Traditionnellement, l’animateur en noir de l’émission « Tout le monde en parle » joue le rôle de l’intervieweur faussement subversif. Cette fois, il est de l’autre côté du micro, interviewé complaisamment par ses futurs invités et adulé par ses amis « intellectuels ».
L’innocent plagiaire
Les radios déroulent non sans complaisance le tapis rouge à l’animateur à commencer par Jean-Marc Morandini sur Europe 1 [1]. Au cours de cette longue entrevue d’une rare mansuétude, Thierry Ardisson n’a jamais été dérangé par l’intervieweur... et pour cause, celui-ci est un invité régulier de « Tout le monde en parle » (trois fois au cours des trois dernières années : 01/11/03 ; 20/03/04 ; 12/03/05). Il fallut alors compter sur une intervention incommodante d’un auditeur pour (enfin !) mettre mal à l’aise Thierry Ardisson.
- Jo : (...) En fait vous écrivez notamment dedans (dans « Confessions d’un baby-boomer ») que vous avez plagié 6 pages pour faire votre livre « Pondichéry »... br>
- Ardisson : Ouais br>
- Jo : Alors moi j’ai deux questions. En 94, vous déclariez dans France-Soir que vous aviez piqué... br>
- Ardisson (coupant l’auditeur) : Ecoutez, alors je vais vous dire un truc, écoutez, on va pas, alors là je vais vous dire un truc, br>
- Jo : Si si moi ça m’intéresse... br>
- Ardisson : Moi ça m’intéresse pas, c’est à dire qu’y a un moment si vous voulez... br>
- Jo : Je peux finir ? br>
- Ardisson : Je vais pas expier toute ma vie... br>
- Jo : Non ce n’est pas la question. Vous en parlez dans votre livre... br>
- Ardisson : Je vais pas expier toute ma vie cette histoire... br>
- Jo : Laissez moi juste finir, et après vous pourrez dire tout ce que vous voulez... br>
- Ardisson : Je suis venu à Europe 1 en parler quand ça s’est passé... br>
- Jo : oui oui br>
- Ardisson : Je vais pas passer ma vie à parler de ça. Y a des tas de gens, occupez-vous des tas de gens qui copient des livres toute la journée... Et on va pas remettre le le... le couvert avec ça si vous voulez, je ne répondrais pas à cette question... br>
- Jo : Bon ben laissez-moi la poser alors. C’est que en 94 vous disiez dans France-Soir que vous aviez piqué 70 lignes ce qui fait deux pages et non six comme vous le dites aujourd’hui, et par ailleurs j’ai envoyé avant-hier un communiqué à toute la presse, pour que tout le monde en parle évidemment...
A ce moment précis, Thierry Ardisson sait que l’auditeur va revenir sur le plagiat qui est en fait bien supérieur à 6 pages (près de 60 pages ont, semble-t-il, été plagiées - voir plus bas). Ardisson, avec l’aide servile du présentateur, va fuir la question et transporter le sujet vers un autre thème... sur Dieudonné par exemple.
- Ardisson (coupant l’auditeur) : Je sais, vous êtes un ami, Monsieur, vous êtes un ami de Dieudonné, votre site c’est le site de Dieudonné... br>
- Jo : Oui, alors laissez moi finir... (Le « oui » de Jo n’a rien à voir ici avec la phrase précédente.) br >
- Ardisson : ...et Dieudonné, je lui ai torché la gueule à la télé parce que c’est un antisémite... br >
- Morandini : Attendez br >
- Ardisson : ... et si vous voulez, j’ai bien compris que c’était l’action des amis de Dieudonné, parce que je lui ai fermé sa gueule à la télévision, et j’ai eu raison, parce que on peut défendre les noirs, comme je l’ai fait la semaine dernière, sans taper sur les juifs. Et donc si vous voulez, j’ai vu ça sur Internet [2], vous racontez ce que vous voulez, moi je ne discute pas avec des antisémites Monsieur. br >
- Jo : Laissez moi poser ma question quand même... br >
- Morandini (coupant l’auditeur) : Non, alors on va... br >
- Ardisson : Non ! Je ne parle plus là ! br >
- Morandini : Non alors on va..., à partir du moment où y a..., de toute façon, et que Thierry veut pas vous répondre, je pense que ça ne sert pas à grand-chose, de poser la question.
