Accueil > Critiques > (...) > D’un Monde à l’autre (2004-2014)

Lu, vu, entendu : « De l’ancien au nouveau Monde »

En attendant plus et mieux sur la nouvelle formule du Monde, quelques bribes de continuité dans le changement et de changement dans la continuité.


Préface - Arnaud Lagardère, membre du conseil de surveillance.

Dans Le Monde daté du 29 octobre 2005, cette annonce en dernière page :
« L’Assemblée générale du Monde SA a voté, jeudi 27 octobre, une augmentation de capital qui conclut avec succès l’ensemble du plan de restructuration économique et financière décidé à l’automne 2004. Le groupe Lagardère et le groupe espagnol Prisa ont apporté, chacun, 25 millions d’euros en numéraire, et le groupe italien Stampa 2,5 millions d’euros. Une tranche de 10 millions d’euros est réservée aux actionnaires déjà présents au capital. L’assemblée générale a désigné en qualité de nouveaux membres du conseil de surveillance du Monde SA, trois représentants du groupe Lagardère (Arnaud Lagardère, Dominique D’Hinnin, Gérard de Roquemaurel), deux représentants du groupe Prisa et un représentant du groupe Stampa. »

I. C’était l’ancien Monde

Avant le 7 novembre...

Complaisant - Leçons croisées de journalisme entre le Nouvel Obs et Le Monde

Dans un article intitulé « La leçon de journalisme du patron du Nouvel Obs », paru dans Le Monde daté du 21 octobre 2005, Laurence Girard relate, avec une rare complaisance, l’intervention de Claude Perdriel (PDG du Groupe Nouvel Observateur) devant les élèves du Centre de formation des journalistes (CFJ) sur sa vision du journalisme. L’intervenant est une sommité, patron et « fondateur de l’hebdomadaire de gauche » et la conférence s’est déroulée « à l’Hôtel de Ville de Paris (...) les locaux de l’école de la rue du Louvre s’avérant trop étroits ». Toutes les conditions étaient donc réunies pour que cette « leçon inaugurale », qui s’adressait à la future élite du journalisme, c’est-à-dire « aux élèves du Centre de formation du journalisme (CFJ) » soit aussi grandiose que le cadre qui la recevait. L’article de Laurence Girard commence par une information de première importance fournie par Perdriel : « Je ne me suis jamais senti le droit de lancer des leçons, mais pour avoir exercé ce métier de journaliste pendant quarante-quatre ans, j’ai quelques idées et aussi beaucoup de questions. » Commentaire : « L’auditorium aux fauteuils rouges est plein, l’auditoire attentif. » Il est vrai qu’il ne va pas être déçu par l’amoncellement de banalités et de demi-vérités qui va suivre.

La définition du journaliste ? « Un historien du temps présent ». Novateur... Et de souligner : « l’importance du rôle de " contre-pouvoir" que doit jouer la presse en démocratie. » Original... « Pour aussitôt pointer du doigt les excès du "quatrième pouvoir" : "Si un journaliste veut être un pouvoir, il sort de son métier." ». Audacieux... Et ça continue : « Aux Etats-Unis, lors de la guerre en Irak, " la presse américaine a été intoxiquée par une opération de désinformation sans précédent, souligne M. Perdriel. Mais, aujourd’hui, elle est revenue sur ses erreurs. " ». Jusqu’à la prochaine guerre... « De même la presse française doit tirer les leçons de l’affaire Allègre : " La crise de la presse a créé un danger. La publicité manque, la vente au numéro baisse, il y a une volonté de créer l’événement, le scoop, quitte à déformer l’information. Or le lecteur a besoin d’avoir confiance. »

Parmi toutes les informations omises par Laurence Girard, ces propos, mais hors leçon, de Claude Perdriel : « Si je crois à la qualité de l’information d’un journal, je crois et j’accepte plus facilement les pages de publicité que je lis. De plus, comme les articles sont plutôt longs chez nous le temps d’exposition à la page de publicité est plus grand. » [1] Ou encore à l’occasion du changement de formule de son magazine économique Challenges : « Je vise 250 pages de pubs supplémentaires. Je crois comme les autres à une embellie du marché en 2006. »  [2]

