Un an sans publicité ni annonces légales. C’est la sanction qu’a annoncée le président de région et de l’agglo, à l’encontre du quotidien régional. Quant aux médias locaux, ils se sont bien gardés d’informer, en détails, leurs lecteurs sur cette décision.
Elle est restée en travers de la gorge de Georges Frêche, la pleine page de Midi Libre du 7 octobre sur le bilan de ses 18 mois à la tête de la région. Il est vrai que le quotidien régional n’a pas fait dans la dentelle. « Les neufs tempêtes de l’ère Frêche » annonce le journal avec des titres d’articles à l’avenant : « Le naufrage de la Septimanie », « Ratés et malheur de la gratuité », « Couac féministe », « L’ombrelle prend l’eau », « Lourde absence », etc.
Et quelques heures après la parution du quotidien, la sanction ne s’est pas fait attendre [1]. A deux reprises et en public, le président de la région et de l’agglomération de Montpellier, annonce, le jour-même, qu’il coupe les publicités et les annonces légales - il aurait même prononcé le mot de « subventions » - à Midi Libre. Ses services nous ont confirmé que la mesure s’applique pour une durée d’un an, et pour les deux collectivités qu’il dirige.
« On a averti »
Bien sûr, un nouveau mouvement d’humeur de Georges Frêche à qui la lecture de la page a pu gâcher le petit déjeuner, ne peut pas être exclu. Mais si l’on en croit Laurent Blondiau, directeur de la communication de l’agglo, la décision était prévisible : « On a averti du plus bas au plus haut de la hiérarchie » de Midi Libre. Et que reprochent la région et l’agglo au quotidien ? « Il ne parlait jamais de la région en positif », se plaint Sylvain Jambon, directeur de communication de la région. Et son homologue de l’agglo de regretter que Midi Libre ne cherche pas suffisamment à recueillir la position des deux collectivités quand un article les concerne [2].
Pierre Serre, le patron de La Gazette, tente d’expliquer ces méthodes des politiques qui, selon lui, ne disposent d’« aucun moyen de rétorsion si ce n’est la pub ». C’est donc sans surprise que Sylvain Jambon résume ainsi la décision de Georges Frêche : « J’arrête de tendre la main qu’on me mord. » Car si le président de région considère la presse comme « un vecteur d’information » de la politique régionale, il y voit aussi « un partenaire » à qui on achète de l’espace « qui s’apparente à de l’aide à la presse », selon le directeur de la communication régionale, porte parole de son patron. Et comme celui-ci considérait que Midi Libre n’était ni l’un ni l’autre, le robinet a été fermé.
Des chiffres circulent sur les conséquences financières de la décision de Georges Frêche. On parle de 3 M€ même si cela paraît élevé. 500 000 € est sans doute un minimum. Et quand on sait que le résultat net du groupe des Journaux du midi - dont fait parti Midi Libre - était de 8 M€ en 2004, on se dit que la sanction n’a pas dû faire rire dans les étages du siège de Saint-Jean-de-Védas. D’autant que Sylvain Jambon, même s’il ne donne pas de chiffres sur les annonces légales, rappelle tout de même qu’en 2006, le plan lycées de la région prévoit la construction de 9 nouveaux établissements et la rénovation de 70 autres. Ce qui va impliquer le lancement de nombreux appels d’offre et donc la publication d’annonces légales. Ne parlons pas de l’agglo qui en est un gros pourvoyeur, du fait de ses compétences.
Il n’est pas le seul
On comprend pourquoi Jean-Paul Louveau, président du directoire de Midi Libre, déclarait sur France bleu Hérault le 31 octobre : « C’est quand même un peu dommage que le président de la région puisse effectivement menacer la presse locale -qui fait son travail- de punition, en utilisant les deniers publics. » Dommage mais pas nouveau. Déjà en 2001, une décision similaire de Georges Frêche aurait coûté près de 2 MF (300 000 €) à Midi Libre. Et il n’est pas le seul. Jacques Blanc qui se dit aujourd’hui « scandalisé par ces comportements », aurait appliqué les mêmes méthodes à La Gazette au cours de son dernier mandat. Selon Pierre Serre, ce fut « zéro franc zéro centime pendant 6 ans », conséquence de la position de l’hebdomadaire contre l’alliance de l’ancien président de région avec le Front national.