Ardisson, tellement inquiet devant la question embarrassante que désire lui poser Jo, préfère insulter et dénigrer publiquement son interlocuteur... L’accusation d’antisémitisme quand elle est sans fondement et destinée à se protéger de toute critique est totalement indécente.
- Ardisson : Non, je ne discute pas avec les antisémites. br >
- Jo : Avec les ? Pardon ? br >
- Ardisson : Antisémites. br >
- Jo : Ah, très bien, donc vous êtes prêts à un procès alors, parce que moi si j’ai tort, en affirmant que vous avez plagié 60 pages... br >
- Morandini (coupant l’auditeur) : Jo, à partir du moment... br >
- Ardisson (coupant l’auditeur) : Ecoutez attaquez-moi au tribunal. OK br >
- Morandini (grand journaliste d’investigation) : Jo, à partir du moment où de toute façon Thierry Ardisson veut pas répondre... br >
- Ardisson : Attaquez-moi au tribunal... br >
- Morandini : ... Je pense que vous avez dit ce que vous souhaitiez, et ça sert à rien donc... br >
- Ardisson : Voilà, Voilà, vous me faites un procès si vous voulez. br >
- Morandini : ...A la limite si il y a un procès à faire derrière, vous le ferez après, avec Thierry, voilà, allez. br >
(Auditeur coupé)
Pour mieux comprendre les raisons de cette obstination à ne pas répondre, il importe de revenir sur les travaux de Jean Robin (qui est en fait « Jo ») [3]. Dans un long travail de recherche, l’auteur met en avant que « contrairement à ce qu’il affirme dans son dernier livre qui sortira le 16 septembre, (...) Thierry Ardisson n’a pas plagié " 6 pages " pour son livre " Pondichéry ", sorti en 1993, mais au minimum 10 fois plus. » [4]
Cette polémique n’est pas relevée par le service public et cela n’empêche pas l’animateur de pavoiser sur France Inter chez Stéphane Bern (« Le fou du roi », le 20 septembre 2005), qui avait déjà eu, pour sa part, les honneurs de Thierry Ardisson dans son émission sur Paris Première (« 93, Faubourg Saint-Honoré », le 5 juillet 2005). Le 27 septembre 2005, c’est le micro de « Charivari » sur France Inter qui lui est offert. Sur le plagiat ? Thierry Ardisson expédie lui-même le sujet [5]. De la part du journaliste qui l’interroge : rien. Notons également que Thierry Ardisson est aussi venu promouvoir sur RTL dans l’émission « RTL soir » le 19 septembre 2005.
Pas en reste, la télévision lui offre ses caméras : « Vivement Dimanche » sur France 2 (25 septembre 2005), « Ça balance à Paris » sur Paris Première (1er octobre 2005) et « Culture et Dépendances » (21 septembre 2005). Et puis « le Grand Journal » de Michel Denisot sur Canal+ (5 octobre 2005) permet à Ardisson de revenir sur son plagiat (« je n’ai plagié que 6 pages »). Jean Robin, spectateur infiltré, intervient pacifiquement sur le plateau avant d’être ceinturé par la sécurité. Michel Denisot le présente comme un « trublion » et donne à Ardisson l’occasion de réitérer les mêmes propos que sur Europe 1. C’est un ami de Dieudonné (ce qui est faux)... donc il ne serait pas crédible. Pour Denisot, « l’incident est clos » [6]. A notre connaissance, seule l’émission « Arrêt sur images » sur France 5 est revenu sur la polémique en y consacrant un sujet de 5 minutes. [7]
Tant de solidarité, venant de professionnels de la « déontologie », est évidemment très émouvant. Sans doute parce que l’innocent plagiaire est sur le point de bouleverser la littérature...
