A la recherche du peuple
Une nouvelle émission dominicale sur France Inter : « Baobab ». En partenariat avec le magazine Elle, la "première" a eu lieu le dimanche 30 octobre de 18h à 20h. Retransmise depuis le théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, elle avait pour thème « Politique et cosmétique : l’élection présidentielle est-elle un concours de beauté ». Passionnant... Passionnant, c’était l’avis de Stéphane Paoli avant l’émission. Il le dit au micro d’i-télévision [1] : « Est-ce qu’il faut être beau pour être élu ? Ça, c’est une des premières questions qu’on s’est posé avec Jean-Michel Ribes, et je pense qu’on peut rentrer dans une question passionnante, d’une façon un peu inattendue, et c’est ça qu’on va essayer dimanche. »
Le dimanche justement, Stéphane Paoli introduit ainsi l’émission : « Pourquoi France Inter au théâtre du Rond-Point ? Parce que nous cherchons à rétablir le contact avec le pays. [...] On a eu l’impression que le contact était rompu entre les médias et le pays. »
Et pour renouer ce contact, la radio publique a fait appel à Jean-François Kahn, « l’une des voix les plus libres » qui soient (dixit Stéphane Paoli), la réalisatrice Tonie Marshall, la directrice de la rédaction de Elle Valérie Toranian, le psychanalyste Jean-Pierre Winter, Chantal Thomas, directrice de recherche au CNRS, et Dominique Wolton « LE spécialiste de la communication politique ». Pour lui d’ailleurs, la beauté n’est pas si importante puisqu’Angela Merkel, « qui ne correspond pas à nos canons de la beauté » vient quand même de gagner les élections. Ravi d’être invité Wolton avoue à Paoli : « Vous avez une fonction qui joue un rôle critique très important pour les opinions publiques ».
A propos du « contact rompu entre les médias et le peuple », Stéphane Paoli, il faut le reconnaître, est l’un des seuls porte-voix de l’ « élite » des journalistes à avoir esquissé le début d’un commencement de bilan critique après la compagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen. Il le dit lui-même dans l’Humanité hebdo [2] : « L’idée [de l’émission] est née après ce qui est arrivé aux journalistes avec le 29 mai : la coupure qui s’est opérée entre le pays et nous nous a sauté à la figure. Et nos torts sont probablement réels et grands. Comment faire aujourd’hui pour dire, d’abord, qu’on a bien reçu le message et, ensuite, qu’on n’a pas forcément de réponse, mais qu’on cherche de nouvelles voies de passage ? » Et il revient sur cette période de « pédagogie » et sur le décalage entre le traitement du « oui » et celui du « non » : « J’assume pleinement cette erreur et cette faute d’analyse. Mais je tiens à dire qu’il n’y a jamais eu le projet délibéré d’être « la radio du "oui" ». » Alors, pourquoi un tel décalage ? « Il nous paraissait tellement naturel et évident qu’on ne peut pas voter contre la construction européenne, parce que c’est la paix, et tout ce fameux héritage depuis l’après-guerre pour construire un monde plus juste... » . Il aurait peut-être été utile qu’il y ait à l’antenne un éditorialiste favorable au « non », concède-t-il : « j’aurais dû dire : il faut qu’on ait les deux points de vue, le « oui » et le « non ». Mais je suis passé à côté de ça, malheureusement... »
Ce semi mea culpa permet à Paoli de se dédouaner, de mettre en scène cette nouvelle émission et de choisir - c’est tout un symbole - de donner rendez-vous au peuple... sur les Champs-Elysées pour aborder un « sujet de société » de grande importance !
Mais si le théâtre du Rond-Point est le lieu de rendez-vous entre les élites et le peuple, c’est aussi le lieu où Stéphane Paoli emménage pour faire des ménages. Et cela n’avait pas échappé à un auditeur attentif.
Nouvel attentat de l’auditeur (assidu) de PLPL
Le 1er novembre 2005, David, de Chambéry, a préparé une question-leurre [3] parfaitement ajustée au sens commun des commentateurs politiques : « Avec l’absence de solution au problèmes des banlieues, aux problèmes d’intégration, avec l’éclatement de la gauche et de la droite, ne risque-t-on pas d’avoir deux candidats populistes au second tour de la présidentielle en 2007 ? » Qui se transforme lors de son passage à l’antenne :
- David : « Bonjour ! Bravo Stéphane pour votre très tonique émission Baobab de dimanche au théâtre du Rond-Point... » br>
- Paoli : « Merci. » br>
- David : « Théâtre du Rond-Point que vous connaissez bien puisque vous y avez animé le 10 octobre une kermesse patronale organisée par un ancien PDG des Galeries Lafayette. Et au cours de cette kermesse vous avez été héroïque en donnant la parole à des gens qui étaient de fervents partisans du oui au référendum sur la Constitution Européenne, à savoir :
- la délicieuse patronne du Medef Laurence Parisot ;
- le fort accommodant syndicaliste François Chérèque ;
- les députés subversifs Lebranchu-Raoult-Pécresse-Blanc ;
- les experts iconoclastes et invités permanents des médias Cayrol et Wolton...
