Silvio Berlusconi vient de subir un grave revers électoral lors du scrutin des régionales qui concernait 41 millions d’électeurs et treize régions : onze sont acquises au centre gauche - l’Unione dirigée par Romano Prodi - et deux seulement (la Vénétie et la Lombardie) à la Maison des Libertés.
Une fois encore, la thèse de la télécratie, voire de la « télédictature » - qui possède le pouvoir télévisuel conquiert et détient le pouvoir politique - a été mise en échec. La puissance médiatique de Berlusconi n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui en Italie et demeure incomparable à tout autre dans une démocratie. Non seulement il est resté propriétaire du groupe Fininvest qui dispose de trois chaînes nationales généralistes privées et de la grande maison d’édition Mondadori, mais son gouvernement tient une place prépondérante dans les instances dirigeantes de la RAI publique, contrôlant la direction générale et la première chaîne, RAI 2 étant dans les mains de ses alliés. Malgré cette puissance télévisuelle, sa coalition échoue comme en novembre 1994 ou au printemps 1996. Les causes de cet échec - de ce « tremblement de terre » ont dit certains - sont donc à rechercher hors champ médiatique : elles relèvent toutes du politique.
Elles sont au nombre de quatre.
– La situation économique et sociale de l’Italie s’est dégradée ces dernières années, malgré les promesses du Cavaliere : le chômage demeure élevé, la croissance est au ralenti (1,2% prévue cette année), l’innovation est bloquée, l’inflation se développe, le pouvoir d’achat stagne ou recule, la réforme des retraites est très mal passée, la dette publique reste supérieure à 100% du PIB - tous les critères de stabilité du pacte européen sont enfoncés - la situation du Mezzogiorno ne s’est pas améliorée. Le fossé entre le rêve berlusconien du « président-entrepreneur » affiché en 2001 et la compétitivité réelle de l’économie italienne ne cesse de se creuser.
– La deuxième raison assez classique, est l’usure du pouvoir exécutif au terme de quatre années de gestion : une exception en Italie depuis l’après guerre, ce gouvernement ayant déjà la durée la plus longue.
– La troisième raison de cet échec est la fragilité croissante de la coalition gouvernementale qui a conduit Berlusconi à multiplier les concessions à ses alliés. Dans les dernières semaines, il a dû céder aux exigences de Umberto Bossi de la Ligue du nord en faisant adopter à marche forcée une réforme constitutionnelle fédéraliste. Avec l’espoir de sauver les régions du nord, mais en vain, la Ligurie et le Piémont basculant au centre-gauche. L’axe Berlusconi-Bossi a même accéléré l’affaissement de la Maison des Libertés au Sud, notamment dans les Pouilles une des régions les plus conservatrices où un néo-communiste l’emporte. Cette erreur tactique lui vaut les critiques de ces deux autres alliés, Alleanza Nazionale et surtout l’Union Démocratique du Centre qui menaçait de quitter le gouvernement depuis l’été dernier. Face à cette coalition affaiblie, le centre-gauche a su cette fois-ci se rassembler dans « l’Unione », ayant enfin compris que dans un système bipolaire, la force des alliances est décisive.
– La quatrième cause de son échec est sa politique d’intervention en Irak, contestée par une majorité d’Italiens et sa récente annonce aussitôt démentie, d’un retrait des troupes, après un rappel à l’ordre de Tony Blair et George Bush.
Mais Berlusconi a commis deux erreurs de taille, en divisant au lieu de réunir. D’abord, il a creusé l’écart entre le Nord et le Sud, en accentuant les tensions dans sa coalition par la création de son axe avec Bossi. Sa seconde erreur est d’avoir déplacé le débat politique sur le terrain idéologique, par une opposition simpliste entre communisme et liberté. Difficile de faire croire que toutes les causes du malheur italien viennent du communisme et de l’Etat dont lui-même est le premier dirigeant ; difficile aussi de faire accroire que l’ancien président de la Commission européenne est un leader communiste. Bref sa méthode qui consiste à « fictionner » le débat public sur le modèle d’une série télévisuelle en le réduisant à une opposition entre le Mal représenté par ses adversaires et le Bien qu’il incarnerait, s’est heurtée aux réalités sociales de l’Italie. Il subit donc l’échec électoral de plein fouet.
La clef des succès antérieurs de Berlusconi aux élections législatives de 1994 et 2001, lui permettant d’accéder au poste de Premier ministre, ne fonctionne plus. Il s’agissait de sa capacité à théâtraliser une symbolique - celle du chef d’entreprise, du self made man - censée faire réussir l’Italie, comme il avait construit son groupe industriel. Il avait su incarner la success story du condottiere, faisant rêver les italiens très attachés à l’esprit d’entreprise. Mais l’échec économique et social de son gouvernement a liquidé le rêve. Son programme dit de « démocratie compétitive » pour une Italie entreprise performante dont il serait le PDG, est en panne et la puissance médiatique n’y peut rien. Désormais, il lui reste un an pour inventer un nouveau rêve italien et le mettre en scène - mission impossible semble-t-il. Critiquer l’Europe et l’euro ou exhumer la « guerre idéologique » contre le communisme ne suffit plus. Tel est le dernier enseignement du berlusconisme : le médiatique sans le symbolique n’est que ruine du politique. A bon entendeur salut...
Pierre Musso
Professeur à l’Université Rennes II, auteur de « Berlusconi, le nouveau Prince », éditions de l’Aube, 2004.