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Quartiers populaires : Elkabbach, chargé de mission et de haine

par Benoit Chartron,

Sensible à toutes les formes de la souffrance sociale, soucieux de comprendre avant de juger, affranchi de tous les préjugés de caste, à commencer par les préjugés de sa caste, déniaisé à l’égard de toutes les religions, capable de se jeter - c’est le moment - au cœur des incendies pour en comprendre les causes, fort d’une longue expérience d’enquêteur tous terrains et d’interviewer toutes catégories, Jean-Pierre Elkabbach soumet depuis de (très) longues années les questions essentielles aux responsables politiques qu’il interroge. Comme on va le vérifier.

C’est parce que son sens aigu des situations et de son rôle l’oblige à la plus grande retenue et le rend attentif à toutes les formes de stigmatisation et de mépris ; c’est parce qu’il déteste les amalgames et les allusions haineuses, les propos et le ton discriminatoires que Jean-Pierre Elkabbach est un grand journaliste. Qu’on en juge...

Le 2 novembre 2005, à 8h 20, Jean-Pierre Elkabbach reçoit Nicolas Sarkozy sur Europe1

« Les barbus en longue robe blanche du service d’ordre musulman » [1]

Ecoutez...

Appréciez (extraits)....

[...]

- Jean-Pierre Elkabbach : - « Et vous savez ce qui est aussi terrible, monsieur le Ministre de l’intérieur, c’est qu’à Clichy ce sont les aînés, les grands frères qui ont contribué à ramener le calme. Autrement dit c’est un service d’ordre musulman. Et on a entendu hier, j’ai... on regardait les télévisions euh... on a même entendu Allah Ahkbar. Est-ce que ça veut dire que le communautarisme est en train de remporter une manche sur la république laïque et intégratrice, parce qu’elle en fait pas assez ?  »

Face à un spécialiste de la surenchère, Elkabbach choisit de taper encore plus fort. Les grands frères ? = le service d’ordre musulman. « Allah Ahkbar » ? = le communautarisme. Du coup, si c’est la police seule qui « ramène le calme », alors la République devient sans doute laïque et intégratrice.

- Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa : - « Non mais justement, quand la police réinvestit les quartiers, fait des interpellations pour séparer d’un côté les voyous, et de l’autre les jeunes, c’est bien la république qui fait son travail. Et je conteste formellement cette idée de service d’ordre musulman qui n’a rien à voir. Nous avons travaillé avec un certain nombre de médiateurs, médiateurs du quartier qui... »
- J-P. E. : - «  Barbus et en blanc...  »

Glabres et en bleu, c’est la République...

- N. S. : - « Non... »
- J-P. E. : - «  En grande gandouras en blanc. Mais on les a vus !  »

« On les a vus » : c’est le comble de l’horreur...

- N. S. : - « Non alors là vous voyez ça c’est... »
- J-P. E. : - «  On les a vus...  »

Bis.

- N. S. : - « Alors là vous voyez, voilà très exactement les conditions de l’amalgame. Respectez aussi nos compatriotes, et c’est pas parce qu’ils sont de confession ou de culture musulmane, qu’on doit les traiter de barbus, excusez-moi. Ça n’a... ça... Alors à mon tour de vous dire...  »
- J-P. E. : - « D’accord... »
- N. S. : - « ...très respectueusement monsieur Elkabbach de surveiller vos expressions, pardon. »
- J-P. E. : - « D’accord, mais quand ils portent la barbe et la loonngue [insistant] robe blanche, et qu’ils disent du calme au nom de l’islam, et au nom du Coran, c’est qu’ils ont un service d’ordre musulman qui vient renforcer la police !  »

Religieux de toutes les confessions, abolissez vos signes ostentatoires... et n’aidez pas la Police.

