Accueil > Critiques > Les médias

L’état des médias en 2005 en France : L’année la plus noire ... (SNJ-CGT)

Un communiqué du SNJ-CGT (Acrimed)

En France, 2005 aura été l’année la plus noire pour les médias depuis 60 ans, c’est-à-dire depuis l’adoption des ordonnances de 1944 sur la presse.

L’année a été marqué par la poursuite effrénée des concentrations dans la presse écrite et dans l’audiovisuel ou chez les opérateurs de télécommunications et de diffusion, l’entrée des industriels et des financiers dans le capital des grands quotidiens nationaux, des fonds de placement et des fonds de pension dans les entreprises de presse en difficulté, la fermeture de titres et de chaînes, le « dégraissage » des rédactions, les atteintes répétées contre l’indépendance des journalistes, les perquisitions dans les rédactions et au domicile des journalistes, les dérapages, la priorité donnée au traitement de l’information « people » ou aux faits divers plutôt qu’au social et la transformation des médias dominants en autant d’instruments partisans de propagande, notamment pendant la campagne du référendum sur le traité constitutionnel européen ou avec les faits et gestes du ministre de l’intérieur (voir ci-dessous).

Ces événements graves se sont déroulés dans une atonie incompréhensible de la majorité des formations politiques démocratiques, donnant l’impression d’avoir capitulé face aux nouveaux maîtres des médias ou oublié des engagements antérieurs de « soustraire l’information à la domination de l’argent ».

Les atteintes à la liberté d’informer ont été si nombreuses et ont paru si inéluctables sous la pression de l’économique, qu’elles ont semblé normales. Mais quand la banalité atteint un tel degré, c’est que les esprits ont été gravement anesthésiés par la propagande ultralibérale.

Que l’information soit devenue une marchandise comme les autres devrait interpeller les démocrates ; que les médias soient quasiment tous au service du libéralisme antisocial et des financiers avides de rentabilité à deux chiffres met en cause la crédibilité de l’information et, par voie de conséquence, les journalistes.

Les nombreuses luttes dans les rédactions, différentes dans leurs formes, pour s’opposer au nouvel ordre des choses, ont montré que, dans leur grande majorité, les journalistes aspirent à informer autrement et à libérer l’information. Mais, seuls, ils sont insuffisamment armés.

La lutte pour une information complète et pluraliste est un combat de tous les démocrates et pas seulement d’une catégorie professionnelle.

Le SNJ-CGT appelle les journalistes à le rejoindre pour imposer une information pluraliste et citoyenne dans chaque rédaction et dans tous les médias, au service exclusif des citoyens. Il appelle la profession à entrer en résistance et à dénoncer toutes les atteintes à l’intégrité de l’information, à s’opposer à tous les traitements partiaux des faits, à imposer une véritable hiérarchisation de l’information, à ne plus accepter les diktats des services de marketing, de publicité ou à la mesure d’audience.

C’est par la lutte au quotidien que les organisations syndicales de journalistes retrouveront l’autorité suffisante pour interpeller les organisations politiques et les élus du peuple pour les contraindre à agir.

Rappel des principaux événements en 2005

Quotidiens nationaux
- Le Monde : 10 janvier, la direction annonce l’arrêt du Monde initiatives (après celle d’Aden le 22 décembre 2004), 27 salariés, dont 21 pigistes sont licenciés ; le 8 mars, la Société des rédacteurs vote à 63,5 % des voix l’entrée de Lagardère dans le capital.
- Libération : 20 janvier, annonce de l’entrée de Rothschild dans le capital ; 21 novembre, grève du personnel et, après une motion de défiance, July menace de démissionner.
- France-Soir : 27 octobre, Ramy Lakah se déclare en cessation de paiement.
- Le Parisien : 17 mars, licenciement de Jacques Espérandieu, 85 % des journalistes votent une motion de défiance contre la direction ; 5 septembre, lancement du supplément économie, réalisé en partie par des agences de communication et dont certains exemplaires sont imprimés en Espagne.

Presse régionale
- La Voix du Nord - Nord-Elair : 30 août, annonce de la vente du groupe (y compris la chaîne locale, Canal 9) au groupe belge Rossel.
- Ouest-France : 28 octobre, Bercy donne son feu vert au rachat du pôle Ouest de la Socpresse (Le Courrier de l’Ouest, Presse Océan, Le Maine libre, Nantes 7 et Angers 7)
- Centre France : 22 septembre, le groupe de la Montagne annonce un plan social au Berry Républicain (50 emplois supprimés sur 95)
- Lyon Capitale : 23 août, le Progrès cède son hebdomadaire à un groupe de capital - développement, Evolem, lequel licencie son directeur entraînant une grève des personnels en décembre. Evolem s’est déclaré, depuis, en, cessation de paiement.

