I. Médias audiovisuels
1. Le CSA et les fréquences
Le CSA a du pain sur la planche pour domestiquer les espèces férocement affamées qui luttent pour leur croissance dans un marché à saturation...
– Sur la télévision, en premier lieu, les conjectures pessimistes sur la pérennité du sacro-saint petit écran se multiplient. Ainsi, Télérama 1er mars 2006 s’interroge : « Le principal forum des sociétés occidentales (la télévision, donc) va-t-elle disparaître ? » quand Stratégies du 2 mars 2006 sonne l’alarme : « L’audience des chaînes classiques va baisser ». Comme cette disparition du téléviseur s’opèrerait indiciblement telle que le voudrait une étude de Bouygues Télécom filiale sœur de TF1, relayée par Libération du 3 mars 2006, au profit d’une démultiplication de récepteurs et notamment les téléphones mobiles, le Conseil travaille donc à « l’identification des fréquences disponibles pour la télévision mobile, dans les choix des normes technologiques et des fréquences de diffusion pour lesquelles s’affrontent les " défenseurs de l’univers de la télévision " et les " tenants du basculement dans le monde des télécoms" » (Les Echos du 3 mars 2006).
Rappelons que certains groupes mieux pourvus que d’autres qui donnent à la fois dans les télécoms et la télévision (TF1- Bouygues, et, Vivendi -Canal plus - SFR), sont très réactifs devant la mutation (« offre rajeunie, changements de supports, etc. » détaille L’Expansion, 1 mars 2006 dans « TF1 zappe son modèle économique de base »).
– Pour la radio numérique, le CSA est aussi « sous pression ». Motifs ? D’abord, « 66% du total des fréquences attribuées aux radios privées arrivent à échéance le 3 septembre 2007 ». Ensuite, les opérateurs, tous « conscients de l’urgence du basculement dans l’univers numérique » (« le risque est de sortir de l’univers de consommation des jeunes », pour RTL), veulent que le CSA se presse de les faire basculer dans la tirelire (Stratégies Newsletter, 23 février 2006). Comme pour la télévision, « le débat est vif sur les normes » entre les grands groupes et la « kyrielle de petites radios locales, commerciales ou associatives, qui ne souhaitent pas faire les frais de cette numérisation coûteuse » (Les Echos, 15 février 2006).
Lire : L’actualité des médias n°47 : « Radios : les réservations de bande sont ouvertes ». Lire aussi : « Radios associatives en danger de mort » (appel et pétition)
2. TNT et publicité
– Un succès disputé. Les résultats d’audience de Médiamétrie pour trois chaînes de la TNT semblent montrer que celle-ci s’installe « dans le paysage audiovisuel ». Selon l’institut de mesure d’audiences, les « 3,6 % de l’ensemble des foyers français équipés [... de] téléviseurs, passent vingt minutes de plus par jour devant leur petit écran que les autres téléspectateurs » (Le Monde 17 février 2006), « 4 h 04 » par jour (Libération, 16 février 2006). Preuve des enjeux, cette « mesure des audiences déclenche la polémique » constate Le Figaro du 27 février 2006 : « comme à son habitude, l’institut de mesure n’a communiqué que les résultats des chaînes qui avaient accepté de payer pour voir ». Et donc de se faire voir par l’annonceur.
– Une fusion captatrice. Il y tenait coûte que coûte. Lagardère a acquis 20% de Canal plus France en déboursant 525 millions d’euros afin de figurer avec Vivendi (85%), TF1 (15%) et M6 (5%) dans l’ensemble TPS. Cette puissante fusion suscite par ailleurs « des questions sur la préservation des relations entre distributeurs et éditeurs de chaînes thématiques ». Ces dernières représentées par l’Acces (l’association des chaînes thématiques) et le CSA ont constaté que leur diffusion est concentrée en 2005 « sur les régies des grands groupes audiovisuels » [1] qui se sont partagées 45 millions d’euros de recettes publicitaires (Les Echos du 6 février 2006) [2].
Lire : L’actualité des médias n°47 : « Rachat de TPS par CanalSat (2) - L’union sacrée défensive ».
3. Autres télévisions<
- TV locale et publicité - Une manne bien captée. Le réseau des chaînes locales TLR, « commence à devenir un support publicitaire pertinent pour des annonceurs nationaux [...] les écrans des télévisions locales hertziennes ou câblées, table sur un triplement de son chiffre d’affaires en 2006, après avoir recueilli 2 millions d’euros de recettes brutes en 2005 » (La Tribune - 9 février 2006 : « La télévision locale attire la publicité nationale »). Rappelons que le réseau des chaînes locales TLR est géré par la Socprint (groupe Le Figaro), qui la contrôle à 56 % (et en est l’opérateur) avec Interdéco (groupe Hachette Filipacchi Médias - Lagardère) à 46 %, les miettes à TV7 revenant à Bordeaux, et Clermont Première).
