Ancien élève de l’école normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, considéré par de nombreux journalistes comme la référence en matière de géopolitique et de conflits internationaux, Alexandre Adler, ancien éditorialiste à Libération, au Monde, à L’Express et au Point, est présenté comme un commentateur avisé par ses confrères. Ils lui décernent le Prix du livre politique 2003 pour J’ai vu finir le monde ancien... Un prix où nombre des lauréats ont été précédemment membres du jury [1].
Nul ne nie l’immense culture d’Alexandre Adler, dont la panoplie des connaissances embrasse l’histoire des Etats-Unis, le conflit du Proche-Orient, sans oublier la Russie, l’Amérique latine et l’Afrique. Cette science lui permet d’expliquer successivement que la victoire électorale de M. Silvio Berlusconi en 2001 est une « catastrophe morale. (...) On peut rapprocher les figures de Mussolini et de Berlusconi » (Courrier international, 3 mai 2001), avant de se reprendre : « La victoire totale de Berlusconi permet de liquider enfin la Ligue [de Bossi] (...). C’est en soi une victoire de la démocratie. » (L’Expansion, 23 mai 2001.)
Une lecture attentive des écrits et des chroniques de l’actuel éditorialiste de France-Culture et du Figaro ouvre au lecteur d’autres surprises [2].
Son condensé de l’histoire du XXe siècle italien paru dans Le Monde du 30 octobre 1998 fut tellement décrié dans la Péninsule qu’il valut à Alexandre Adler une réfutation détaillée du Corriere della Sera (4 novembre 1998). Quand, portant son attention sur un autre continent, notre spécialiste avança que « le franc CFA (...) est la monnaie de presque toute l’Afrique occidentale, à l’exception, jusqu’ici, du Nigeria [3] », il oublia de citer le Ghana, le Liberia, la Sierra Leone, la Gambie et la Guinée. Autre continent, autre problème : l’historien de formation n’hésite pas à prétendre que les Américains « ont songé à s’emparer du Canada en 1812, mais ils y ont renoncé assez vite, car ils ne voulaient pas en fin de compte intégrer un bloc de population francophone aussi important [4] ». Les spécialistes canadiens précisent que, loin d’avoir spontanément changé d’avis, les Américains furent repoussés lors de batailles, comme celle de Châteauguay [5].
Présent dans les « cercles de la raison », proche du pouvoir, Alexandre Adler évoque rarement la provenance des confidences qui parsèment ses analyses. Son Odyssée américaine est un ouvrage de 319 pages agrémenté en tout et pour tout d’une vingtaine de notes de référence... et sans bibliographie. Lorsque l’auteur évoque le Venezuela et son électorat populaire – « Notons qu’il reste 40 % de chavistes dans les couches les plus pauvres du Venezuela » (p. 202) –, il ne précise pas l’origine des chiffres qu’il avance. Réalisée au même moment par la société américaine Evans-McDonough, une enquête, pourtant peu encourageante pour le régime, estimait que 54 % des sondés des milieux populaires s’opposaient à la révocation du président. Laquelle fut repoussée par 59,6 % des électeurs, toutes classes confondues...
Assurément, Alexandre Adler ne peut être spécialiste de tous les sujets ; ses chroniques régulières dans un nombre important de médias ne lui laissent pas autant de temps qu’il le souhaiterait pour enquêter. En 2001, entre les deux guerres du Golfe, il décrète que la population irakienne « ne souffre pas des bombardements [6] »... Trois ans plus tard, quand il avance que Yasser Arafat est « un dictateur arabe classique qui ne veut voir qu’une tête » (France-Culture, 14 décembre 2004), il omet de préciser que ce « dictateur » avait été largement élu à la direction de l’Autorité palestinienne.
Elu en 1998 et ayant triomphé de neuf scrutins successifs, M. Hugo Chávez ne serait, lui, qu’un « populiste quasi fasciste » (France-Culture, 3 mai 2005), un « gorille » ou un « primate » (Le Figaro, 11 mai 2005) ou un « semi-dictateur »… qui « vient de passer une nouvelle frontière en inculpant et en incarcérant plusieurs de ses opposants les plus notoires comme l’ancien président social-démocrate Carlos Andrés Pérez » (France-Culture, 3 mars 2005). Quand il qualifie cet acte d’« arbitraire », Alexandre Adler n’indique pas que M. Pérez a été destitué de la présidence de la République du Venezuela en 1993, poursuivi par la justice pour malversation financière aggravée, ni, surtout, qu’il n’a nullement été incarcéré, pour la bonne et simple raison qu’il vit en exil (doré), faisant la navette entre Saint-Domingue et Miami.