On vous épargne la suite. On se demande encore quel est l’intérêt d’un tel article. Une leçon, ces propos dignes du Café de Commerce ouvert en permanence aux journalistes bien-pensants ? Sans doute émerveillée par une telle démonstration, Laurence Girard oublie quelques informations qui auraient pu éclairer les lecteurs du Monde. Par exemple que Le Monde et Le Nouvel Observateur contribuent au financement du CFJ via la taxe d’apprentissage, et qu’avec d’autres médias dominants, ils en contrôlent le conseil d’administration. Ou encore que Le Monde est actionnaire du Nouvel Observateur et réciproquement, et que Jean-Marie Colombani tient depuis plusieurs années une chronique hebdomadaire dans le magazine économique Challenges, dont le propriétaire n’est autre que... Claude Perdriel.

En relatant cette leçon sur rien, Le Monde a publié involontairement une leçon de journalisme sur Le Monde.

Rapace - Les anciens tarifs de la démocratisation de la lecture.

L’émission de France Culture, « Le Premier pouvoir », diffusée le 12 novembre 2005, était consacrée au Monde et à sa nouvelle formule lancée le 7 novembre 2005. A cette émission, participent à la fois Eric Fottorino et Philippe Cohen. Un passage révélait le tarif mondesque de la démocratisation de la lecture :

 Elizabeth Lévy : - Je voudrais vous [Eric Fottorino] faire écouter un témoignage. Il s’agit du passé. Il s’agit du président de l’association « 24 heures du Livre » au Mans. C’est quelqu’un qui s’occupe du Salon du Livre au Mans et qui nous a raconté les mésaventures qui lui sont arrivées avec votre journal dans la préparation de l’édition 2004. Il s’appelle Thierry Hubert.

 Thierry Hubert : - Disons que l’année dernière avec Le Monde nous avons souhaité avoir un article dans Le Monde. Précédemment, nous avions un accord avec le service commercial qui, en échange d’une publicité, on lui donnait un stand sur notre espace. Là, nous avons voulu avoir un article dans Le Monde. Donc, on a travaillé avec notre service de presse des gestes pour avoir cet article. Et on nous a dit que ce serait possible d’avoir un article dans le supplément du Monde de jeudi, « Le Monde des Livres », mais qu’en échange, on se devait d’acheter environ 3 000 exemplaires du « Monde des Livres » qui était daté du jeudi d’avant la manifestation plus un certain nombre d’abonnements au Monde et à Courrier international, ce qui en gros revenait à une somme de 9 000 euros. On l’a fait parce que, bon, en discutant un petit peu avec M. le Maire et les responsables d’association, pour nous Le Monde ça représente quand même au niveau du livre une image, un apport et on pensait que, pour le salon, ce serait bénéfique. Mais on s’est rendu compte que l’article qu’on nous avait donné était quand même un article assez petit et en plus un peu erroné sur certaines choses. Mais on a mesuré aussi que ça avait un impact assez limité dans la mesure où ça n’apparaissait pas et qu’à la limite, on aurait mieux fait carrément de continuer à acheter des pages de publicité dans ce cas-là. On se faisait une image d’une éthique de la presse et puis d’une certaine indépendance, et là on s’est rendu compte que c’était un échange commercial et qu’on ne portait pas d’intérêt à notre salon véritablement, mais plutôt à un moyen financier de récupérer de l’argent. Ce qui nous a un peu choqués. La preuve, c’est que cette année on préfère ne pas avoir d’article dans Le Monde plutôt que comme ça. Dans ce cas-là, on s’est contenté d’acheter cette année une publicité. C’était comme ça clair et net. C’était un échange publicitaire.

Tous cela c’est le passé, nous a-t-on assuré. En tout cas, Eric Fottorino n’était pas au courant. Mais qui l’était ? Et qu’est-ce qui nous assure que de telles pratiques, dont Le Monde n’a certainement pas le monopole, ne vont pas se poursuivre, au Monde et ailleurs ?

Impitoyable - Les stagiaires, armée de réserve des entreprise de presse.

