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Quand L’Histoire célèbre les réformes libérales et le Traité Constitutionnel Européen

par David Noël,

Magazine de vulgarisation à prétention scientifique ou magazine de propagation de la vulgate ?

C’est le site web du magazine L’Histoire qui le proclame : « L’Histoire publie depuis vingt-cinq ans les historiens les plus réputés, ceux qui renouvellent l’approche des grandes questions, et font partager leur passion à de très nombreux lecteurs. »

Mais les milliers d’étudiants et d’enseignants qui lisent chaque mois le plus réputé des magazines historiques de vulgarisation - L’Histoire est diffusée à plus de 70 000 exemplaires - savent-ils que L’Histoire est éditée par la Société d’Editions Scientifiques, une filiale de la Financière Pinault, la holding du milliardaire François Pinault, qui possède également l’hebdomadaire Le Point ? En tout cas, ce magazine démontre régulièrement que l’histoire, parce qu’elle est l’enjeu de combats politiques, peut être utilisée au service de convictions qui n’ont rien de scientifiques. On pouvait aisément s’en convaincre en lisant les dossiers consacrés au communisme et à l’altermondialisme dans un magazine qui ouvrait ses colonnes en avril dernier à Claude Askolovitch pour y faire l’éloge de la « jet-set sociale-démocrate » incarnée par la Fondation Jean-Jaurès et le club A gauche, en Europe [1].

Et c’est un article d’opinion qui aurait eu sa place dans Le Point - mais l’avait-il dans un magazine historique supposé neutre ? - qui clôt l’important dossier que L’Histoire consacre à Louis XVI dans son numéro de novembre 2005.

Faut-il réhabiliter Louis XVI ? L’Histoire consacre à ce roi « réformiste, révolutionnaire, même, mais incompris ?  » un dossier de 23 pages qui se termine par un article de Michel Winock dont la tonalité tranche avec le reste du dossier et dont le statut ne peut qu’intriguer le lecteur.

De la célébration du cours (libéral) du monde...

« Nous sommes en 1788 ! » Le titre est suivi d’un chapeau - dont la rédaction de l’Histoire est responsable, comme de tous les titres, intertitres, textes de présentation et encadrés - qui nous renseigne sur la thèse que Michel Winock, « professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris, conseiller de la direction de L’Histoire  », va défendre dans ce qui ressemble décidément plus à un éditorial du Point qu’à un article scientifique : « Résistance à la moindre réforme, refus de s’adapter au cours du monde... La situation actuelle de la France ne rappellerait-elle pas celle de 1788 ? Cette inquiétude nous fait voir d’un œil nouveau Louis XVI dans ses tentatives pour transformer la société. »

Des réformes pour quoi faire ? Voulues par quelles forces politiques ? Au service de quel projet politique, de quelle idéologie ? Le « cours du monde » est-il si naturel que cela ? Toutes ces questions resteront sans réponse.

Michel Winock préfère énumérer la liste des facteurs qui viendraient appuyer son analogie : « Des inégalités criantes et croissantes entre les citoyens, la crispation sur les intérêts corporatifs et les « avantages acquis », les pannes de croissance, le déficit de la balance commerciale, et puis, bien sûr - cauchemar de l’Ancien Régime - le trou budgétaire, l’abîme de la dette publique (1067 milliards d’euros en 2004, soit 64,7 % du PIB), la défiance à l’endroit des pouvoirs politiques, la peur de l’avenir... Tout paraît confirmer les diagnostics les plus pessimistes.  »
Qui se cache derrière les « intérêts corporatifs  », les «  avantages acquis » ? Michel Winock se garde bien de le dire explicitement, mais le vocable rappelle les poncifs utilisés par les libéraux dans Le Point ou le Figaro-Magazine pour dénoncer les « blocages syndicaux ». Les mots ne sont pas neutres, Michel Winock ne l’ignore pas. Un historien peut-il procéder par allusion dans les colonnes d’une revue sérieuse, comme le ferait l’éditorialiste d’un magazine d’opinion ?

Bien sûr, l’analogie n’est « pas nouvelle », reconnaît Michel Winock - et pour cause, elle est régulièrement réutilisée lors de chaque mouvement social ! - qui explique dans le paragraphe qui suit comment Pierre Mendès-France l’employa lors d’un congrès du Parti radical à Aix-les-Bains, en 1953 : « Nous sommes en 1788 ! »

Alors, serions-nous donc à la veille d’une nouvelle révolution, comparable à celle des Trente Glorieuses qui virent « l’essor économique, l’équipement des ménages, l’industrialisation et la modernisation à marche forcée d’un pays dynamisé sous l’effet d’un vrai coup de jeune  » ? Michel Winock ne le pense manifestement pas : « La formule est alors, dans l’esprit de Mendès, chargée de plus d’espérance que de découragement. Il en va autrement aujourd’hui.  »

... à l’éloge du Traité Constitutionnel Européen

Le découragement de Michel Winock ne lui est en tout cas pas inspiré par les « inégalités criantes et croissantes » qu’il dénonçait au début de son article, mais plutôt par « notre inaptitude à la réforme » et « nos résistances à l’adaptation nécessaire au nouveau cours du monde  ». A ce stade de l’article, une question se pose : qui donc a décidé que l’adaptation au « nouveau cours du monde » - construit par qui et pourquoi, nous ne le saurons toujours pas - était nécessaire ? Michel Winock ? Laurence Parisot ? Nicolas Sarkozy ? Michel Winock citant Laurence Parisot et Nicolas Sarkozy ? Michel Winock ne nous le dira pas.
Découragé, Michel Winock l’est aussi par le rejet du Traité Constitutionnel Européen : « La seule ouverture tangible qui s’est offerte à nos yeux, ce référendum sur le traité constitutionnel de l’Europe, a été rejetée. »
Michel Winock en tire au moins une leçon : Il faut réhabiliter Louis XVI et ses ministres, « Turgot et son inlassable foi dans la liberté du commerce, son « laissez faire, laissez passer » qui devait ruiner les famines ; Calonne et ses démêlés avec les notables, crispés sur leurs privilèges. »

C’est que, eux aussi (comme Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin sans doute ?), ont dû faire face à des « obstacles objectifs dressés devant la volonté de changer ».

Conclusion de Michel Winock : « Cessons de répéter que nous sommes en 1788 mais admettons que les pesanteurs et les ratés de notre époque nous inclinent à une indulgence que nous n’avons pas toujours éprouvée . »

Sévérité à l’égard des « résistances » et indulgence teintée d’admiration envers les « réformateurs » libéraux de 1788 et d’aujourd’hui : sous couvert d’un article dans une revue « sérieuse » comme L’Histoire, c’est à un véritable panégyrique des réformes libérales que se livre Michel Winock. La place d’un tel article d’opinion était-elle dans un dossier historique à prétention scientifique ?

David Noël

 
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Notes

[1« Cent millions de morts ? Les crimes du communisme », numéro 247, octobre 2000 ; « Voyage à l’intérieur de l’extrême-gauche », numéro 263, mars 2002 ; « Espoirs et désillusions. Les grandes batailles de la gauche », Les Collections de L’Histoire, numéro 27, avril-juin 2005.

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