« Le si brillant Pascal Lamy » : c’est ainsi qu’Olivier Picard a titré son article. Un titre apparemment ironique qui introduit, en réalité une hagiographie rédigée sur le ton badin de la première phrase, saupoudrée d’un zeste de chauvinisme : « Le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce n’a pas seulement la bonne idée d’être français. » Olivier Picard fait d’abord parler des témoins anonymes : « Il est très largement apprécié pour les qualités dont il fait preuve dans la nouvelle charge qu’il occupe depuis le début de l’été. » « Apprécié » par qui ? On ne sait. Mais la suite convoque massivement ces laudateurs, au nombre desquels, noblesse oblige, des diplomates inconnus.
« Ancien bras droit de Jacques Delors à Bruxelles, ancien commissaire européen au Commerce (de 1999 à 2004), Pascal Lamy, 58 ans, ne laisse personne indifférent. Cette étonnante mécanique intellectuelle qui fascine les diplomates par sa capacité à digérer les dossiers les plus complexes est également une intelligence aussi généreuse que rigoureuse. » Insensiblement, les éloges des témoins se confondent avec ceux d’Olivier Picard, pour des raisons qui reviennent, sans avoir l’air d’y toucher, à valider les thèses libérales du libre-échange réputé profitable à tous : « C’est parce qu’il est préoccupé par le développement des pays pauvres qu’il s’est battu et se bat encore pour réduire les subventions aux exportations agricoles, faire tomber les obstacles au commerce et ouvrir les échanges. »
Pour être efficace, une hagiographie doit mettre au compte de son bénéficiaire ... les critiques dont il fait l’objet et les obstacles qu’il surmonte. Olivier Picard ne procède pas autrement : non, Pascal Lamy n’a pas « que des amis, en particulier dans son propre pays où ses remarques sur l’incapacité de la France à ne pas respecter le pacte de stabilité avaient fortement irrité Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre. Pascal Lamy avait payé cher sa rectitude européenne. Jacques Chirac décida de ne pas soutenir l’insolent qui pouvait prétendre à la succession de Romano Prodi à la tête de la commission, et il ne l’aida pas davantage à s’emparer de la direction du Fonds monétaire international qu’il convoitait. »
Le moment est à présent venu pour notre portraitiste de donner sa pleine mesure : un autre paragraphe, intitulé « Socialiste atypique » (au fait, qu’est-donc, un socialiste « typique » ?), rend justice à celui qui a su triompher de l’adversité : « Mais notre homme a de la ressource et sa réputation d’habile négociateur doué d’un instinct très sûr du rapport de forces lui a permis de s’imposer à la direction de l’OMC. [...] » S’ensuit un descriptif dithyrambique : « Fin et drôle, cet excellent vulgarisateur qui manie un redoutable humour à froid avec un sourire pétillant de malice fait ses preuves aujourd’hui à la tête d’une organisation qui s’essoufflait. ». Et puis, l’air de rien, Olivier Picard en profite pour qualifier l’OMC de « grande institution », formulation délicieusement ambiguë ...
Vient alors le bouquet final : « Partisan inlassable d’une mondialisation maîtrisée et bête noire des altermondialistes comme d’une bonne partie de la gauche française, ce socialiste atypique voudrait conjurer, à Hong Kong, la fatalité de l’échec qui a caractérisé les derniers sommets de Cancun et de Seattle. Pour cela, il est prêt à jouer à la fois « au berger, à la sage-femme et à l’arbitre » sur la scène périlleuse de l’OMC. » Les « altermondialistes » et autres membres « d’une bonne partie de la gauche française », opposants à Lamy et donc à cette « mondialisation maîtrisée » dont ce dernier serait le héros, sont implicitement désignés comme les responsables de ce que Picard qualifie « d’échecs » de Seattle et Cancun. Il ne reste alors plus à Pascal Lamy qu’à se sacrifier, sous le regard ému d’un journaliste admiratif.
Qu’Olivier Picard apprécie à titre personnel Pascal Lamy est son droit le plus strict ; que cela se ressente dans un portrait de ce dernier n’est alors pas véritablement étonnant. Mais à dépeindre Pascal Lamy de manière aussi massivement favorable, on franchit un seuil décisif : celui qui contribue - sans le dire ouvertement - à faire d’un quotidien régional, en position de quasi-monopole dans sa zone de diffusion, et dont le pouvoir d’influence est donc considérable, un journal d’opinion.
Stanislas