Une destitution
Le 19 juillet 2005, les syndicats SNJ-CGT, SNJ, FO et SUD de l’AFP portaient à la connaissance du personnel une « motion de soutien du Service Politique à Pierre Favier » que voici :
« Les journalistes du service politique déplorent les conditions dans lesquelles Pierre Favier est écarté de la direction du service au bout de 5 ans sans qu’aucun poste ne lui soit proposé.
Pierre Favier est un chef de service passionné, ne comptant pas son temps, avec un sens aigu de l’analyse politique dont le service et l’Agence ont largement profité. Il dispose en outre d’un réseau de contacts très précieux, sur tout l’échiquier politique, dont l’Agence a aussi très souvent bénéficié.
Les journalistes du service politique protestent vigoureusement contre le manque de considération et de respect dont la direction fait preuve à son égard. [...] »
Le texte de soutien est signé par l’intégralité des journalistes du service politique, présents ou joignables, le 1er juillet 2005. Des anciens du service politique ou des personnes ayant travaillé avec Pierre Favier au cours de leur carrière se sont associés au soutien du service politique :
Modalités
Comment une telle éviction est-elle possible ?
Traditionnellement, quand un poste de journaliste est vacant à l’AFP, ce poste est affiché : tous les journalistes peuvent postuler. Ce qui est nouveau, c’est que la direction affiche maintenant des postes qui ne sont pas vacants, pour en dégager les titulaires. Elle organise ainsi la rotation en prétendant qu’il s’agit-là d’un système juste et équitable.
Certains rubricards ou chefs sont restés en poste depuis très longtemps. Ce n’est pas de leur faute. Ce sont les directions successives qui en ont décidé ainsi. Maintenant, la direction prétend que tous les journalistes en poste depuis 5 ans ou plus doivent « tourner ». Donc, on affiche leur poste alors qu’il n’est pas vacant, tant qu’ils n’ont pas été nommés ailleurs.
Pour certains, qui sont proches de l’âge de la retraite, cela est plutôt cruel : après avoir tenu une rubrique depuis 5, 10, 15 ans, on les écarte en leur faisant comprendre qu’on aimerait bien qu’ils partent en pré-retraite « volontaire » pour faire la place aux jeunes (plus maniables et moins chers).
Ce système de rotation n’exclut pas qu’on soit renommé sur son propre poste. Mais dans les faits, c’est très rare, et il va de soi que ceux qui sont reconduits ne sont pas vraiment les fers de lance de la contestation dans l’entreprise.
Le nouveau système de rotation permet donc d’éliminer les « oursins » sans les critiquer ouvertement. Il suffit de ne pas les renommer à leur poste. C’est ce qui s’est passé pour Pierre Favier. Mais personne n’est dupe. Pierre Favier est connu pour avoir des opinions que l’on peut qualifier de « progressistes » et pour avoir protégé les journalistes critiques soumis à des pressions. Comme le PDG ne veut pas déplaire au pouvoir, c’en est déjà trop à ses yeux.
Mais, non seulement la direction l’écarte de son poste, ce qui est grave aussi, c’est qu’on ne lui propose rien d’autre que le plan de préretraites signé par certains syndicats l’année dernière.
Tout cela justifie les réactions des personnels et des syndicats, dont celle de Sud-AFP que nous citons ici à titre de témoignage.
La saison des coups tordus...
Sous le titre « La saison des coups tordus... », SUD AFP dans un tract daté du 25 juillet 2005, écrit notamment :
« [...] Que l’on se sente proche de Pierre Favier ou non, il fait partie de ces chefs de service en voie de disparition que l’on respecte en raison de leurs qualités humaines et de leurs compétences professionnelles. Ses livres et films documentaires sur François Mitterrand, qu’il a suivi pendant deux septennats, montrent qu’il est un fin connaisseur de la chose politique et des dirigeants de ce pays.
La mise à l’écart d’un homme aussi compétent constitue un très mauvais coup contre l’AFP. Elle devra d’autant plus être considérée comme un choix stratégique qu’il a souvent pris la défense de journalistes de son service mis en cause par Matignon ou par d’autres représentants du pouvoir.