- N. S. : - « Non, ce n’est pas exact. Il se trouve qu’on a eu un problème particulier à la mosquée de Clichy. Il n’est pas anormal que l’Imam de la mosquée de Clichy, alors même qu’il y avait des affrontements entre un certain nombre de voyous et les forces de l’ordre devant la mosquée, il n’est pas anormal qu’à ce moment-là il soit intervenu pour appeler au calme.  »
- J-P. E. : - « Qu’est-ce que vous avez pensé des, si je peux appeler ça des remontrances, votre collègue Azouz Beggag , vous l’avez vu quelquefois euh... Pourquoi vous l’appelez pas en banlieue, pourquoi il n’y va pas, d’autant plus qu’il parle l’arabe, lui...  »

Parce qu’en banlieue, selon Elkabbach, tous les jeunes parlent arabe, et Azouz Beggag est « tout naturellement » désigné pour leur parler, en tant que digne représentant de ces autochtones... pas vraiment français ?...

- N. S. : - « Non, mais écoutez c’est à lui qu’il faut demander pourquoi il n’y va pas, ce n’est pas à moi. »
- J-P. E. : - « Mais est-ce qu’il vous a facilité la tâche ? »
- N. S. : - « Non. »
- J-P. E. : - « Est-ce qu’il a, à votre avis, il y est allé parce que... ou il a parlé, il est intervenu parce qu’il a reçu des consignes ? Puisqu’il est ministre de l’égalité des chances... »[...]

Deux jours plus tard, le 4 novembre 2005, Jean-Pierre Elkabbach reçoit Bertrand Delanoë sur Europe1

« Les liens entre les caïds et l’intégrisme puisque des appels au calme sont scandés par Allah Ahkbar » [2]

Une nouvelle occasion d’enregistrer l’imperturbable continuité de ton, d’un entretien à l’autre, du grand professionnel qui, après quelques minutes, pose la question-que-tout-le-monde-se-pose.

Ecoutez...

Appréciez (extraits) :

- Jean-Pierre Elkabbach : - «  Euh est-ce qu’il existerait un lien, selon vous, Bertrand Delanoë, entre les caïds de ces banlieues, les petits chefs etc... et l’intégrisme, puisqu’on a observé que des appels au calme sont scandés souvent par "Allah Ahkbar" ?  »

Tout appel au calme émanant d’une autorité religieuse est donc assimilable... à de l’intégrisme.

- Bertrand Delanoë : - « Écoutez je crois qu’on mélange tout. Il y a un problème de mal-vivre, il y a un problème social. Il y a un problème de confiance dans un certain nombre de quartiers de certaines villes de la région parisienne... »
- J-P E. : - « Oui mais vous ne me répondez pas !... »
- B. D. : - « Mais non mais attendez !  »
- J-P E. : - «  Vous ne me... Vous connaissez ce milieu !  »

Ce « milieu »...

- B. D. : - « Mais parce que vous êtes en train de faire un amalgame mon cher Jean-Pierre Elkabbach. Vous êtes en train de mélanger des phénomènes religieux, ou vous faites peut-être, involontairement évidemment, un amalgame entre une religion et quelques extrémistes, nous sommes le jour de l’Aïd. Le lendemain, mais ça dure plusieurs jours... comme Noël... »
- J-P E. : - «  Je sais, vous êtes allé prendre du thé...  »
- B. D. : - « C’est, aujourd’h... »
- J-P E. : - « ... des pâtisseries, du miel chez les musulmans de Paris, oui !  »
- B. D. : - « Mais vous plaisantez ! Mais comment vous réduisez les choses !  »
- J-P E. : - «  Mais non !  »
- B. D. : - « C’est la deuxième religion...
- J-P E. : - «  ...vous êtes allé les voir !  »

Aller les voir ? Quelle horreur ! Ainsi, Bertrand Delanoë connaîtrait bien le milieu des intégristes... puisqu’il a été prendre du thé chez les musulmans de Paris...

