8 mai 2005. Emission « Arrêt sur images », animée par Daniel Schneidermann, sur France 5. Thème : « Référendum : les médias sont-ils neutres ? » (lien indisponible, octobre 2013).
Invités : Bernard Guetta (qu’on ne présente plus) et Eric Zemmour du Figaro. Une confrontation très instructive sur laquelle nous reviendrons.
Daniel Schneidermann pose d’emblée la question « Information, pédagogie ou propagande ? ». Et pour tenter d’y répondre l’émission déroule plusieurs séquences dont nous n’avons pas respecté l’ordre de présentation en proposant ici les miettes de propagande qu’elles nous ont permis de recueillir.
Paroles de présentateurs
- TF1 : « Ombrageux français qui n’aiment pas qu’on les pousse. Finalement, ils rappellent un peu cet écolier de Prévert qui dit « non » avec la tête mais « oui » avec le cœur ».
- Benoît Duquesne au 13 heures de France 2 : « Le débat alors que les mauvais sondages se multiplient sur l’Europe et donnent le non en tête. »
- Sur France 2 - 13 heures aussi, ce propos d’un journaliste : « L’Europe unie va fabriquer le plus gros avion du monde. » Benoît Duquesne enchaîne : « Airbus, c’est d’une certaine façon l’Europe de la réussite qui s’affiche en pleine période électorale. »
- TF1 : « Merci beaucoup Simone Veil [...] Merci de faire cette campagne, même si certains vous engagent à démissionner du Conseil constitutionnel »
Bernard Guetta commente : « La dernière phrase oui, est absolument choquante, absolument choquante. « Merci Simone Veil de faire cette campagne », évidemment que c’est choquant. « Mauvais sondage pour l’Europe », je crois que vous coupez un peu les cheveux en quatre. Mais oui... ».
Paroles d’interviewers (France Europe Express, France 3) :
(1) Questions prévenantes aux partisans du " non ” [2]
- Christine Okrent, après plusieurs phrases pour interrompre Nicolas Dupont-Aignan : « Je vous pose une question si vous permettez. Jusqu’ici, dans le système communautaire, ça a toujours été comme ça... »
- Jean-Michel Blier à Marie-Georges Buffet : « Juste une petite remarque, Marie-Georges Buffet, mais parce qu’il faut qu’on soit précis et pédagogique. Les téléspectateurs nous le demandent. Vous dites que la Charte des Droits fondamentaux n’a pas de valeur contraignante. Dès lors qu’elle est inscrite dans la Constitution, elle a une valeur contraignante. »
- Serge July interrompant la même : « Vous ne répondez pas très bien parce que, si je puis me permettre, cette qualification. Je veux dire : il se passe quoi ? On est le lendemain... le problème des compromis... le problème de l’Europe c’est qu’on n’est pas tout seuls. »
- Jean-Michel Blier à Marie-Georges Buffet : « Expliquez-nous, alors que la Constitution, le texte de la Constitution, reconnaît le rôle des partenaires sociaux, la négociation collective, la protection des travailleurs en cas de licenciement, que la CES, la Confédération Européenne des Syndicats, approuve le projet et appelle à voter oui... »
- Christine Ockrent : « ...dont la CGT est membre... »
- Jean-Michel Blier : « ... comment, expliquez-nous : est-ce que les syndicats européens se trompent à ce point ? »
- Jean-Michel Blier, interrompant Jean-Pierre Chevènement : « Est-ce qu’il n’y a pas un risque de scission et de schisme au sein de la gauche et comment, j’ose dire... »
- Christine Ockrent : « et est-ce que vous y êtes encore, première question ! »
- Christine Ockrent coupant la parole à Henri Emmanuelli et continuant à parler en même temps que lui : « Je vous interromps, M. Emmanuelli, je vous interromps parce qu’il est temps de passer grâce à vous, Léo Vanhems... (elle le désigne de la main). M. Emmanuelli, je vous en prie... (ce dernier se tait. C. Ockrent marque un temps de silence et sourit) Voilà... »
Paroles d’interviewers (France Europe Express, France 3)
(2) Questions pugnaces aux partisans du " oui ” [3]
- Christine Ockrent à Martine Aubry : « Quelle stratégie pour faire gagner ce oui au référendum ? »
- Serge July à Valéry Giscard d’Estaing : « Que faire pour sauver la Constitution ? »
- Serge July à François Bayrou : « Comment vous pensez qu’il faut dépolluer le référendum de tous ses aspects collatéraux ? »
Paroles d’experts
Eric Zemmour, du Figaro, relève que, sur Europe 1, l’expert invité à commenter la prestation de Jacques Chirac face à deux journalistes était Maurice Lévy, partisan déclaré de la Constitution.
