Le 2 novembre, Philippe Val revient sur un évènement qui a eu lieu sur le plateau de « Tout le monde en parle » diffusé sur France 2, le 16 octobre 2005, lors de la venue de l’écrivain Salman Rushdie. Grand admirateur de Salman Rushdie à qui il a déjà rendu hommage sur scène [1], il définissait, il y a quelques années, cette émission comme « une usine à tuer l’intelligence » [2] et expliquait que celui qui s’y rendait était un « mort ». L’invité « vend trois cent mille, certes, mais pas pour ce qu’il écrit. Parce qu’il est devenu un clown. » [3] Mais pour l’écrivain qu’il admire, c’est autre chose : « Rushdie qui vit en Angleterre, n’a aucune idée de qui est Ardisson. Il est envoyé par son éditeur pour parler de son livre. Il s’y rend naïvement comme à une émission littéraire. » [4] D’où l’on doit conclure, une fois encore, que lorsqu’on n’est pas un naïf, quand on est envoyé par son éditeur pour parler de son livre, c’est que l’on est un clown. Nouvel aveu de Philippe Val...
Un appel au CSA...
Peu importe, finalement ce qui dérange et enrage Philippe Val est que « Ardisson a jugé intelligent d’inviter en même temps Samy Naceri, l’acteur de "Taxi" connu pour ses opinions délicates, ses mœurs raffinés et ses convictions islamiques. » Jusqu’ici, rien d’apparemment nouveau, sauf que Philippe Val prête à Thierry Ardisson une intention que celui-ci n’avait peut-être pas, même si le dispositif de l’émission rend en effet possible tout et n’importe quoi pour que ... tout le monde en parle : « Sous la baguette de chef d’orchestre d’Ardisson, tout s’est passé, au fond, comme prévu. »
Qu’était-il prévu par Ardisson que Philippe Val sait ? Ceci : « Samy Naceri, en mimant le geste, a dit à Salman Rushdie que si un imam lui donnait de l’argent pour le tuer, il n’hésiterait pas à lui tirer une balle dans la tête. Salman Rushdie s’est alors levé, a retiré son oreillette, puis il est parti en disant qu’il ne remettrait plus les pieds dans une émission de télévision française. (...) Les séquences violentes et infamantes ont été coupées au montage. »
En effet dans la version diffusée de l’émission, on perçoit une animosité réelle de Samy Nacéri à l’égard de l’écrivain, mais rien ne laisse transparaître de telles menaces. Philippe Val, ce soir-là absent du plateau, raconte donc une anecdote qui lui a été rapportée par un ami éditeur, et remarque : « jusqu’à aujourd’hui, rien ne filtre du scandale qui s’est déroulé en coulisse, en présence de Gérard Darmon et de Véronique Samson. Cela s’est passé sur une chaîne du service public. A part un entrefilet dans le Parisien et une citation dans un article de Marianne, silence général. Personne n’est au courant. Ardisson va bien, merci. » Si personne n’est au courant, c’est aussi parce que la séquence a été coupée au montage et que tout le monde ne fait pas parti du petit monde de Val. Cet incident lui donne envie d’agir et d’encourager à une mobilisation générale : « la moindre des choses serait que l’on écrive massivement au président du CSA, Dominique Baudis (...) pour lui demander quelle suite il compte donner à cette histoire qui nous engage tous, puisqu’il s’agit du service public que nous finançons collectivement... » Pour justifier son appel, Philippe Val pose une question : « Laisserons-nous se perpétrer ici, dans l’indifférence, un autre assassinat de Théo Van Gogh ? » Avec l’aide du CSA, sans doute pas...
... pour une séquence qui n’existe pas
Il n’est évidemment pas question pour nous de défendre les émissions de type « Tout le monde en parle », et encore moins les propos tenus par l’acteur Samy Nacéri, qu’il s’agisse des propos tenus dans l’émission diffusée ou des menaces de mort qui lui sont prêtées sans que nous ayons aucun moyen de les vérifier.
En revanche, nous disposons, grâce à Philippe Val lui-même, d’un document sur les surprenantes méthodes journalistiques qui sont désormais les siennes... pour que tout le monde parle de lui. On peut au moins se poser deux questions :
- Si la scène a eu lieu, mais a été coupée au montage, sous quel motif faudrait-il solliciter le CSA - cette affaire relève plutôt de la justice - pour un événement qui n’existe pas dans les archives de la télévision ?