Le flamboyant écrivain
Si Thierry Ardisson paraît très à l’aise à la radio et à la télévision, la presse écrite est, quant à elle, très à l’aise pour flatter l’animateur. Ainsi, Le Monde du 22 septembre 2005 l’encense sous la plume de Dominique Dhombres : « Thierry Ardisson a eu raison de tenir à son titre, Confessions d’un baby-boomer. (...) Le titre fait ainsi écho à la Confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset, désenchantement compris. » Alfred de Musset, rien de moins... Et d’ajouter que « quelqu’un capable de demander à Edouard Balladur s’il est vrai qu’il est turc, et refusant ensuite, malgré les pressions de l’intéressé, de faire sauter ce passage au montage, ne peut, en tout cas, être entièrement mauvais. » Dans ce même numéro, le lecteur, ravi, a droit à quelques extraits du livre...
Dans Le Point du 15 septembre 2005, 5 pages lui sont consacrées avec photos et extraits à l’appui. L’ouvrage est « décoiffant », le récit est « passionnant », bref le « livre est terriblement ardissonien ». Une semaine plus tard (22 septembre 2005), dans le même hebdomadaire, c’est Bernard-Henri Lévy qui, dans une envolée lyrique, s’y colle : « Les historiens, quand ils voudront comprendre comment fonctionnait vraiment, à la fin du XXe siècle puis au début du siècle suivant, ce que Guy Debord appelait le « spectaculaire intégré », auront, avec les « Confessions d’un baby-boomer » de Thierry Ardisson (Flammarion), un document de choix. Tout y est. » Oui, tout. La preuve : « Au centre du récit, traversant le demi-siècle comme Lazarillo de Tormes le premier roman picaresque, ce monarchiste funk, ce libre esprit aux allures de clergyman, ce fêtard qui ne croit qu’aux valeurs de la famille, ce branché libertin qui se veut fervent catholique, ce Français transfusé British, ce Bel-Ami cynique que l’on a vu au bord des larmes un soir où il recevait une jeune Malienne rescapée de l’incendie de l’immeuble du boulevard Vincent-Auriol, ce farceur mélancolique qui dit s’être octroyé le droit de rire de tout et qui, quand il se trouve en face de Dieudonné, trouve pourtant les mots justes qui disqualifient l’histrion - bref Ardisson lui-même qui, las d’être obscur en pleine lumière, a décidé d’abattre son jeu et, en abattant son jeu, de donner à voir le Système dont il est le produit paradoxalement exemplaire et atypique. » Cette mansuétude de la part du philosophe parisien n’est pas surprenante. Invité régulier de « Tout le monde en parle » [8], BHL est aussi un ami. Interviewé dans Gala (21 septembre 2005), l’animateur confirme :
- Ardisson : « ... Je ne suis pas devenu l’ami des stars. br>
- Question : A force, au bout de vingt ans, quand même... br>
- Ardisson : Bon, il y a Chabat, Attal, Jamel, Darmon... ou BHL, parce que juste avant ce livre, c’est lui que j’appelais en disant "je suis une merde !", et c’est lui qui me remontait le moral. »
C’est ce mélange des genres entre les amitiés privés et les éloges publics qui pollue indéfiniment toute la vie culturelle et médiatique.
Thierry Ardisson a aussi profité des bons papiers de Paris Match, de VSD, de TV magazine... Il aime ça : être adulé. D’ailleurs, c’est lui qui le dit : « La télé, c’est marrant. Te faire arrêter par neuf personnes sur dix qui te disent dans la rue : "Oh, je vous adore !", ça vaut tous les Valium » [9].
Choyé, Ardisson n’est pourtant que le produit d’un système auquel il contribue. Un « produit » dont la promotion révèle ce qu’il doit au réseau serré des amitiés dont il bénéficie et qui bénéficieront de ses « renvois d’ascenseur ». Ô microcosme ! Ses protecteurs sont aussi ses protégés.
Mathias Reymond