Ce qu’Eric Zemmour ignorait peut-être (mais qui n’a pas échappé aux observateurs de PLPL), c’est que Maurice Lévy, Président du directoire de Publicis Groupe (actionnaire à 49% des régies publicitaires du Monde et de Libération), avait été interrogé par Radio Classique, (« Questions orales », le 9 octobre 2004) et avait livré ainsi son sentiment empressé : « Une Convention s’est tenue, un texte de Constitution a été élaboré : il n’est pas parfait, mais c’est déjà un mieux par rapport à la situation actuelle, et je pense qu’il faut d’abord, et avant tout, se précipiter pour le ratifier, pour l’installer, et ne pas brouiller le débat sur ce texte par un débat sur l’intégration de la Turquie. »
Quoi qu’il en soit, Eric Zemmour précise : « C’est ça depuis 3 semaines. Tout le temps. C’est-à-dire que toutes les radios, toutes les télés sont au service du oui, c’est une espèce de tsunami de propagande d’experts bidons. Parce que ça, c’est des experts bidons. Il [Maurice Levy] est expert en communication, il est pas expert en politique étrangère. Et tout est comme ça. [...] »
Et Daniel Schneidermann poursuit en présentant ainsi la séquence de l’émission consacrée aux experts : « S’agit-il de séquence de pédagogie ou de propagande ? ». La première séquence montre Guy Lagache, dans l’émission quotidienne « L’Europe en questions » sur M6, qui donne « un peu des arguments du oui, un peu des arguments du non » et « cite le texte exact ». Sur France 3, en revanche, et sur le même sujet, l’intervention de François Poulet-Mathis (intervenu pendant une semaine dans le « 12/14 ») ne « donne pas du tout les arguments du non ». Voici la transcription de ces deux avis d’experts.
- Guy Lagache : « C’est le sujet le plus sensible du débat actuel entre les partisans du oui et ceux du non. Alors la nouvelle constitution est-elle plutôt sociale ou libérale ? Hé bien, jugez par vous-même. L’article 3, par exemple, parle d’une « économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social ». Plus loin, l’article 117 parle d’une promotion d’un niveau d’emploi élevé, de la garantie d’une protection sociale adéquate, de la lutte contre l’explosion sociale. Alors, pour les partisans du non, ces articles sont trop généraux, trop vagues, il n’y a aucune obligation de résultat. Les tenants du oui, eux, indiquent que la protection sociale est clairement inscrite dans la Constitution, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent dans les précédents traités européens. »
- François Poulet-Mathis : « ...Une économie de marché où la concurrence est libre et non faussée est depuis le début en 1957 un principe fondateur de la construction européenne. La Constitution n’apporte rien de neuf sur ce point. Elle insiste néanmoins sur le caractère hautement compétitif de cette économie. Pourquoi ? Cette ambition est la reprise textuelle de l’engagement pris par les chefs d’état et de gouvernement à Lisbonne en mars 2000 : celle de faire de l’Europe l’économie la plus compétitive du monde, choix entériné à l’époque par tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche. La Constitution ajoute des exigences sociales : la recherche d’un niveau d’emploi élevé et d’un haut degré de protection sociale et cela à chaque fois que des politiques européennes doivent être mises en œuvre. »
- Daniel Schneidermann enchaîne : « Un commentaire sur toutes ces séquences de pédagogie ? »
- Eric Zemmour : « C’est de la fausse pédagogie. [...] C’est de la propagande. C’est une tentative d’explication d’un texte sans son contexte. On fait semblant de croire que l’Europe est une chose abstraite, qu’elle n’existe pas. C’est très intéressant l’intervention du type [Bernard Poulet-Mathis, « expert » sur France 3] parce qu’il ne dit à aucun moment que dans le cadre de la mondialisation, de l’Organisation Mondiale du Commerce, de l’Europe telle qu’elle est, sans frontière, sans protection, évidemment toutes les priorités sociales vont rester en l’air. [...] Après tout, on peut dire et j’en connais, qu’après tout, on peut rester dans ce cadre de la mondialisation, que l’Europe qu’on voulait être une protection contre la mondialisation est le chausse-pied de la mondialisation et c’est très bien parce que ça va nous apporter des emplois hautement compétitifs. On pourrait le dire mais au moins qu’il l’explique. Là, il ne l’explique pas du tout. C’est pour ça que j’appelle ça de la propagande, c’est pas de la pédagogie. »
[...]
- Daniel Schneidermann se tourne alors vers Bernard Guetta : « Alors sur les deux séquences que vous venez d’entendre, on est dans la pédagogie ou on est comme le dit Eric Zemmour dans la propagande ? »
- Bernard Guetta : « Ecoutez, je sais pas. Non, je ne sais pas définir ça. »
- Daniel Schneidermann : « C’est important quand même. »
- Bernard Guetta : « Laissez-moi y venir. Je ne sais pas définir ça parce que je ne sais pas, je ne connais pas exactement le sens des mots pédagogie, propagande ou je ne sais pas quoi. »
A suivre...
N.B. L’ensemble des miettes qui précèdent ont été prélevées sur les échantillons proposés lors de l’émission « Arrêt sur images » (France 5) diffusée le 8 mai 2005. L’usage que nous en faisons n’engage évidemment qu’Acrimed.
Transcription réalisée par Muriel Brandily et David Rambourg