Sous le titre « Les stagiaires, armée de réserve de l’entreprise », Le Monde du 5 novembre 2005 publiait, une très intéressante enquête de Frédéric Potet qui donnait la parole à une « chargée de clientèle au sein d’une "grande société financière" dont elle préfère taire le nom de peur d’être reconnue » et précisait à son propos : « Comme elle, de plus en plus d’étudiants de l’enseignement supérieur occupent de véritables emplois dans les entreprises. Le ralentissement de l’activité a donné naissance à une nouvelle main-d’œuvre aussi vulnérable que corvéable, en marge de toute statistique ». Une situation intolérable que l’auteur dénonce en citant les propos d’une enseignante : « "Un stagiaire payé 365 euros par mois est non seulement moins cher qu’un CDD, mais aussi qu’un esclave qu’il faut nourrir, loger et habiller !", fulmine Catherine Lubochinsky, professeur d’économie à l’université Paris-II-Assas. Parce qu’elle n’accepte pas de voir ses étudiants servir d’"armée de réserve", cette enseignante est l’une des rares à dénoncer ce qu’elle décrit comme un système d’emplois déguisés.  » Et, l’auteur de cet article bien documenté de poursuivre : « Pour en prendre la mesure, rien de tel qu’Internet. Sur la plupart des sites de petites annonces, les offres de stages sont presque aussi nombreuses, désormais, que les offres d’emplois. Leur contenu est également très proche. » Et encore : « Si aucun secteur ne semble épargné, certains sont connus pour utiliser des bataillons de stagiaires qu’ils paient des clopinettes. Il en va ainsi de la communication , des médias , de la publicité, de la culture, de l’édition... Mais aussi de nombreuses PME nées lors de l’éclosion des start-up. »

Les médias ? Oui, les médias... Tout ce que dit cette enquête (qui mériterait d’être citée intégralement) est applicable aux entreprises médiatiques. Une prochaine enquête ?

II. C’est le nouveau Monde

Le 7 novembre 2005, parution de la nouvelle formule. En attendant de l’étudier dans le détail, quelques indices de « changement dans la continuité » et de continuité dans le changement.

Innovant - «  Le Monde change de peau »

C’est le journal permanent du Nouvel Observateur (nouvlobs.com) du 7 novembre qui le dit : «  Le quotidien lance aujourd’hui une nouvelle formule avec plus de photos, moins d’articles, de la couleurs et des caractères plus gros. ».

C’est un résumé exact et très confraternel du résultat d’une démarche présentée ainsi dans le Journal du Dimanche de la veille : « [...] Après avoir constaté "une très forte adhésion au concept des annonceurs", Jean-Marie Colombani attend demain pour savoir si les lecteurs adhéreront eux aussi à cette nouvelle formule. Il a investi quatre millions d’euros dans sa campagne de pub, basée sur toute une série d’anagrammes. »  [3] Les annonceurs d’abord, les lecteurs ensuite...

Amnésique - La croissance chilienne stimulée par les réformes de la dictature.

Mais oui, c’est du moins ce que rapporte Le Monde, mais sans le dire. Le titre d’un superbe article de la non moins superbe formule, paru le 8 novembre 2005, (p. 23) annonce la couleur : « La croissance chilienne est stimulée par les réformes menées depuis trente ans ». En clair, depuis que le coup d’Etat de Pinochet en 1973 a pris le temps de porter ses fruits. Bien entendu, l’article de Pierre-Antoine Delhommais ne fait pas une seule fois référence à ce contexte politique. Tout juste la fin évoque-t-il le consensus « de la classe politique » au sujet des « réformes ». Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse... libérale.

Scrupuleux - Un peu d’optimisme dans un univers de brutes

Le Monde du mardi 15 novembre, dans ses pages « économie », nous l’apprend, tout ne va pas si mal en France : « Des salariés plutôt satisfaits : Qu’il s’agisse du contenu de leur travail, de la stabilité de leur emploi ou de la situation économique de leur entreprise, les salariés qui ont été interrogés en novembre, dans le cadre de la septième édition de l’Observatoire du travail, expriment très nettement leur satisfaction avec des scores qui atteignent les 80%. » Qui l’eut cru ? Mais au fait, c’est quoi cet Observatoire du Travail cité par Le Monde ? Un organisme rattaché au Ministère du travail ? Non. Un département de l’ANPE ? Pas plus. Un collectif de sociologues ou d’économistes ? Allons, soyons sérieux ! Une sous commission des ASSEDIC. Que nenni. Alors ? L’Observatoire du Travail est le fruit d’un partenariat à trois, entre Bernard Brunhes Consultants - groupe BPI, l’Express et BVA. Cet organisme réalise 3 fois par an un sondage téléphonique, auprès d’un millier de personnes et le tour est joué.