– France 3 - Epuration. Au moment où le « sort » s’acharne : « une semaine après le lancement de sa nouvelle grille stratégique de la mi-journée, la chaîne déprogramme le jeu "Drôle de couple", qui tire l’audience vers le bas » (Le Monde du 9 mars 2006), rappelons que les syndicats avait prévenu (Voir notamment « Menaces sur France 3 ») : le plan de relance pour France 3 réduit le temps d’antenne dédiée aux régions. Ce nouveau plan mort-né [3] était présenté comme une sorte d’épuration du « plan Horizon 2008, lancé par l’ancienne équipe qui visait à doubler le volume horaire de programmes régionaux, et sévèrement critiqué dans l’audit réalisé après l’arrivée de Patrick de Carolis. L’audit stigmatisait la hausse annuelle de 4,2 % du coût des grilles régionales, pour un effet négatif sur l’audience. »
(Lire L’actualité des médias n°47 : « France 3 en ligne de mire ».
– Chaînes Infos - Aillagon quitte le navire. Libération du 14 février 2006 informe : « L’intersyndicale de TV5 Monde (CFDT, CFTC, SNJ, SNPCA-CGC et Unsa) déplore "le manque d’engagement financier de l’Etat", qui refuse au président de la chaîne, Jean-Jacques Aillagon, les moyens de mettre en œuvre son plan stratégique ». Ce dernier indisposé par une série de revers (et notamment, sauter dans le train de la CII qui se crée) quitte donc le navire, n’ayant rien su faire à sa guise.
– CFII - que les gros salaires ... 130 000 euros contre 330 000, Ulysse Gosset contre Jean-Pierre Paoli, TF1 contre France 2... c’est le « pataquès des salaires » entre ces deux directeurs généraux et leur chaînes placeuses, selon Le Point du 6 mars 2006. Paoli ne voulant pas retomber 130 000 ... La vie est dure.
II. Presse écrite
1. Presse quotidienne nationale
– Fâcheries contre le rabatteur Google. « La presse envoie sa facture à Google » écrit Libération du 14 février 2006, évoquant l’Afp qui refuse de voir ses dépêches délivrées au tout venant sur les pages du moteur expansionniste. Concernant la plupart des quotidiens, siphonnés de la même façon, rappelons qu’ils sont payants en ligne exception faite du Monde, Libération et Le Figaro (partiellement gratuit - lui). Ce qui est un choix, leur fréquentation leur permettant de se financer par la publicité qui explose sur Internet.
Si cette fâcherie contre le rabatteur Google survient soudainement, on peut penser la situation des quotidiens dramatique (Libération en perte de 14 millions d’euros). En effet c’est la course au cash face à des recettes publicitaires étant en berne [4], et aussi, une stratégie ostentatoire de centrage sur Internet.
– France soir et les amateurs. Un professeur de géopolitique à la Sorbonne, Jacques Soppelsa, est devenu président de France soir. Le quotidien à l’article de la mort est toujours convoité par 4 repreneurs dont les projets sont dénoncés par les élus du comité d’entreprise (CE) de France soir inquiets par le « grand amateurisme » (Newsletter de CB News du 1er mars 2006) des propositions. Le verdict du tribunal de Lille à cet égard est prévu le 16 mars 2006.
– Le Figaro s’intéresse davantage au Net. Dans son édition du 9 février 2006 Challenges confirme ce que l’on lit régulièrement depuis la prise de pouvoir de Dassault : « le démantèlement de la Socpresse à marche forcée » motivé par sa volonté de se recentrer sur Le Figaro. Et évidemment, à son tour sur les nouveaux médias : refonte de son site Internet depuis la fin février 2006 et opération de croissance externe avec le rachat de la totalité d’une agence de presse (Sport24) qui « confirme [sa] volonté de conforter [sa] position sur l’éditorial Internet et de séduire une audience jeune » - Stratégies Newsletter 8 février 2006 (lire plus haut « fâcherie contre Google »).
2. Gratuits<
– Le Figaro , Le Monde , Bolloré, en chiens de faïence. Lagardère partenaire du Monde et du Figaro est entre deux chaises, car ces payants sont de plus en plus pressés de se mettre au gratuit. Le Monde qui jadis les fustigeait (« "mort du journalisme" » rappelle l’AFP du 2 mars 2006), étudie encore son projet observant Le Figaro s’annonce : « en mesure de lancer [un] quotidien [gratuit] dans un mois car nous avons beaucoup travaillé sur un concept innovant paraissant l’après-midi " » (propos tenus par Nicolas Beytout, directeur de la rédaction, repris par Stratégies Newsletter 10 février 2006).
