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Mobilisations contre le CPE : Quelques commentaires de la presse écrite (morceaux choisis)

A lire les articles parus depuis les manifestations du 7 mars, il règne jusqu’à présent, dans la presse écrite, une indéniable diversité éditoriale, en dépit de présupposés souvent communs sur lesquels nous reviendrons. Le Figaro campe solidement à droite, Le Monde tient la corde au centre-gauche, Libération donne l’impression d’épouser la cause de la jeunesse mobilisée que L’Humanité soutient ouvertement.

Les quelques extraits d’éditoriaux que nous publions ci-dessous (en privilégiant la presse quotidienne régionale) forment donc un échantillon non-représentatif. Ils seront complétés peu à peu et intégrés ultérieurement dans des articles plus complets. Première publication : le 18 mars 2006 (Acrimed)

Il suffit de souligner, sans commentaires, pour relever quelques présupposés et quelques fleurs de la rhétorique éditoriale des commentateurs qui s’opposent au mouvement ou qui en appellent à la sagesse... dont ils sont évidemment les premiers dépositaires.

I. A droite, toute

 Dans Le Point du 9 mars 2006, Franz-Olivier Giesbert, sous le titre « A nos lecteurs »

« La France est entrée en régression. Pas en récession, vous avez bien lu, en régression. Mentale, sociale, économique. L’affaire du contrat nouvelle embauche est, de ce point de vue, édifiante. Sans doute peut-on reprocher au gouvernement de n’avoir pas bien plaidé son dossier ni prévu de vraie contrepartie sociale. Mais enfin, c’est avec ce genre de mesures que l’on fera reculer le chômage des jeunes.

Les imprécations du PS n’y changeront rien. La France cessera d’être un anti-modèle en matière de chômage quand, enfin, elle apprendra à concilier la flexibilité et la sécurité, à l’image des pays scandinaves. Il n’y a pas d’autre solution et tous les dirigeants socialistes ou presque en conviennent, du moins en privé, avant... d’aller manifester contre le CPE.

L’Histoire repasse les plats mais ils sont moisis, depuis le temps. Avec la journée de protestation contre le contrat première embauche, mardi dernier, on se serait vraiment cru dans un vieux film. Si la France reste hostile, dans sa grande majorité, au CPE, c’est bien parce que la classe politique, droite et gauche confondues, n’a pas ébauché l’esquisse d’un commencement de pédagogie, comme l’ont fait ses homologues britannique, allemande ou espagnole. [...] »

 Dans Le Point du 16 mars 2006. l’éditorial de Claude Imbert : « Sauver Villepin ? » :

« Il faut sauver le soldat Villepin et sa réforme. La dernière peut-être d’un quinquennat stérile. La sauver malgré Villepin qui, avant de l’arracher par forceps au Parlement, ne lui aura guère consenti les soins qu’elle méritait. « L’urgence », dit-il... Même si l’on doute que la pédagogie ait pu convaincre une opposition figée depuis un demi-siècle, du moins pouvait-on tenter d’y mieux intéresser l’opinion. En somme, Villepin eût gagné à dire avant ce qu’il a dit après.

Il n’empêche qu’il faut sauver la réforme. D’abord pour ce qu’elle est : un ultime remède à la longue maladie du chômage qui met la France sur le flanc. Mais aussi - et ce n’est pas moindre - il faut sauver avec elle un pouvoir démocratique mutilé par les manifs. Et refuser qu’une fois encore la majorité des urnes s’incline devant la minorité des pancartes. Mesurons bien cette gangrène : le retrait d’un texte voté par le Parlement serait un coup de plus porté à des institutions branlantes. Il faut, en somme, sauver le soldat Villepin parce que sa mission - qu’elle plaise ou non - porte le sceau démocratique. Et qu’aucun régime ne supporte longtemps que la rue fasse ou défasse les lois.

[...] Quant aux bastilles syndicales, elles ont vite perçu que le contrat Villepin - qui passerait dans toute l’Europe comme lettre à la poste - enfonçait un coin dans notre barcasse sociale aussi rouillée que verrouillée. L’occasion était à saisir de colmater, par le soutien d’une jeunesse bernée, ce trou dans la coque. Alors, les voilà tous partis à la chasse du dernier loup-garou de la panique nationale : la « précarité ».