Notre spécialiste assure, en juin 2004, que la création d’un Etat en Cisjordanie et à Gaza « va représenter pour les Palestiniens un objectif qui fera baisser la tension au Proche-Orient, mais pas énormément, puisque la majorité des Palestiniens continuent à souhaiter la destruction totale d’Israël [7] ». La revue L’Arche, qui n’a pas l’hostilité à l’égard d’Israël comme marque de fabrique, rendait pourtant compte en janvier 2005 d’une étude réalisée par le Jerusalem Media & Communication Center (JMCC) auprès de 1 200 adultes de la population palestinienne. Elle indiquait que 57 % des personnes interrogées étaient favorables à l’instauration de deux Etats côte à côte. Et, en juin 2004, le JMCC soulignait déjà que le nombre souhaitant « la destruction totale d’Israël » ne s’élevait qu’à 11 % [8]. Une « majorité des Palestiniens » toute relative donc...
Alexandre Adler apprécie les rapprochements insolites. Il a signalé aux auditeurs de France-Culture que la « campagne [d’attentats du Hamas] a fait plus de morts en trois mois que l’ETA en vingt-cinq ans » (19 octobre 2004). Il a également mêlé M. Oussama Ben Laden, la capitulation franco-britannique de 1938 à Munich et la victoire électorale de M. José Luis Zapatero en Espagne : « Ben Laden vient de remporter une victoire stratégique importante. (...) L’électorat [espagnol] a voté pour la trouille, pour le renoncement, pour Munich. Donc le terrorisme parvient à ses fins, il est justifié puisqu’il obtient des résultats spectaculaires » (France-Culture, 15 mars 2004).
Eprouvant une certaine animosité à l’égard des altermondialistes – des « ennemis de la liberté » –, Alexandre Adler admet détester M. José Bové, sa « bête noire attitrée » (France-Culture, 15 avril 2005). Le rapprochant du dirigeant fasciste français Henri Dorgères, il l’a qualifié d’« espèce d’avatar de Poujade touché par la métaphysique heideggérienne et allumé par une mystique pseudo-gandhienne [9] ». Cette technique d’association de noms communs-noms propres paraît caractériser la prose de notre auteur. Elle enfante des trouvailles pittoresques : Laurent Fabius symboliserait un « nouveau césarisme tribunicien » ; le combat du sous-commandant Marcos s’apparenterait à un « opéra-bouffe zapatiste », etc. (Le Figaro, 15 septembre 2004, et Le Monde, 23 novembre 2000).
Souvent présenté comme un visionnaire de génie, notre expert a accumulé les prévisions malencontreuses. Le 14 avril 2001, il annonce sur France-Culture que « George W. Bush va rentrer en conflit avec l’aile conservatrice de son parti et il s’y prépare ». Sitôt après les attentats du 11-septembre, le doute n’est pas permis : « Bien sûr, le Pakistan est en guerre avec les Etats-Unis (...) L’Inde est prête à aider les Américains à détruire l’armée pakistanaise. » (Radio J, 20 septembre 2001). Au lendemain de l’intervention militaire américaine en Irak, Adler assène : « Il est plus raisonnable de penser que ces armes biologiques et chimiques ont existé. (...) Saddam Hussein (...) a préféré les enterrer profondément (...) ou en détruire un grand nombre (...), ce qui évidemment ridiculiserait Américains et Anglais [10]. » Un an plus tard, il affirme encore que « Bush n’a pas menti (...) il croyait sincèrement à la présence effective d’armes de destruction massive en Irak » (Le Figaro, 6 septembre 2004).
Pour l’élection américaine de 2004, notre spécialiste avait annoncé la victoire de M. John Kerry : « Quitte à devenir la risée de mes lecteurs en novembre : Kerry va gagner d’une courte tête, ce sera donc l’élection de l’an 2000 inversée ! » (Le Figaro, 6 septembre 2004). Il affina son pronostic : « Je suis convaincu que le candidat démocrate disposera d’une avance d’une dizaine, voire d’une vingtaine de délégués » (il faisait sans doute référence aux grands électeurs).
Un mois avant le déclenchement des opérations anglo-américaines en Irak, l’expert avait suggéré : « La guerre n’aura peut-être tout simplement pas lieu » (Le Figaro, 8 mars 2003). L’explication suivait : « Cette conviction que nous avons repose sur une observation minutieuse de certains faits, sur certaines hypothèses que tout le monde ne partage pas, mais aussi sur des intuitions et des appréciations psychologiques, qui, elles, pourront s’avérer erronées. » Alexandre Adler ajoutait : « Au lecteur de juger sur pièces. »
Mathias Reymond
– Lire l’article sur le site du Monde Diplomatique.