Presse magazine, professionnelle et spécialisée
- Socpresse : 23 novembre, le groupe belge Roularta prend 35 % du groupe L’Express - L’Expansion ; auparavant, Dassault avait nommé Rudi Roussillon à la présidence du conseil de surveillance. 14 mars, annonce de la vente de Paris-Turf et Week-end au fonds d’investissement Montaigne Private Equity.
- Groupe Aprovia : janvier, le groupe GISI (L’Usine nouvelle), contrôlé par des fonds de placement, annonce la suppression de 25 % de ses effectifs ; AT Kearney rend publique son calcul de la « productivité » des journalistes du groupe.
- Marianne : 7 septembre, Yves de Chaisemartin (ex-Socpresse et associé du fonds américain Carlyle) entre dans le capital à hauteur de 25 %
Hachette : juin, arrêt de Oh là.
- Roularta : 21 octobre, le groupe belge rachète les actions de A nous Paris, détenues par France-Antilles (Philippe Hersant), après avoir pris le contrôle de Studio et pris 15 % du capital de Cyber Press Publishing.

Radio
- Europe 1 : 8 avril, Jérôme Bellay s’en va ; il est remplacé par Jean-Pierre Elkabbach.
- Radio France : 4 avril, début d’une longue grève des techniciens.
France Bleue : 3 octobre, les radios locales en grève.
- Sud Radio : 1er juin, annonce de la vente (avec Wit FM, Bordeaux) au groupe SudPorters (Alouette, Scoop, Ado FM et Vibration), dirigé par le frère de Philippe de Villiers.

Télévision
- France télévisions : 6 juillet, nomination de Patrick de Carolis à la présidence. 8 juin, grève à France 3 Ouest pour protester contre la fermeture de locales ; 4 décembre, dernière diffusion de Mon Kanar sur France 3.
- Chaîne internationale : 30 novembre, signature de la convention entre France télévisions, TF1 et le gouvernement ; 9 décembre, nomination d’Alain de Pouzilhac (ex-PDG d’Havas), à la direction de la future chaîne.
- TNT : 31 mars, début de diffusion en France, le service public n’a que 6 chaînes contre plus de 20 au privé.
- TV5 : 6 avril, nomination de Jean-Jacques Aillagon à la tête de la chaîne.
On ouvre, on ferme : 31 août, arrêt de Match TV, 18 octobre, lancement de Gulli.
- Directives : 13 décembre, publication du projet de la nouvelle directive Télévision sans frontière, autorisant de nouvelles coupures publicitaires.
- Divers : 7 décembre, annonce de la fusion des bouquets de chaînes payantes, TPS par CanalSat, après accord entre les quatre grands groupes TF1, M6, Vivendi Universal et Lagardère.
- Chaînes locales : 3 novembre, deux nouvelles chaînes locales sont accordées aux grands groupes, TV7 Marseille (Hachette et AB) et téléGrenoble (France-Antilles).

Agences
- AFP : 17 novembre, démission de M. Eveno, PDG.
- Hachette Filipacchi Photos : 7 décembre, nomination de M. Eveno à la présidence.

Distribution
- Kiosques de Paris : 26 septembre, la concession est cédée par la ville de Paris à une filiale d’Hachette.

Principales atteintes à la liberté des journalistes
- 13 janvier : Perquisition dans les rédactions du Point et de l’Equipe et au domicile de plusieurs journalistes, à propos d’une enquête sur le dopage dans le cyclisme.
- 17 mars : licenciement de Jacques Espérandieu, Le Parisien, en désaccord avec sa direction sur le traitement de l’information.
- 28 avril : Un reporter-photographe travaillant pour 20 minutes est empêché de travailler par les policiers alors qu’il s’apprêtait à prendre des clichés du tabassage de lycéens à l’occasion d’une manifestation à Lille.
- 2 mai : Censure d’un article, retiré du site Internet de RFI, à propos de l’affaire du juge Borrel assassiné à Djibouti.
- 24 mai : Deux policiers de Brest arborent des brassards de reporters-photographes sur le stade de Brest pour prendre des clichés de supporters.
- 15 mai : Photo truquée à Sud-ouest d’un homme arborant un « Non » sur son tee-shirt.
- 24 août : Perquisition au domicile de Bluette Dupin, journaliste à Radio France Bleue Auxerre, pour avoir réalisé un reportage d’une mère de famille congolaise, menacée de reconduite.
- 8 octobre : La direction de l’AFP communique des photos du tabassage d’un policier par des salariés de la SNCM à Bastia sans « flouter » leur visage.
- 15 octobre : Publication d’une série de quatre articles dans Ouest-France, La Bretagne face à ses démons, rédigés par la préfecture.

Montreuil, le 10 janvier 2006

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une

Portraits de journalistes dans Libération : entre-soi et complaisance

Starification et dépolitisation.