- B. D. : - « Jean-Pierre Elkabbach, c’est la deuxième religion de France ! C’est évidemment mon rôle de maire de Paris d’être à côté de cette composante de la société parisienne, comme je suis à côté des autres composantes de la société parisienne, et moi je peux vous dire que cette fête de l’Aïd aujourd’hui, dans la communauté musulmane, c’est tout simplement la solidarité, la joie d’être ensemble, comme les chrétiens fêtent Noël... »
- J-P E. : - « C’est ce que j’ai dit... »
- B. D. : - « Et donc... »
- J-P E. : - «  Qu’est-ce qu’ils réclament de la République. Qu’est-ce qu’ils...  »
- B. D. : - « Ne faisons... Tout à l’heure on était sur l’amalg... Attendez on passe une question sans traiter la précédente. Vous parliez à la fois de réseaux de mafieux, et vous avez raison il faut les combattre, et d’intégrisme : ce n’est pas la même chose ! [...] Ne faites pas un nouveau cinéma, un nouveau spectacle ! Ayons une action de fond pour donner... »
- J-P E. : - « Mais à qui vous parlez là ! A qui vous parlez, vous dites, ne faites pas de cinéma ! Je vous en prie ? Arrêtons ! Arrêtons ! Parce que... »

La colère de Jean-Pierre Elkabbach est émouvante, pathétique même... ou surjouée. Elle participe, elle aussi, du « cinéma » : la construction de confrontations spectaculaires, à défaut de débats argumentés.

- B. D. : - « Ah non, non, non mais pas vous ! Pas vous ! Ils disent... Ils disent au pouvoir...  »

Delanoë bat en retraite... Mais ce n’est pas fini...

- J-P E. : - « Assez ! Il faut arrêter de pratiquer l’amalgame [sic !] [...]  »

Sans amalgame donc, le « dialogue » continue quand, quelques instants plus tard, Elkabbach revient sur « l’incident » avec l’arrogance qui lui va si bien :

Ecoutez...

Appréciez (extraits) :

- J-P E. (olympien) : - « Ça va ? Ça va, vous êtes calmé ? » <
- B. D. : - « Et vous ? »
- J-P E. : - « Moi non, très bien. Parce que vous deviez... Vous ne vouliez pas mettre de l’huile sur le feu et puis Paf ! »

Extraordinaire ! C’est Delanoë qui a « jeté de l’huile sur le feu »...

- B. D. : - « Non, je ne mets pas de l’huile sur le feu, je fais attention à la manière dont on parle de tout ça, Jean-Pierre Elkabbach, et célébrer l’Aïd, ce n’est pas seulement aller boire du thé avec des petits gâteaux.  »
- J-P E. : - « Mais c’est... C’est pas une critique, c’est très bien et beaucoup auraient du aller célébrer l’Aïd. Et ce que je voulais dire... »

La dénégation désinvolte - « C’est pas une critique » - révèle un cynisme sans borne qui permet d’absoudre une première agression... en préparant les suivantes.

- B. D. : - « Comme Noël, Hanouka, et n’oublions pas ceux qui ne sont pas croyants... »
- J-P E. : - « Absolument, je dis parce que vous connaissez bien tous les milieux religieux de Paris et de la région parisienne. Euh... Mais vous avez bien dit tout à l’heure, que c’est à l’Etat, aux élus, aux médiateurs, plutôt qu’à des responsables religieux d’avoir à ramener la paix et à faire réussir l’intégration dans ces quartiers difficiles...  »
- B. D. : - « Mais là aussi, on va trop vite sur... Toute, comment dire, dérive de la place du religieux dans notre société républicaine est effectivement un péril. Mais en même temps, pourquoi les forces spirituelles n’auraient pas un rôle à jouer dans notre société. Vous croyez que la religion catholique, que la religion juive, [...] n’a pas un rôle à jouer dans le domaine social ? Actuellement dans nos villes, beaucoup d’associations qui sont d’inspiration spirituelle, jouent un rôle extrêmement utile dans la solidarité, quelles que soient les religions d’origine. »

Elkabbach n’en avait pas fini pour autant. Une nouvelle occasion de briller lui est donnée quand est abordée la question des candidatures à la candidature pour la présidentielle de 2007 au sein du PS, et en particulier celle des candidates.

« Allah Ahkbar ? On va pas finir comme ça ! »

Appréciez...

