La presse et les organisations politiques : transparence ou ingérence ?
Alain Lipietz, devant le Conseil National des Verts
Les Verts ont publié dans leur presse le discours-bilan d’Alain Lipietz, prononcé devant leur Conseil National après son éviction de la candidature aux élections présidentielles de 2002.. En voici un passage à propos de la presse.
« Il y a eu un deuxième obstacle pour notre campagne : la presse. La presse, c’est compliqué ; ce n’est pas un complot de la presse, ce n’est même pas un complot ou une prise de position politique de tel ou tel journal. Si vous lisez attentivement Le Monde, vous vous apercevez qu’il y avait des désaccords, des décalages entre ce que disait le journaliste de base, ce qu’écrivait par-dessus le coordinateur - c’est-à-dire la personne qui met les titres sur les articles -, ce que pensaient les grands éditorialistes du Monde, qui, eux, ont essayé de limiter les dégâts par trois éditoriaux, égrenés pendant tout ce cauchemar, pour essayer de sauver le processus de Matignon malgré ceux qui, en essayant de me couler et de couler Les Verts derrière moi, compromettaient le processus de Matignon en criminalisant l’idée même de discuter avec la mouvance nationaliste corse. Si vous prenez d’autres journaux, vous vous apercevez qu’il y a des phénomènes de meute à un certain moment, entre les journalistes que vous voyez en paquet, ici ou là : ils sont tous entre eux. C’est un peu comme les appelés du contingent qui se bourrent entre eux et qui sifflent les filles qui passent. Celui qui ne hurle pas avec les autres, il est pris pour un con. Et puis, à un certain moment, il y en a qui disent : « on a peut-être un peu charrié. - Oui mais c’est surtout toi, parce que moi j’en n’étais pas. ». Depuis quinze jours, ils étaient en train d’amorcer le retour, vous allez voir que, d’ici sept-huit jours, ils diront : « mais quels cons, ces Verts ! Quel bon candidat ils ont perdu. » Vous allez les voir, les larmes de crocodiles ! Disons le très clairement : les crocodiles ont une affectivité que les hommes devraient leur envier. »
Entretien avec le journal Marianne, 29 octobre 2001
– Comprenez-vous aujourd’hui les raisons qui ont conduit à votre escamotage ?
Alain Lipietz : Au commencement, sur l’amnistie en Corse, j’ai commis une erreur de débutant. J’étais au volant de ma voiture quand France Info m’a demandé de réagir aux déclarations de Jean-Luc Bennahmias à Corte. J’ai répondu que j’étais hostile à la surenchère de Jean-Guy Talamoni qui exigeait alors une amnistie en préalable à la poursuite du processus de Matignon. J’ai ajouté qu’il était néanmoins évident qu’une amnistie aurait lieu au terme du processus. Enfin, j’ai précisé que les formes de l’amnistie en France, telle qu’elle s’est faite en Algérie ou en Kanaky, n’étaient pas satisfaisantes. Après avoir jugé les auteurs de crimes ou de délits, il faudra engager en Corse un processus de réconciliation. Malheureusement pour moi, France Info a diffusé en boucle le deuxième point de mon raisonnement, et seulement celui-là. À partir de là, les journaux se citant les uns les autres, il y a eu un "effet bruit" incontrôlable.
Là-dessus, trois forces se sont coalisées. Lesquelles ? La droite est montée à l’offensive, aiguillonnée par les lobbys du pétrole, du BTP et de l’automobile qui prônent, pour échapper à l’écotaxe, "l’autolimitation" des industriels. Pour crédibiliser l’opération Chirac-Lepage, qui n’est autre que la défense de l’environnement sur la base du volontariat, il fallait que ceux qu’eux appellent l’écologie de "contrainte" soit détruite.
– Selon vous, la presse serait soumise aux mêmes lobbys ?
Alain Lipietz : Il y a eu plutôt un effet de meute, surtout dans la presse quotidienne nationale. Le journaliste qui m’aurait défendu serait passé pour un con. Ils ont fait une spéculation à la baisse, se lançant le défi de dégommer un candidat à la présidentielle.
– Et qui était le chef de meute ?
Alain Lipietz : Le coup de grâce est venu du Monde. C’est d’abord ce journal qui affirme que j’ai travaillé au programme du FLNC. Pourtant, l’unique "accusateur", Yves Stella a reconnu que je n’ai rencontré des militants du FLNC que dans le cadre d’une conférence universitaire plusieurs mois après la sortie du dit programme ! C’est toujours ce journal qui, quelques semaines plus tard, préfère citer – pour me ridiculiser – des extraits de la tribune qui a provoqué le départ de mon directeur de campagne, alors qu’il aurait pu publier dans son intégralité ce texte (auquel je ne retire rien) que je lui avais proposé et qui fut finalement publié dans Libération.
Propos recueillis par Daniel Bernard et Nicolas Domenach
[Lire la totalité de l’entretien] (n’est plus disponible).
L’intervention liminaire d’Alain Lipietz au Jeudi d’Acrimed : Alain Lipietz, candidat recalé à la Présidentielle (1) et (2).