Encore Le Figaro, mais cette fois en « élaborateur » pour l’inévitable Vincent Bolloré rêvant d’un « quotidien généraliste gratuit du soir » (Nouvel Observateur du 23 février 2006, repris par Newsletter de CB News le 24) et annonçant sa sortie imminente (Direct Soir) dans Le Figaro du 7 mars 2006. Du soir ? Vous avez dit du soir ? On peut lire ici et là, que Le Monde regarde tous ces projets (Figaro et Bolloré) d’un mauvais œil (« La réussite de la presse gratuite suscite des vocations » - Challenges, 2 mars 2006).
– Extension. Mais la guerre des « gratuits » se poursuit un peu partout et dans tous les domaines. br>
- Spir et Roularta lancent A Nous Marseille et A Nous Nice-Côte d’Azur (Newsletter de CB News du 14 février 2006). br>
- M6 a pris 50% des gratuits Homme/Femme en ville (Newsletter de CB News du 21 février 2006). br>
- Enfin, les groupes Spir Communication [5] et S3G, filiales respectives de Ouest France et Sud Ouest, ont annoncé le 6 février 2006 leur projet de « rapprochement dans les activités de presse gratuite d’annonces et de distribution d’imprimés pour les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes, Limousin et Centre » (Newsletter de CB News 7 février 2006).
3. Presse quotidienne régionale
– Rapprochements capitalistiques, écrémages salariaux. Le développement des gratuits, l’essor d’Internet et l’ouverture de la publicité télévisée à la distribution en 2007 suffiraient à expliquer la « baisse "inquiétante" de la diffusion de la PQR, estimée de 1,5% a 1,9% en 2005 », selon Michel Comboul du syndicat (SPQR) - (Afp du 17 février 2006). Ce dernier feint de s’en remettre à la "toile" pour « retrouver une rentabilité » : (« “il faut que la PQR soit un acteur important dans la nouvelle économie Internet" »). Mais d’autres procédés de rentabilisation sont en cours :
La théorie ... « Les récentes transactions réalisées par Serge Dassault ont montré que la presse de province représente toujours un enjeu fort et que ses actifs peuvent être bien valorisés sur le plan financier. Même par des professionnels ou, plus inattendu encore, par des fonds étrangers misant sur leur capacité à restructurer ces entreprises, puis à les développer » (« Un véritable pari », selon les Echos 15 février 2006).
« La presse a l’âge des chemins de fer : au début, il y avait une multitude de compagnies, et ensuite, seulement la SNCF. Il faut regrouper les moyens si l’on veut tenir face à d’autres médias » Gerard Lignac, Pdg du groupe Est républicain, récemment acquéreur du pôle Rhône-Alpes qui représentera le premier groupe de presse quotidienne régionale avec 1,1 million d’exemplaires par jour (Libération du 7 février 2006).
Et la pratique ...
- Gérard Lignac, donc, choisi par la Socpresse pour reprendre le pôle Rhône Alpes [6], promet qu’ « il n’y aura pas de licenciement sec au Progrès » (Les Echos du 2 mars 2006). Pas de licenciement, mais un plan social ? : « On n’envisage pas a priori de suppressions d’emplois » (Libération, 7 février 2006). br>
- Le 14 février 2006, 144 des 250 journalistes de Midi libre ont signés une motion de défiance contre leur direction pour dénoncer le rapprochement envisagé par Le Monde avec Hachette (Lagardère). Ils se sentent blousés : « lors du rachat de leur titre par Le Monde, ils avaient cru en une véritable aventure intellectuelle qui leur permettrait un nouveau développement. « Ils ont complètement déchanté, analyse Alain Rollat, ancien du Monde, envoyé à l’époque aux Journaux du Midi pour consolider la fusion, et qui est ensuite parti en claquant la porte. Ils se rendent compte qu’ils ne sont que la vache à lait du Monde, qui s’en sert pour enjoliver ses comptes déficitaires. » Un certain nombre de postes devraient être supprimés. La méthode ? Aucun licenciement, mais plutôt le non remplacement de salariés partant à la retraite, voire « des propositions de départs accompagnés ». « Ce qui signifierait une surcharge de travail pour ceux qui restent, d’autant plus injustifiée que Midi libre est une entreprise qui dégage des profits ! » précise José Navarro, représentant syndical SNJ (Libération du 28 février).
