nommé administrateur de Lagardère Active Broadcast par Arnaud Lagardère en remplacement de Jérôme Bellay, appelé à « se consacrer désormais exclusivement à la production de programmes pour la télévision ». Le communiqué se fend d’un éloge : « Europe 1, redressé de façon remarquable par Jérôme Bellay depuis son arrivée en 1996 comme directeur général de l’antenne dans un contexte difficile pour les radios généralistes, entame ainsi une nouvelle phase de son histoire », Et Arnaud, son patron, pour enrober son déplacement, déclare affectueusement : « Jérôme est un grand créateur comme l’attestent les lancements de France Info, LCI, et, chez Lagardère Active, l’évolution d’Europe 1 qui reste notre navire amiral en radio. Il a su renouveler le concept d’Europe 1 en s’appuyant notamment sur une rédaction rajeunie et indépendante. »
Humour volontaire ou involontaire ? Pour Le Figaro du 9 avril, avec la promotion d’{}Elkabbach, la CFII perd son « patron potentiel avant même d’avoir vu le jour ». Pour Libération, du même jour : « La question est là : Elkabbach saura-t-il résister à son ami Lagardère ? » C’était une question pour rire, évidemment...
– Robert Namias en plein essor. Déjà directeur de l’information de TF1 depuis 1996, Robert Namias a été promu le 2 avril 2005 au poste de directeur général adjoint en charge de l’information [8]. Sa dernière trouvaille ? Organiser avec la chiraquie, le grand show du Président le jeudi 14 avril 2005.
– Philippe Val chez Ardisson (suite). Il y a quelques mois, nous avions relevé l’extraordinaire retournement de veste opéré par Philippe Val à propos de son passage dans l’émission " Tout le monde en parle " animée par Thierry Ardisson sur France 2. Rappel : Val, en 2002, avait déclaré : « Tout écrivain, tout acteur, tout créateur, tout journaliste qui va sur le plateau de “Tout le monde en parle” est mort. Il vend trois cent mille, certes, mais pas pour ce qu’il écrit. Parce qu’il est devenu un clown » [9]. Deux ans plus tard (le 23 octobre 2004), il s’est rendu sur le plateau pour vendre « à trois cent mille » la compil’ de ses éditos (Bons baisers de Ben Laden), le livre rédigé avec François Cavanna (Les années Charlie 1969/2004), et son nouvel album. Nous connaissons désormais la version de Philippe Val. Dans son éditorial du 30 mars 2005, le « directeur de la publication et de la rédaction » de Charlie Hebdo s’explique : il aurait passé un marché avec Ardisson. En substance (traduction d’Acrimed...) : « J’honore de ma présence ton émission, si - Ô Ardisson - tu m’honores de tes regrets d’avoir reçu Thierry Meyssan, en témoignant au procès que celui-ci m’a intenté ». C’est gagnant-gagnant ? Pour de plus amples explications, voir à la fin de notre précédent article (Tentative de suicide : Philippe Val dans l’arène de Thierry Ardisson).
IV. Et pour finir...
– Un « scoop » : le Pape est mort. Acrimed vous offre un fragment d’espace public sans panneaux publicitaires ni signes religieux ostensibles.
Ça repose, non ?
- Journalisme de révélation (divine). Le paradis et ses saints existent puisque Le Parisien affirme et affiche en Une le 9 avril 2005 : « Jean-Paul II désormais tout près de Saint Pierre ». A quand un reportage là-bas ? [10]