« Dans le secret de la sécurité » est le titre d’un documentaire inédit de Jacques Cotta et Pascal Martin. De sources bien informées - des sources qui ont eu la chance de voir cette enquête à des horaires accessibles -, il y serait question de la politique judiciaire et policière conduite par Messieurs Perben et Sarkozy.
Mais alors que la sécurité est présidentiellement devenue la « première préoccupation des français » depuis que Jacques Chirac l’a proclamé, sondages à l’appui, le 14 juillet 2001, France 2 a préféré programmer ledit documentaire dans la nuit du vendredi 30 septembre au Samedi 1er octobre, à 1h30 du matin.
Seuls les téléspectateurs insomniaques (et quelques autres...) pourront donc s’informer sur une « question de société » qui nous concerne tous. Le service public mépriserait-il la « première préoccupation des Français » ?
A moins que - ce qui est malgré tout plus vraisemblable - le contenu n’ait indisposé nos fins programmateurs. En effet, un article du supplément TV du Nouvel Observateur (daté du jeudi 22 septembre) laisse entendre, dans une présentation du documentaire que celui-ci ne recycle pas vraiment la vulgate politico-médiatique du moment. On y lit notamment cette appréciation iconoclaste : « En devenant une obsession médiatique, politique et populaire, le thème de l’insécurité risque de causer de vrais dégâts. » [1]
Une telle inquiétude aurait-elle été partagée par Jacques Cotta et Pascal Martin ? Auraient-il eu l’indécence d’examiner avec un peu d’indépendance l’obsession sécuritaire, voire de porter sur elle un regard critique ? Dans ce cas, c’est avoir fait preuve d’une grande sagesse pluraliste de ne pas les avoir censurés, mais d’avoir relégué la diffusion du produit de leur travail à une heure où les enfants certes, mais aussi la plupart des adultes sont couchés. A une heure moins tardive, en effet, il convient de ne diffuser que des programmes familiaux comme le « Sarkozy-Show » par exemple.
Ah ! Le dur labeur des programmateurs ! Dans un article publié sur le site « Pour une information pluraliste et impartiale » sous le titre « Une réponse à Sarkozy à 1h30 du matin ... » [2], Christophe Miqueu, entre autres bonnes questions, pose celle-ci : « Est-il aujourd’hui impossible à la télévision de traiter avec recul et sérieux la réalité du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy ? ». Et de rappeler ceci : « Une dépêche AFP datée du 26 septembre 2005, 22h44, rapporte en effet que le sénateur PC des Hauts-de-Seine, Roland Muzeau s’est adressé à Patrick de Carolis, le nouveau PDG de France télévision, pour réclamer la diffusion d’un documentaire produit par Serge Moati, intitulé "Sarkozy mot à mot", achevé depuis avril dernier. »
N’en doutons pas : c’est en toute indépendance que les zélés programmateurs de France Télévisions décident. Ils sont tellement indépendants, d’ailleurs, qu’il n’est pas toujours nécessaire que le gouvernement du moment exerce directement des pressions sur eux. Ils font souvent spontanément ce que l’on attend d’eux ou même ce qu’ils croient que l’on attend d’eux : qu’ils « se couchent », quitte à faire veiller les téléspectateurs.
Et c’est la mine réjouie que les dirigeants de France Télévisions pourront regarder à une heure convenable ces journalistes de France Télévisions qui, bon gré mal gré, se prêtent à toutes les opérations de communication des ministres de la police et de la justice. Tous ces journalistes savent que les déplacements « sous l’œil des caméras » ont surtout pour objectif... d’attirer les caméras. Tous savent, qu’ils le subissent avec entrain ou rechignent malgré tout, qu’informer sur ces déplacements au nom du « problème de l’insécurité », c’est en vérité alimenter la mise en forme médiatique de l’insécurité et, en suivant les ministres (avec un faible pour Sarkozy ...), se montrer non seulement suiveurs, mais suivistes.
Tout cela nous vaut de bien beaux reportages sur le ministre et l’insécurité à 20h. Sur France Télévision comme ailleurs, l’indépendance commence à 1h30 du matin et s’achève au lever du jour.
Henri Maler