- Et si la scène a été coupée au montage, pourquoi tenter de le dissimuler, comme a tenté de le faire Philippe Val cinq jours plus tard, quand il a recyclé cette partie de son éditorial dans l’émission « Charivari » sur France Inter, le 7 novembre 2005 ? Que dit alors Philippe Val ? « L’émission d’Ardisson n’était pas en direct, on ne dispose pas de la totalité de ce qui s’est prononcé. » Pourquoi ne pas dire explicitement qu’il y a eu des coupures intentionnelles ? A la fin de la chronique, Frédéric Bonnaud, l’animateur de l’émission interroge Val : « Mais finalement, il a tout coupé ? » Réponse hésitante de Val qui n’a apparemment pas vu l’émission : « Non pas tout à fait... je crois qu’il y a un conflit sur le... » « Il en restait un peu ? » « Oui. ».
Thierry Ardisson, de son côté, dément les menaces de mort : « Il a été très agressif avec Rushdie, et j’ai coupé environ une agression sur trois, mais il ne l’a jamais menacé de mort. » (Libération, 10 novembre 2005). Après tout, on peut être plagiaire [5] et ne pas mentir en tout...
La montagne accouche donc de cette souris : Philippe Val en appelle au CSA pour une séquence qui n’existe pas d’une émission qu’il n’a pas vue, et pour des propos dont on ne sait pas s’ils ont été effectivement tenus lors de l’enregistrement !
« Quand cesseront-elles d’y aller ? »
Ce qui irrite singulièrement Philippe Val c’est que « tout le monde continuera a aller vendre ses petites affaires chez lui [Ardisson], puisqu’il fait vendre. Et même si l’on sait, on fait semblant de ne pas savoir, pour pouvoir continuer à jouir du privilège d’y paraître. » Apparemment, Philippe Val a la mémoire très courte... puisqu’il s’était déjà rendu sur le plateau de « Tout le monde en parle » [6] en octobre 2004 pour vendre « ses petites affaires ».
Une semaine plus tard [7], le directeur de Charlie Hebdo continue sa diatribe contre Ardisson : « Qu’attendre d’autre dans un pays où, sur un plateau de la télévision de service public, Ardisson organise une mise en scène au cours de laquelle Salman Rushdie se fait menacer de mort par Samy Naceri ? » Au final, en quoi consiste cette émission ? La réponse est limpide : à mettre « en présence des paranoïaques délirants et dangereux et des autorités morales ». Et de s’interroger, entre parenthèses, à propos de la venue de ces « autorités morales » : « (quand cesseront-elles d’y aller ?) ».
Philippe Val, premier concerné et habitué des émissions de même acabit (par exemple dans « Soyons Direct » sur M6 le 26 novembre 2004) ne répondra pas à cette question... de peur de devoir y retourner.
Et pendant ce temps-là, sur Paris Première...
... Une partie de l’équipe de Charlie Hebdo flânait chez Thierry Ardisson dans l’émission mondaine « 93, Faubourg Saint Honoré ». Cavanna et Wolinski revenaient sur les débuts de Choron, Cabu reconnaissait que Charlie ne tapait pas assez sur l’Islam (sic), Riss et Catherine ne disaient rien et Charb s’insurgeait contre les religions. Tout ça sous l’œil radieux d’Ardisson, ravi d’avoir chez lui cette petite brochette de « rebelles » qui lui servaient de caution et qui jadis le fustigeaient. Le repas était de très grande classe, pas de mots déplacés, les couverts bien rangés... On est loin du « Droit de réponse » du 2 janvier 1982, où Siné s’était battu avec ADG, collaborateur de Minute, où le Professeur Choron avait incendié les lycéens qui ne lisaient plus Charlie Hebdo, où Jackie Berroyer s’énervait contre les journalistes « sérieux » présents sur le plateau... En 1982, on enterrait Charlie « première époque » en direct, maintenant Charlie « deuxième époque » passe en différé à la télé pour se vendre. D’ailleurs, une caricature du dessinateur Charb, dans Charlie Hebdo du 27 mars 2002, faisait dire à Ardisson : « Mon métier ? Promouvoir le papier cul noirci par des étrons ». Du « papier cul » ? Pas d’accord, Charb : Charlie hebdo vaut malgré tout mieux que cela.
Mathias Reymond