Bien sûr, aujourd’hui, à l’agglo et à la région, on se défend de vouloir intervenir sur la ligne éditoriale des médias. « J’ai trop de respect pour la presse pour lui mettre un fil à la patte », affirme Laurent Blondiau qui est aussi ancien journaliste. Tout comme Sylvain Jambon, d’ailleurs. N’empêche qu’avec cette décision, Georges Frêche sanctionne un journal parce qu’il n’aurait pas fait correctement son travail. Problème : le président est ici juge et partie. Jean-Paul Louveau sur France Bleu Hérault, comme Roger Antech, le directeur de la rédaction, en interne du quotidien, ont réaffirmé que tout cela ne changera rien au travail de Midi Libre. Et voudraient donc faire mentir François Léotard, ancien maire de Fréjus, qui déclarait : « Permettez moi de dire que, dans certains journaux locaux, les annonceurs que sont les maires, les présidents de conseils généraux, et je dis ça au syndicat national de la presse quotidienne régionale, ces journalistes-là sont esclaves de l’argent qui finance ces campagnes de publicité des maires et des conseillers généraux. » [3] (3)
Silence radio au Club de la presse
Il est en tout cas troublant de constater que la décision de Georges Frêche n’ait quasiment pas été mentionnée par les médias locaux, pourtant tous présents lors des manifestations où le président l’a annoncée. Sauf au détour d’une interview de Jean-Paul Louveau plus de 3 semaines plus tard (France Bleu Hérault, 31 octobre). Et dans un compte rendu d’une conférence de presse de Jacques Blanc qui avait abordé le sujet (L’Hérault du jour, 29 octobre). Au Club de la presse qui aurait pu s’indigner de telles pratiques, c’est silence radio. Il faut dire que le club est subventionné, notamment, par l’agglo et la région.
Alors la presse aurait-elle quelque chose à cacher ? Difficile de répondre sans avoir été en contact direct avec la direction de la rédaction des médias en question.
A l’intérieur de Midi Libre, nombreux ont cependant été les journalistes à s’étonner de la publication dans le quotidien du sévère rapport provisoire de la chambre régionale des comptes sur la gestion de Jacques Blanc. Et ce, seulement 18 jours après l’annonce de la sanction de Georges Frêche à l’encontre de Midi Libre. Autre motif d’étonnement : la place accordée au contenu du rapport et le niveau de détails. Un moyen de faire revenir le président de région à de meilleures dispositions vis-à-vis du quotidien régional ?
Meilleures dispositions que certains reprochent à La Gazette, en l’expliquant par la quantité importante de publicité et d’annonces légales passée par les collectivités dans l’hebdomadaire. Pour Pierre Serre, la raison est ailleurs : « Je ne peux pas cacher que Frêche m’est sympathique. C’est un bon gestionnaire. » Dans ce contexte, on comprend que la question de supprimer pub et annonces légales à La Gazette ne se pose pas au président de la région et de l’agglomération.
A L’Hérault du jour, j’ai pu observer de près la pression de la publicité institutionnelle sur la rédaction, puisque j’y ai travaillé. Cela ne signifie évidemment pas que ce soit le seul journal à la subir. En février 2004, j’avais réalisé une interview de Nicole Moschetti-Stamm dans laquelle l’élue Verts mettait en cause le fonctionnement de l’agglo [4]. La direction de la rédaction a pris la décision de ne pas la publier. Argument d’un des deux responsables : « Je n’ai pas envie de retomber dans les problèmes de pub comme il y a deux ans. »
Mais ceci n’a rien de surprenant quand on sait qu’une note d’avril 2004, de la direction marseillaise de la rédaction, adressée à l’ensemble des agences, indiquait : « Nous vous rappelons que tous les articles qui concernent de près ou de loin, un annonceur du journal, [puis en gras souligné ...] doivent être avalisés par la direction du journal impérativement avant insertion. » [5] A la décharge du quotidien, il faut souligner ses moyens modestes et le peu de publicités dont il bénéficie. Ce qui le rend d’autant plus sensible à la perte éventuelle des annonces des collectivités.
Pierre Serre avec sa Gazette qui est, elle, dans une situation économique plus confortable, a la solution : « Il ne faut pas faire ses budgets d’exploitation » en se basant sur les rentrées en provenance des collectivités. Pour lui, ce doit être « la marge qui permet le développement ». Une marge qui aurait représenté en 2004 environ 8 % de son chiffre d’affaire annonceurs. Alors perdre ça, « c’est embêtant mais ce qui est plus grave, c’est de perdre ses lecteurs ». Midi Libre se reconnaitra peut-être.
Jacques-Olivier Teyssier, br>
L’Accroche n° 5, novembre 2005.
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