- B.D. : - « Et donc je prends en considération les candidatures féminines comme les candidatures masculines. Il y a Ségolène, il y a Martine Aubry et puis il y a aussi des hommes qui sont candidats... Comme on dit dans le pays où je suis né, Inch’ Allah.  »
- J-P E. : - «  Oui, tiens vous aussi ? Allah Ahkbar ? On va pas finir comme ça !  »
- B. D. : - « Non, ce n’est pas du tout la même chose ! »
- J-P E. : - «  On va pas finir comme ça !  »
- B. D. : - « Jean-Pierre Elkabbach, vous venez de faire un autre amalgame ! »
- J-P E. : - «  Inch’ Allah ! C’est toujours l’appel à Allah...  »
- B. D. : - « C’est pas du tout ça... »
- J-P E. : - «  Mais c’est la même chose, je continue et je dis Allah est grand !  »
- B. D. : - « Allez ! Comme vous êtes un homme extrêmement cultivé...  »
- J-P E. : - « Merci ! »
- B. D. : - « Vous savez que, y compris... »
- J-P E. : - «  Essayez de vous rattraper...  »
- B. D. : - « Pas du tout ! Les gens qui ne sont pas, par exemple : vous avez des non-croyants français qui disent Dieu merci. Ça vous arrive de le dire ? »
- J-P E. : - «  Non euh rarement, je suis trop laïque, je n’appelle pas Dieu n’importe comment et à n’importe quel moment.  »
- B. D. : - « Mais c’est bien, mais la croyance de certains de nos concitoyens fait partie de notre culture commune, cher Jean-Pierre Elkabbach. »
- J-P E. : - «  Grâce à Dieu vous avez été très bien ce matin, merci !  »
- B. D. : - « Hé mais vous le dites ! » [Grâce à Dieu]
- J-P E. : - « Et quelle colère, on parlera une autre fois de Paris, bonne journée, bon week-end et n’oubliez pas dimanche le grand rendez-vous d’Europe 1 avec TV 5. »

On l’a compris : aucune chance, parce que « trop laïc », que Jean-Pierre Elkabbach invite dans son émission des représentants religieux, à commencer par les imams et leur longue robe blanche si détestable à ses yeux. Pourtant...

Pourtant, le 1er novembre, jour de la Toussaint, Marc Tronchot, remplaçant ce jour-là de J-P. Elkabbach, absent pour cause de laïcité sans doute, invite le père Stanislas Lalanne, secrétaire général de la conférence des évêques de France, dont on ne saura s’il a revêtu une longue robe pour venir s’exprimer dans les studios d’Europe 1.

Il suffit de relever les questions posées pour comprendre que la critique des religions, voire l’anticléricalisme, sur Europe 1, sont à géométrie très variable. Quel est le rôle de l’Eglise catholique dans les cités ? La question va de soi... et en suscite quelques autres. Petit florilège de questions « laïques » :

Marc Tronchot :

- « [...] Monseigneur Lalanne, Toussaint, c’est un message spirituel qui cadre mal avec la réalité que nous connaissons, d’une société hyper violente. Vous vivez l’actualité comme nous, que vous inspire, qu’inspire à l’homme d’église par exemple la situation que vivent les habitants de Clichy-sous-Bois depuis plusieurs jours ? »
- « L’église peut être missionnaire dans les cités ou c’est une vue de l’esprit ? »
- « Vous allez, monseigneur Lalanne participer, dans les jours qui viennent, à l’assemblée plénière des évêques de France. Parmi les thèmes qui seront abordés, il y a une réflexion sur ce qui fonde nos modèles familiaux. Est-ce que vous trouvez qu’il y en a encore des modèles, ou sinon est-ce qu’il est pas grand temps d’y revenir ? C’est ça le message... »

Manifestement, sur Europe 1, certaines médiations religieuses sont mieux tolérées que d’autres...

N’en doutons plus : c’est bien, comme on l’a dit, parce que son sens aigu des situations et de son rôle l’oblige à la plus grande retenue et le rend attentif à toutes les formes de stigmatisation et de mépris ; c’est parce qu’il déteste les amalgames et les allusions haineuses, les propos et le ton discriminatoires que Jean-Pierre Elkabbach est un grand journaliste. Et qu’il est allé à l’essentiel pour comprendre la colère des jeunes des quartiers populaires...

Benoit Chartron
(avec Yves Rebours)

 
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Notes

[1Ce n’est pas une citation, mais une synthèse...

[2Citation ramassée

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