Vous avez en somme animé un fort beau ménage qui était aussi une fort belle opération politique. Alors, cher Stéphane, pourquoi avez-vous donc déclaré à Libération la semaine dernière que vous ne faites jamais d’opérations politiques ? »
« David » fait allusion à une « brève » parue dans Libération (25 octobre 2005) qui indiquait que « depuis plusieurs semaines, Stéphane Paoli est victime de harcèlement déontologique. Un auditeur (ou plusieurs), franchissant le filtre du standard de l’émission Radio Com (à 8 h 35 sur France Inter), lui reproche à l’antenne de « faire des ménages ». En clair d’accepter, en sus de son travail de journaliste, d’être payé pour animer des débats. » Faisant référence ici aux interventions sardoniques déjà relevées sur Acrimed et dans PLPL, sans mentionner ses sources [4], Libé offre simplement un droit de réponse, légitime mais déguisé à Stéphane Paoli : « Cela m’arrive de faire des ménages. Mais je me fixe une règle : jamais d’opérations politiques ! » « Jamais d’opérations politiques » ? : mis en cause sur ce point, Stéphane Paoli affecte de ne pas entendre et répond à côté de la question. Reprenons.
- Paoli : « Alors c’est, alors aujourd’hui c’est David. la dernière il me semble me souvenir que c’était Patrick une autre fois ça a dû être Jean-François peut-être avez-vous été Alain dans une autre vie donc je vous ai déjà dit cher monsieur qui avancez donc toujours masqué que je vous ai répondu sur la question des ménages, sur la question de mes choix et de la conception que je me fais de mon métier vous continuez ben continuez...continuez...le le standard de France Inter reste ouvert il est ouvert aux questions et aux commentaires de ses auditeurs et comme vous pouvez le constater même aux vôtres et je vous souhaite une bonne journée.
Est-ce qu’on a un autre auditeur en ligne ? C’est Henri, bienvenue à vous Henri. »
Le ton enjoué de la réponse masque le refus de répondre, confirmé par une fâcheuse omission : sur le site de France Inter, par crainte peut-être que la version sonore de cet échange, ne passe à la postérité par nos soins, l’enregistrement de Radio com sur le site de France Inter avait censuré la question de David (à l’exception de la dernière phrase devenue ainsi incompréhensible).
Partenariats de service public
Si Stéphane Paoli est un bon partenaire, Elle l’est aussi. Reprenons. Un si grand évènement (« Baobab ») ne pouvait rester sans écho national. Dans le 7/9 de France Inter du lendemain matin, la revue de presse de Fabrice Drouelle signale un article de Elle (partenaire de l’émission, rappelons-le). Sur quoi porte l’article ? « Le look des politiques décrypté - l’habit fait-il le président ? ». Ce qui donne à Fabrice Drouelle l’occasion de féliciter au passage Stéphane Paoli (qui présente le 7/9) pour son émission de la veille... Qui dit « renvoi d’ascenseur » ? Il s’agit de synergies.
Elle justement, le 31 octobre 2005, s’intéresse à « Dominique de Villepin : L’athlète politique » dont la « baignade n’a qu’un sens : écraser Sarkozy en lui signifiant qu’il est le plus beau et le plus athlétique ». Pour sa part, Olivier Besancenot a « rendu la pauvre Arlette Laguiller ringarde » et « son look très cool contraste avec la légende du révolutionnaire au couteau entre les dents ». Elle relève que « certes, il lève le poing [...] mais il n’a pas le visage buriné ni des mains d’ouvrier ».
Toujours dans ce petit florilège, Dominique Strauss-Kahn a « un look d’intellectuel », « HEC et agrégé d’économie mais pas un crâne d’œuf », « pipe et veste en tweed »... Mais surtout, « en 2002 il n’est plus au pouvoir et il a connu des difficultés. DSK se retranche vers un look militant socialiste. Pas de cravate, pas de couleur, pas de veste fermée. Même l’embonpoint fait populaire » ... « Aujourd’hui, il a [...] des mains de rassembleur. Strauss-Kahn ne s’adresse plus à la gauche mais à la France ».
Préoccupé par la condition de la femme politique, à propos de Michèle Alliot-Marie : « Même avec un foulard, un joli tailleur et des gants (accessoires glamour), on dirait qu’elle porte l’uniforme »... « comment être sexy mais pas femme objet, crédible mais pas virago ». Et au sujet de Ségolène Royal : « Malgré elle, Ségolène Royal a longtemps gardé une deuxième couche stricte et austère. Cheveux longs, noués, des lunettes, pas de maquillage [...] elle s’habille alors comme une prof ! »... « Plus elle vieillit, plus elle est belle et sexy : une femme peut avoir des responsabilités et rester désirable » Le féminisme chez Elle est sans limite ! En guise de conclusion Laurent Fabius, « a le même problème que Giscard : voilà un homme qui n’est jamais aussi à l’aise que dans un costume de belle facture. Sa bête noire, c’est la décontraction ».
Elle et France Inter : un partenariat privilégié... Pour se rapprocher du peuple en parlant d’un sujet de préoccupation majeur : look et cosmétiques.
Mathias Reymond
(avec Christiane Flicker et le claviste de PLPL passé au Plan B)