– Le Crédit Mutuel et la « mutualisation ». Des questions sur le rachat du pôle Rhône-Alpes de la Socpresse par L’Est Républicain ont été soulevées. En particulier l’ « implication de Philippe Hersant » actionnaire de L’Est républicain à hauteur de 27 % qui « inquiète le SNJ », et surtout sur le mode opératoire telle que la présence du Crédit Mutuel dans l’opération du « montage financier » (Les Echos, 15 février 2006).
Jean-Clément Texier, « spécialiste des médias » pense que « le marché va passer à six grands blocs. A terme, il n’y en aura plus que trois et beaucoup de surprises. » (Les Echos 9 février 2006 : « Les quotidiens de province lancés dans la course aux alliances »). Car, selon « l’expert », la PQR a besoin « d’entrer dans une logique de mutualisation à l’allemande ou à l’anglaise à tous les niveaux : la fabrication, la publicité, l’éditorial ». Mutualisation comme.. Crédit Mutuel ? Et il insiste en effet sur le rôle de la banque en rappelant qu’elle « vient d’ailleurs de participer aussi à la recapitalisation du groupe Le Monde » avec HFM (Hachette Filipacchi Médias - Lagardère). Le Crédit Mutuel tient un rôle-clé dans la réorganisation en cours : les deux groupes travaillant activement à unir leurs forces dans le sud de la France. (Voir plus haut, au sujet de Midi Libre).
On parle aussi du Crédit Mutuel à Ouest France : le vice-président Francis Teitgen a démissionné de ce quotidien arguant des « "divergences sur l’organisation et la conduite des sociétés du groupe " » (communiqué publié vendredi 10 février 2006), et il sera remplacé, début avril, par Louis Echelard, directeur général de la Compagnie financière du ... Crédit Mutuel (Le Monde du 12 février 2006).
Rassurons-nous, car selon François Régis Hutin, le président et fondateur d’Ouest France, ce remplacement « " n’a rien à voir " avec l’opération de L’Est républicain. " Le Crédit mutuel de Bretagne participe financièrement, à hauteur de 9,30 %, à une société du groupe SIPA, la SofiOuest, et c’est sa seule participation financière " » (Le Monde du 12 février 2006).
4. Magazines et divers ...
– Emap à vendre. Emap France, la filiale du britannique aux 43 titres [7] est à vendre depuis le 1er mars 2006.
En lice, bousculade : les groupes de presse Mondadori (Silvio Berlusconi), Gruner+Jahr (Prisma Presse), le PDG d’Emap France, Arnaud de Puyfontaine (associé à des fonds d’investissement), Roularta, qui serait intéressé par le pôle de presse féminine (sources Stratégies Newsletter du 1er mars 2006) et même ... Lagardère (Le Figaro du 9 mars 2006).
– L’Humanité dimanche , le jeudi. L’Humanité relance dès le 14 mars 2006 : « L’Humanité dimanche ». Objectif 90.000 exemplaires, pour entrer « sur le marché des news magazines » et faire un hebdomadaire « fonctionnant comme un contre-pouvoir » mais pas au JDD et au Parisien Dimanche car il paraîtra le jeudi (Les Echos, 8 mars 2006).
– Presse économique - À côtés et publireportages. En ces temps de vaches maigres, le secours de la communication... Le Monde, La Tribune et Investir annoncent de conserve « une nouvelle offre de communication rédactionnelle "corporate financier" vendue sous forme de « solutions clef en main, "par une équipe indépendante de journalistes financiers et de directeurs artistiques" » (Newsletter de CB News 2 février 2006).
Et pour finir ...
– Edition - Lagardère vend un livre dans chaque pays. Après ses avancées dans l’audiovisuel - TPS et dans la presse écrite ; sans oublier ses positions dans la pub, la distribution, les armes, doté d’Editis et Hodder Headline (le britannique racheté en 2004), Lagardère réinvestit dans l’édition 537,5 millions de dollars pour l’américain Time Warner Book. Il devient le troisième éditeur mondial. Ayant besoin des « équipes en place », il a promis là-bas de ne pas licencier, argument qui aurait fait pencher la balance face à Murdoch (Le Figaro du 7 février 2006).
- Libération sort une griffe. C’est fait et c’est dit. Dans un communiqué publié dans le journal le 22 février 2006 : « La direction de Libération a décidé de retirer mercredi des publicités achetées par le Service d’informations du gouvernement (SIG) pour dénoncer ce qu’il considère être les « mensonges » des adversaires du CPE (Contrat Première embauche), et renvoyant sur le site du Premier ministre. » Motifs de ce coup (révélateur des dilemmes entre les exigences du journalisme et celles de la régie publicitaire) : elle avait été « acceptée sur le principe par la régie publicitaire du journal, mais a été mise en ligne sans avoir été validée, comme le veulent les procédures de Libération, par la direction du journal. »"