Si Jean-Luc Mano, ancien directeur de l’information de France 2 et communicant auprès de Michèle Alliot-Marie, est choqué par les termes du Ministre de l’Intérieur, ce n’est pas le cas de l’ensemble des intervenants de l’émission de Pascale Clark.
Pour sa part, Anne-Sophie Mercier, journaliste sur Arte, ne trouve pas les propos exagérés (« il fait son job ») et Claude Askolovitch, journaliste anti-altermondialiste au Nouvel Observateur, souhaite voir Nicolas Sarkozy passer à l’acte : « Moi ce qui me gêne dans les propos de Sarkozy c’est pas qu’il dise "nettoyer", c’est que je ne suis pas sûr qu’on arrive à effectivement nettoyer au sens propre et au sens figuré du terme cette cité des 4000. (...) Le problème avec Sarkozy, c’est qu’il se contente de faire le matamore, qu’il dit qu’il va nettoyer sans nettoyer, voilà, ça ne suffira pas. »
La rage d’informer
La colère de Claude Askolovitch contre les délinquants n’a d’égal que sa rage d’informer et de s’informer.
Enervé, Askolovitch, l’est d’abord contre le Syndicat de la Magistrature (classé à gauche) : « Le politiquement correct a bon goût et j’invite le Syndicat de la Magistrature à déplacer son siège quelque part dans la cité des 4 000. ». Seulement voilà, ledit Syndicat n’avait pas encore fait alors (sauf erreur de notre part [1]) de déclaration. En revanche, l’Union Syndicale des Magistrats, positionnée à droite avait réagi avec émotion aux propos du président de l’UMP en déclarant que l’Etat "devait faire appliquer les lois de la République à tous" et n’était pas là "pour nettoyer". Dans Le Monde, le président de l’USM, Dominique Barella précise : « Le mot de nettoyage est un mot historique lourd de sens dont il faut éviter l’usage. » De quoi scandaliser, en effet, un journaliste « de gauche »...
Enervé, Askolovitch l’est encore plus à l’égard « d’abrutis comme ceux du Mrap », et s’interroge : « On se demande où ils voient le racisme là-dedans. Les abrutis du Mrap feraient mieux de se dire que le seul racisme qu’il y a en France, c’est qu’on considère qu’un petit arabe peut se faire tuer plus rapidement qu’un petit blanc. » Pourtant le Mrap n’assimile aucunement les propos de Sarkozy à des propos racistes, et souligne simplement l’ « amalgame révoltant » employé : « En déclarant, suite au meurtre d’un enfant de 11 ans, que ‘des opérations systématiques en liaison avec le procureur de la République pour aller chercher des armes, pour démanteler des trafics, pour expulser des clandestins, pour rechercher des délinquants et punir des voyous’, le ministre de l’intérieur fait un amalgame révoltant entre des immigrés sans papiers et des tueurs d’enfants. » [2]
Le goût des mots
Le moins que l’on puisse attendre de journalistes, c’est qu’ils utilisent et évaluent les mots avec discernement.
La parole de Sarkozy, tant relayée par les grands médias, ne cesse d’éblouir Anne-Sophie Mercier qui abonde dans le sens de Claude Askolovitch et soutient le ministre : « Mais si on le fait en partie [le nettoyage], c’est déjà pas si mal, il y aussi de la part de Nicolas Sarkozy un ministère de la Parole, il faut pouvoir... il faut porter la parole, il faut, il faut quand même arriver à incarner quelque chose par la parole. » N’importe quelle parole ?
Jean-Luc Mano n’est pas de cet avis. Paradoxe étonnant puisqu’il a perdu depuis longtemps son label de « journaliste de gauche ». Il n’hésite pas à contredire les adulateurs du langage de Sarkozy : « Moi je suis très cho... très ému de ces félicitations adressées à Nicolas Sarkozy (...) En même temps je suis désolé, ou alors on décide que la langue ne veut plus rien dire, mais le mot nettoyer transporte, transbahute avec lui des connotations qui de mon point de vue (...) ne sont pas acceptables. Non on ne nettoie pas, il s’agit de gens. Les gens c’est pas des détritus. (...) Sauf si pour Le Nouvel Observateur, un délinquant c’est devenu un détritus ou une ordure, moi je crois que ce n’est pas une ordure ou un détritus. »
La réponse péremptoire de Claude Askolovitch, journaliste de gauche mais « très sécuritaire » (comme il le dit lui-même), manque alors quelque peu de légèreté : « Un type qui tire sur un gamin de dix ans est une ordure et un détritus, au Nouvel Obs comme ailleurs. » Et à Pascale Clark revient la tâche de stopper cet échange de haute volée : « il faut qu’on marque une pause ».
Nous aussi. Faut-il rappeler que la rhétorique du « nettoyage » appartient aux guerres coloniales, et en particulier à la Guerre d’Algérie ? Et que la rhétorique des « détritus » (ou des « déchets ») appartient à tous ceux qui découvrent périodiquement une « sous-humanité » ? La vigilance qui s’exerce sur certains écarts de langage doit-elle être sélective ? Les journalistes n’ont-ils pas aussi pour fonction de veiller au sens et aux résonances des mots ?
Mais si Claude Askolovitch, ivre de colère, tient des propos de comptoir, quelques semaines auparavant, un autre journaliste du Nouvel Observateur, Serge Raffy pétri de sagesse, éclairait le peuple qui ne pense qu’à consommer : « Je pense que malheureusement il faut dire aux Français : oui, les problèmes sociaux, votre petit confort personnel, eh bien, aujourd’hui ça doit passer en second. Et aujourd’hui, il y a des choses beaucoup plus graves qui peuvent nous tomber sur la tête. Et il faut défendre l’Europe ! Dans ces conditions-là, ils ne peuvent pas dire non. » [3]
Traduction d’Acrimed : « Acceptez donc de laisser au second plan vos problèmes sociaux et votre « petit confort personnel » et nous « nettoierons » vos quartiers de relégation sociale ! ». Est-ce une bonne lecture du Nouvel Observateur ? Aux lecteurs de juger...
Mathias Reymond