Pas assez docile, Pierre Favier a été sacrifié par un PDG qui, pour être réélu en 2006, ne veut déplaire ni au pouvoir politique en place, toujours désireux de remplacer l’info par la com’, ni aux patrons de presse qui souhaitent attirer la pub en remplaçant l’info sérieuse par le divertissement. [...]
Si le cas de Pierre Favier est emblématique, il n’est pas pour autant isolé. L’affichage massif de postes non libérés a déjà permis d’autres mises à l’écart, au Politique et ailleurs. Tout a commencé lors d’un premier coup d’essai, il y a deux ans. Sur 303 journalistes de production (Paris et province) recensés au 1er mars 2003, 40 avaient une ancienneté de 10 ans et plus dans leur rubrique. Certains parmi ces « recalculés » (mais pas tous !) ont vu leur poste affiché d’office. A l’époque déjà, SUD s’était opposé à cette pratique. Mais beaucoup voyaient dans cette nouvelle mobilité plus d’avantages que d’inconvénients.
Aujourd’hui, alors que la même opération est menée à grande échelle, visant les postes occupés depuis 5 ans et plus, on ne peut plus fermer les yeux devant son caractère arbitraire, malhonnête et démagogique. Car derrière les jolies phrases (« appliquer à tous les mêmes règles », « permettre aux jeunes d’accéder à des postes ») se cachent « deux poids, deux mesures » maintes fois confirmés :
- La plupart des « recalculés » sont bon gré mal gré mutés. Mais pas tous ! Quelques-uns sont reconduits. (Sans parler de ceux qui sont dotés de « placards dorés ».)
- Alors que l’on force certains journalistes de production à abandonner leur rubrique, d’autres ne demandent que ça, mais leurs candidatures répétées ne sont pas retenues.
- Nombre de postes libres sont déjà pourvus au moment de leur affichage (qui devient pure comédie).
- Certains journalistes enchaînent les postes intéressants (Paris, province, étranger), d’autres sont en permanence « oubliés ».
En somme, les favoris de la direction sont servis les premiers et les plus de 50 ans priés d’attendre l’âge de la préretraite (Pierre Favier est plus jeune que le PDG, mais la direction ne lui propose rien d’autre qu’un départ « volontaire » ) !
S’agit-il uniquement de copinage ? Non : il s’agit d’une politique délibérée de déconstruction ! Il suffit de lire les derniers rapports sur l’avenir hypothétique ou souhaité de l’AFP et les déclarations de nos dirigeants pour se persuader que, outre les suppressions d’emplois parmi les non journalistes, des bouleversements décisifs sont imminents au niveau rédactionnel. Et pour que ceux-ci puissent passer, il faut d’abord préparer le terrain. »
Le tract rappelle notamment les « perspectives » (toujours non démenties) du rapport d’un certain Michel Lépinay, remis à la direction en mars dernier et intitulé « la place de l’AFP dans la fourniture de contenus à la Presse Quotidienne Régionale (PQR) ».
Lire ici même : Dans le sillage de TF1 : L’AFP va vendre de l’info disponible à Coca-Cola ! » (SNJ-CGT)
Conclusion de Sud-AFP :
Nettoyage au Kärcher
« Pour pouvoir s’adapter aux exigences du « marché » (c’est-à-dire d’intérêts financiers privés), il faut d’abord réduire les résistances internes. Quoi de mieux qu’un vaste mouvement de mutations qui permette à la fois d’écarter les « oursins » (expression du PDG) et d’effacer la mémoire vivante de services entiers, en écartant des responsables comme Pierre Favier et de nombreux rubricards expérimentés ?
Quelque 35 postes de « recalculés » étaient à l’affichage, ou sur le point de l’être, au 25 juillet. Une sorte de « nettoyage au Kärcher », opéré en plein été ! Pourquoi avoir choisi ce moment sinon pour profiter de la période des vacances où toute mobilisation est extrêmement difficile ? Arrêtons cet énorme gâchis d’expérience et de matière grise ! [...] »