Non content de nous livrer sans réserve des chiffres dont il conviendrait de situer la provenance, l’auteur de l’article les présente, de plus, à sa façon. « Pensent-ils [les salariés] que le contrat nouvelles embauches (CNE) va précariser le marché du travail ? Ils sont 67% à le prédire  ». Voilà une réponse qui n’est pas très positive, alors on la relativise car « 40% des salariés estiment néanmoins que le CNE devrait permettre de créer des emplois.  » Et si l’on se donne la peine d’aller consulter le sondage sur Internet, on constate que 58% des salariés interrogés répondent que le CNE ne permettra pas de créer des emplois. Mais pourquoi faire triste : il est plus gai de présenter le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide.

Angoissé - Par le « blocage » des réformes libérales en Allemagne

C’est le titre de l’éditorial du Monde des 13/14 novembre 2005 qui l’affirme : « Les Allemands paieront ». Indiscutable, à condition de préciser : « Mais certains plus que d’autres... ». Un détail qui importe peu à Gérard Courtois qui explose littéralement contre la frilosité du « contrat de coalition » : un contrat qui est « loin de conjuguer leurs forces pour proposer des réformes en profondeur du système économique et social allemand qui a particulièrement souffert ces dernières années de la mondialisation. » Quelles réformes ? On ne sait... Dans quel sens, on le devine : « Il aura fallu quatre ans à Gerhard Schröder pour se convaincre que les réformes de structure étaient indispensables pour sauver "l’économie sociale de marché" chère à l’Allemagne depuis soixante ans. Les réformes ont été commencées puis bloquées faute d’une majorité solide. Sans les remettre en cause, la grande coalition n’a pas eu le courage d’annoncer une accélération du changement. C’est une occasion manquée. » Un gouvernement dominé par la droite allemande trop timide ? Mouchoirs...

Et pour finir...

Des nouvelles du concurrent d’Alain Minc en plagiat servile

Sur le plagiat d’Ardisson, rien ou presque depuis notre article sur la couverture médiatique de sa rentrée littéraire. Simplement un long papier dans un grand hebdomadaire national... suisse : L’Hebdo L’article du 27 octobre 2005 (lien périmé) revient en détail sur l’affaire du plagiat et sur les mensonges perpétrés par l’animateur en noir de « Tout le monde en parle ».

Et en France ? Outre un petit reportage dans « Arrêt sur Images », un seul magazine a opéré une analyse de cette mésaventure. Le magazine ? Entrevue... créé par Thierry Ardisson en 1992. Dans un dossier de 5 pages, le mensuel présente quelques extraits plagiés, comparaisons à l’appui. On révèle aussi que le livre « Pondichéry » est toujours en vente sur Internet et « propre à générer des droits d’auteur même infimes... ». L’enquêteur Jean Robin, également interviewé, réaffirme ce que l’on sait déjà : « il a plagié au moins 60 pages, dont 90% sont du mot à mot. » Sous le titre de la revue, on peut lire : « Toutes les vérités sont bonnes à dire »...

Toutes ? En tout cas pas toutes pour Serge Raffy qui ne peut pas ne pas savoir et qui, pourtant, dans le Nouvel Observateur du 10 novembre 2005, flatte l’animateur sur une page entière. Extraits : « On rencontre, dans son autobiographie écrite dans un style très « Rock and Folk » à quatre mains avec Philippe Kieffer, une star de la télévision d’une lucidité clinique sur lui-même. (...) Derrière chaque haussement de ses sourcils en accent circonflexe, il y a trois décades de culture rock, une virée chez les punks, un délire initiatique à Bali, une histoire d’amour qui a résisté à tous les tsunamis, avec sa femme, Béatrice. » Et sur le plagiat puissance 10 révélé au grand jour ? Rien. Normal, Serge Raffy s’est rendu sur le plateau de « Tout le monde en parle » les 13/12/2003, 11/09/2004 et 12/03/2005... Et se prépare déjà pour un nouveau passage.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1 Stratégies, 16 décembre 2004, cité dans PLPL n°23, février 2005.

[2Aujourd’hui, 29 août 2005.

[3Alexandre Dinin, « Demain, le nouveau Monde », Le Journal du dimanche, 6 novembre 2005.

A la une