Quelle précarité ? Celle du chômage ? Pas du tout ! La précarité qu’ils brandissent en épouvantail est bien moindre : c’est celle qui affecte les deux premières années du nouvel emploi, une précarité souvent inhérente aux périodes d’essai de tout emploi.
Sous le matraquage du slogan se trouve écrasé l’avantage d’une nouvelle chance. N’est retenue que la facilité donnée à l’employeur de licencier, pendant deux ans, celui qui ne conviendrait pas à la fonction. Mais, entre nous, qui oserait affirmer que certains jeunes candidats à l’emploi, rétifs aux contraintes professionnelles, ne justifient pas cette liberté ? Comme si l’on ignorait la désinvolture, l’absentéisme et autres tricheries ! Comme si les employeurs, réputés par essence malfaisants, ne songeaient d’avance qu’à licencier leurs nouveaux employés... « Plus c’est gros, mieux ça prend », disait Mitterrand. Un connaisseur !

Où mène ce procès tordu ? Nos rebelles moutonniers rêvent-ils d’un régime d’économie administrée où l’emploi, assuré par l’Etat, réglé par l’Etat, enfermerait les citoyens dans des termitières que défonce la double pénurie des biens et des libertés ? [...] 76% des 15 à 30 ans voudraient, nous dit-on, devenir fonctionnaires. La régression croissante des valeurs liées à l’autonomie, au risque, à la concurrence, à l’amour du travail, trouve un écho impudent dans le culte du principe de précaution qu’on veut inscrire, non sans ridicule, dans la Constitution. Voici formatés des « jeunes vieux » qui calculent l’embauche comme on calcule sa retraite !

Comme d’habitude, le tapage nous trompe  : les jeunes ont aussi une majorité silencieuse... Délestée, il est vrai, du million de Français de moins de 35 ans partis s’établir à l’étranger pour y trouver des contrats d’embauche plus léonins que le contrat Villepin. L’Insee estime qu’un jeune enseignant chercheur sur deux ira quérir provende ailleurs. Une émigration catastrophique ! Ces « aventuriers » préfèrent la précarité du risque à l’assistanat anémié de la « nurserie » nationale [1]Contre le « modèle français », et sans attendre 2007, ils votent déjà... avec leurs pieds !

 Sur LCI, le 17 mars 2006, un débat d’une extrême virulence « oppose », Luc Ferry étant absent, Claude Imbert et Jacques Julliard qui ressasse pour la troisième fois en trois semaines : « Je ne suis pas hostile à davantage de souplesse sur le marché du travail. ». Claude Imbert approuve ... et peste contre « l’irresponsabilité syndicale ». Finement, Jacques Julliard, relève une différence historique décisive : en 1968, il y avait une manifestation de « sexualité juvénile » absente en 2006.

II. Le spectre du désordre et de mai 68

 Dans Le Journal de la Haute Marne, Patrice Chabanet, le 11 mars, est inquiet :

« (...) Pour le moment, la situation reste bloquée dans un statu quo classique. Les opposants au CPE sont allés trop loin pour pouvoir reculer maintenant et le Premier ministre ne veut plus faire machine arrière, ce qui annoncerait une défaite plus massive et plus définitive pour sa carrière politique. Quoi qu’il en soit, le Premier ministre devra rapidement sortir du bois. Si les occupations des locaux universitaires devaient se multiplier, pour le coup elles risqueraient de déboucher sur une situation incontrôlable. Assez étrangement, le chef de l’Etat se tait. Sans doute a-t-il pris le parti de ne pas dramatiser. Ou teste-t-il tout simplement la capacité de son Premier ministre à sortir d’un conflit qui ressemble de plus en plus à un piège. »

 Dans Ouest France, François Régis Hutin, le samedi 11 mars, défend la loi et l’ordre :

