A peine est-il promu à la tête du gouvernement, que TF1 s’empressait de nous resservir, le dimanche 5 juin 2005, (en une version légèrement modifiée pour la circonstance) son hagiographie déjà diffusée en septembre 2004 dans le magazine d’information Sept à Huit présenté par Thomas Hughes et Laurence Ferrari.
Il est vrai qu’avec l’arrivée de Dominique de Villepin au gouvernement, c’est « le romantisme au pouvoir, le lyrisme aux manettes » comme l’annonce la voix off qui verse curieusement dans le même registre grandiloquent que la personnalité dont elle croque délicieusement le portrait. Sur un air mélodramatique accompagné de plans serrés qui dévoilent successivement ses fossettes prononcées, son large sourire à la Tom Cruise, ses longs doigts de pianiste et son profond regard clair et alerte, l’ode à Dominique pouvait commencer [2]. L’auteur du portrait se propose d’abord de nous faire suivre le chemin de son égérie « sur sa monture à toute allure », car « il n’y a pour lui ni route droite, ni pente rude, mais que des chevauchées fantastiques et des montagnes à franchir, il préfère le panache et la modestie, il aime le mouvement, comme si courir était le but à atteindre ». Et si les vrais violons de la bande son se taisent, c’est pour laisser place à ceux, non moins stridents, de l’interviewer : « Pourquoi on vous déguise tout le temps en hussard avec un sabre au clair sur un cheval en cavalerie, même votre copain Alain Juppé dit ce serait un fabuleux premier ministre en tant de guerre... Pourquoi toujours cette idée de la chevauchée avec vous, pourquoi l’idée du mouvement ? » On pense que la question appelait une réponse en forme de boutade, mais puisqu’on lui tend ainsi les étriers, de Villepin ne se fait pas prier pour enfourcher la monture folle de la complaisance : « Parce que je pense qu’on ne peut jamais oublier d’où l’on vient. Et je suis né à Rabat, au Maroc, j’ai grandi en Amérique Latine et j’ai été confronté très tôt à la souffrance et à l’injustice et je ne me suis jamais habitué à ça, j’ai toujours voulu le changer. »
S’il souhaite changer l’ordre du monde, il se garde bien d’infléchir le cours de l’interview qu’il n’attendait sûrement pas si révérencieux. Pour que le tableau soit plus complet, il faut à présent qu’il enfile les habits de mauvais garçon dernier de la classe après avoir quitté ce costume d’hussard, qui lui va si bien. Le journaliste s’en charge : « Il paraît qu’à 14 ans, chez les jésuites à Caracas vous étiez le dernier de la classe... ». Coupure manifeste au montage qui saute directement à la déclaration choc : « Moi j’étais dans une école ou on se battait 4, 5 fois par jour ! », après quoi le ministre s’épanche sur les blessures non-cicatrisées de cette délicate période : « Vous savez, quand enfant vous avez le sentiment que c’est difficile... Moi j’ai passé des heures caché dans mon cartable pour ne pas être interrogé par le maître. Donc avec l’idée de pas être vu. » Ce qui aurait évidemment généré une propension à vouloir « prouver, parce qu’il y a en permanence le besoin d’être à la hauteur ! » Dominique Galouzeau de Villepin doit donc sûrement ressentir de l’empathie vis-à-vis des jeunes de la Courneuve ou de l’Ousse-des-bois en situation d’échec scolaire. Ils peuvent désormais nourrir l’espoir de devenir un jour premier ministre. De quoi faire oublier que ce dernier n’a jamais obtenu de mandats électifs (ce qui ne suscite d’ailleurs aucune question).
Mais, presque gêné de contribuer à faire passer le premier ministre pour un cancre, notre porte-micro se ravise : « Vous donnez l’impression inverse, vous donnez l’impression d’être à la hauteur, d’être dans les hauteurs... ». Le journaliste poursuit l’ode sur un morceau de guitare deux accords joué par un Carlos Santana manchot qui souffre de grave dépression. Il s’agit probablement de matérialiser musicalement « l’âme tourmentée d’un homme pressé, impatient et romantique » qui, veut « faire danser la vie » (sur deux accords c’est difficile !) reprenant un mot de Nietzsche érigé en devise du preux chevalier.
« Pas de Sept à Huit la semaine prochaine pour cause de formule 1 », annonce Laurence Ferrari... Que les vrombissements des F1 masquent la cacophonie de louanges qui se prétend journalisme, c’est plutôt une bonne chose pour le téléspectateur de TF1.
Cédric Lapierre