Sur quatre colonnes à la « une », l’édition du 25 mai publie une information fracassante : « L’appel des syndicats européens pour le oui ». L’événement semble d’importance : au terme d’une campagne référendaire où l’inspiration libérale et socialement régressive du texte giscardien fut beaucoup débattue, un « appel » des syndicats européens en faveur du « oui » pourrait faire basculer plus d’indécis qu’un texte du patronat allant dans le même sens. C’est du moins ce que Le Monde espère et fait afficher.
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Distribuée par milliers aux kiosquiers pour appâter le chaland, l’affichette commerciale du Monde insiste aussitôt sur cet « appel » syndical qu’on imagine prendre la forme d’un texte signé par de nombreux responsables de confédérations ouvrières européennes appelant les Français à voter oui.
Il n’en est rien. En guise d’« appel », Le Monde s’est contenté d’interviewer quelques dirigeants syndicaux : trois italiens, qui « déclarent au ‘Monde’ que l’Europe ne doit pas faire les frais des difficultés sociales de certains pays de l’Union », un allemand qui « aurait clairement voté oui », enfin Jacques Chérèque atrocement « déçu par la campagne et par la gauche ». Leurs propos, retranscrits en page 6 du journal, sont complétés par ceux de trois permanents de la Confédération européenne des syndicats, organisation dont Le Monde rappelle qu’elle s’est prononcé en faveur du traité en ...juillet 2004 [1]
Ainsi, « L’appel des syndicats européens pour le oui » n’existe pas. Le Monde a fabriqué et diffusé une information mensongère scriptée conformément aux convictions de son directeur et à celles de ses principaux actionnaires externes (Hachette, Pinault, Publicis). À la guerre comme à la guerre !
Dans Le Parisien du lendemain, François Chérèque s’empresse d’accréditer la mystification en évoquant cet « appel des syndicats européens ». Tant qu’à publier un vrai « scoop » vérifiable et vérifié, Le Monde aurait pu titrer sur « L’Appel de syndicalistes contre le projet de traité constitutionnel » [2], lancé le 26 avril dernier par 500 cadres syndicaux français. Le 23 mai, l’agence Reuters a consacré une dépêche à cet appel bien réel. Vingt-quatre heures plus tard, Le Monde, décidément quotidien vespéral du oui, inventait un appel européen bidon, mais mieux ajusté à ses préférences.
Tout en professant son amour des « petits faits vrais », le grand journal de référence s’est rendu célèbre par ses faux scoops et ses vraies bévues (« Scandale de Panama » du financement du Parti socialiste inventé par Edwy Plenel en 1991, faux « plan fer à cheval » pendant la guerre du Kosovo en 1999, bagagiste de Roissy « interpellé en possession d’un arsenal » en 2002, affaire du RER D en 2004, etc.) Là, il ne s’agit pas d’une simple faute - ou faillite - professionnelle, mais bien d’une manipulation désespérée destinée à inverser le sens d’un scrutin populaire.
[Documentation : Acrimed et PLPL]