« (...) Certains veulent imposer la grève à tous en recourant au blocage des locaux, blocage qui est parfaitement illégal. En effet, la libre circulation et l’accès au lieu de travail sont garantis par la loi. Le vote du blocage des locaux, même s’il est obtenu à la majorité, ne change rien à la protection que donne la loi en ce domaine. De plus, une grande contestation se fait jour en ce qui concerne l’organisation des votes. (...) C’est ainsi que plusieurs présidents d’universités, bloquées parfois depuis quatre à cinq semaines, ont proposé, pour éviter des incidents, ’que de nouveaux votes soient organisés avec carte d’étudiant et décompte précis pour que le résultat soit irrécusable’.
C’est là une mesure sage et nécessaire si l’on veut à la fois éviter des incidents plus ou moins graves et préserver les droits de chacun. »

 Dans La République du Centre, Jacques Camus, le 11 mars, met en garde :

« (...) L’ennui est qu’il est trop tard pour jouer la concertation. Le mouvement étudiant a pris trop d’ampleur. Le pire est qu’il est en train de s’alimenter de symboles avec l’occupation de La Sorbonne et la mise en place, hier soir boulevard Saint-Michel à Paris, de mini-barricades. Là encore, la question n’est plus de savoir si le mouvement est véritablement démocratique ou non. Il est sûr que beaucoup d’étudiants sont en grève ’forcée’. C’est éminemment regrettable sauf qu’il serait dangereux pour le gouvernement d’utiliser la force ou de jouer le pourrissement. Les choses sont allées trop loin pour que les jeunes, pris dans l’ambiance grisante de la contestation, ne recherchent pas aujourd’hui une ’victoire totale’. A ce stade, on ne peut affirmer qu’une chose : il ne fallait pas que Villepin se mette dans ce mauvais pas. Il a d’ores et déjà perdu la bataille du CPE. (...) On sait hélas qu’en France la force d’inertie aux réformes est bien supérieure à la dynamique du changement. »

 Dans La République du Centre, le même Jacques Camus, le 15 mars, s’interroge avec gravité sur l’attitude possible de Chirac :

« [...] Le quinquennat de Chirac, déjà bien dégradé, ne saurait s’achever sur une autre crise majeure après celle des banlieues. Certains soutiendront qu’à l’inverse, le chef de l’État n’ayant plus rien à perdre, il pourrait "sauver" son mandat en adoptant une attitude courageuse et inflexible. Après tout, beaucoup de Français, conscients des manipulations syndicales et politiques qui exacerbent la contestation, n’attendent que cela. Le problème est que la crainte de l’incident grave, provoqué par des professionnels de l’agitation, inhibe tout gouvernement. Voilà pourquoi, un baroud d’honneur de Chirac paraît improbable. Comme en football, c’est toujours la voix des "ultras" qui prévaut dans les tribunes. »

 Dans L’Union, le 15 mars 2006, Hervé Chabaud, s’insurge :

« Villepin est sur un siège éjectable ! Avec l’emballement protestataire contre le CPE il fait figure de fusible idéal ce qui ne réglera d’ailleurs en rien la question du chômage. Le refus dans la rue de ce nouveau contrat est incompris dans l’Union européenne ce qui confirme l’isolement de la France sur ce sujet comme sur bien d’autres. Ce qui ne passe pas chez nos voisins c’est le rejet d’une formule dont l’objectif est de faciliter l’accès à l’emploi. C’est ainsi et cela illustre un fossé culturel préoccupant. Dans le même temps, le durcissement enregistré est produit au mépris des libertés publiques fondamentales. La liberté d’étudier, le droit d’aller en cours sont confisqués sur un nombre croissant de campus. Le filtrage organisé par des étudiants sur d’autres étudiants donne l’image amère d’une police de la pensée qui n’accorde qu’aux opposants le droit d’être véhément contre le CPE et aux autres celui de se taire et de rentrer bien au chaud chez eux. (...) »

 Dans Le Dauphiné Libéré, Didier Pobel, le 11 mars redécouvre que mai 68 tient en un seul mot : la « chienlit ».

« (...) Les “enragés de Nanterre’” redoutaient d’être trop tôt précipités dans l’univers “bourgeois“ du travail. Les anti-CPE d’aujourd’hui ont peur de ne jamais y accéder. C’est pareil, sauf que c’est tout le contraire, comme dirait l’autre. Pour autant, il n’est pas question de prendre à la légère la contestation actuelle, même s’il apparaît difficile d’en évaluer la véritable portée. (...) Et l’on sait bien qu’une hirondelle contestataire ne fait pas le printemps de la chienlit. En mai 68, la France s’ennuyait dans l’encombrante plénitude des Trente Glorieuses. En mars 2006, la jeunesse - chômage oblige - manque malgré elle d’occupation. Mais ce n’est pas celle de la Sorbonne, quand bien même elle résonne dans le romantisme des révolutions, qui la comblera. »

 Dans L’Yonne Républicaine, Philippe Noireaux, le 11 mars, compare, lui aussi :

« Ce n’est pas encore la chienlit, mais cela commence à ressembler à un joyeux merdier. En occupant la Sorbonne, des étudiants viennent de donner au mouvement de contestation du CPE un tour symbolique dont il convient de ne pas négliger les conséquences. Dans un pays qui n’a jamais vraiment arrêté de fantasmer autour de mai 68, la prise de la Sorbonne sonne comme une alerte à un risque potentiel d’embrasement. (...) Pour autant, le mouvement actuel est loin d’avoir l’ampleur de la crise soixante-huitarde. (...) Reste que ce n’est pas en minimisant le nombre d’universités touchées et en envoyant les CRS que le gouvernement peut espérer désamorcer la crise. Au contraire. Même si la chienlit est loin, Dominique de Villepin serait bien inspiré de réviser dare-dare son histoire de France, chapitres contestations étudiantes. Sous peine d’être définitivement recalé. »

III. Pour que jeunesse se passe et que la sagesse l’emporte...

 Dans La République des Pyrénées, Jean-Marcel Bouguereau jauge la jeunesse (et réévalue son propre passé) :

« (...) tout le monde sait, et un ministre comme Gilles de Robien ne pouvait pas l’ignorer, qu’au-delà de ces revendications souvent caricaturales en forme de slogan, percent des angoisses qu’il ne faut ni mésestimer ni, à fortiori, provoquer. Et celles que n’ont pas connu les précédentes, la précarité comme horizon. Chacun de ces mouvements, de 68 à 1994, en passant par 86, a une vocation de rite initiatique, de cours du soir pour l’entrée en citoyenneté de toute une génération. En ce sens Dominique de Villepin a, à son corps défendant, bien mérité de la République. »

 Alain Duhamel, dans ses œuvres multiples, découvre que l’augmentation des risques de précarité relève du « sentiment » et que le recul du chômage sous l’effet de la généralisation de la flexibilité est un diagnostic dicté par la « raison ».

- Chronique d’Alain Duhamel sur RTL, le 8 mars 2006 :

« Il ne fait pas de doute que c’est le risque d’augmentation de la précarité ou le sentiment du risque d’augmentation de la précarité qui a rendu progressivement plus impopulaire le projet de Contrat première embauche. Dans un premier temps, les Français qui savent bien que la situation actuelle des jeunes, sur le plan de l’emploi, est insupportable, étaient plutôt perplexes ou attentifs, indécis en tout cas [...] Il faut dire les choses comme elles sont, les pays dans lesquels le chômage a le plus reculé, sont les pays qui ont choisi la flexibilité, c’est vrai aux Etats Unis, en Grande Bretagne, en Espagne, ou dans les pays scandinaves avec des méthodes évidemment, complètement différentes. Mais les Français n’ont pas envie, refusent même, de payer le prix, le prix des inégalités en Grande Bretagne, le prix du travail partiel subi en Espagne, et même le découplage entre la protection du salarié et celle de l’emploi, comme cela se pratique, par exemple, au Danemark. ». Donc ?

- Reprise dans Nice Matin du 11 mars :

« (...) Sur ce dossier, très sensible car l’emploi des jeunes ne laisse personne indifférent, son handicap est que l’opinion, d’abord partagée, a basculé du côté de ses adversaires. Au départ, les Français, qui savent bien que la situation actuelle est inacceptable, se demandaient si l’initiative du Premier ministre était bonne ou mauvaise. (...) Que la flexibilité ait obtenu de bons résultats dans d’autres pays n’a pas davantage provoqué l’assentiment. Les Français rejettent la précarité et se sont persuadé que le CPE allait l’accroître. [...] »

Conclusion : les Français sont de grands sentimentaux.

 
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Notes

[1Voir « La grande nurserie », de Mathieu Laine (JC Lattès). (note de Claude Imbert)

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