Si l’on en croyait un « encadré » paru Marianne du 11 mars - « Le Monde : le coach des médiacrates », une variante des services rendus par Sarkozy aurait impliqué Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc :
« [...] C’est dans son bureau [de Sarkozy] de la place Beauvau - il était alors ministre de l’Intérieur - que les trois dirigeants du quotidien auraient préparé l’émission "Campus" de Guillaume Durand. Selon une source très proche du dossier, Sarkozy aurait, en effet, entraîné Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc en imaginant toutes les questions vachardes auxquelles ils pouvaient être exposés. F.D. »
Cette « révélation » n’a été relayée alors par aucun média [1]. En raison de l’absence de précision ? Parce que la méfiance sur des informations de source anonyme qui peuvent relever de la malveillance est de rigueur ? On voudrait le croire. Mais l’ « encadré » de Marianne n’a fait l’objet ni de vérifications, ni de démentis, ni de menaces de procès... Etonnant, non ?
Jusqu’à ce que, la semaine suivante, Marianne publie un « courrier » d’Edwy Plenel, titré « Un intrus chez Sarkozy » qui oppose un démenti aux allégations de l’hebdomadaire, suivi d’une confirmation partielle qui étaye un acte d’accusation.
– Démenti : « [...] en 2003, durant la tempête provoquée par la parution de la Face cachée du Monde, je serais allé me préparer pour l’émission « Campus » de Guillaume Durand dans le bureau du ministre de l’Intérieur, en compagnie de Jean-Marie Colombani et d’Alain Minc. Sarkozy coach de Plenel ! On aura tout lu. Comme toutes les rumeurs, cette plaisanterie part d’un petit fait vrai déformé jusqu’au délire. »
Quel est donc ce « petit fait vrai », selon l’expression qu’Edwy Plenel affectionne ? Celui-ci va-t-il, après plusieurs années de silence, « porter le fer dans la plaie », pour reprendre l’expression d’Albert Londres qu’il cite régulièrement ? La réponse suit...
– Confirmation : Jean-Marie Colombani aurait sollicité le soutien de Nicolas Sarkozy. Mais pas exactement pour préparer « Campus ». Edwy Plenel :
« Un jour de 2003, en effet, Jean-Marie Colombani m’a entraîné à un rendez-vous qu’il avait pris avec Nicolas Sarkozy. C’était un samedi après-midi, Cécilia Sarkozy était présente, ainsi que le chien du couple qui, un instant, se fit remarquer en vomissant sur la moquette. Pas d’Alain Minc à l’horizon, encore moins de Guillaume Durand - l’invitation à « Campus » ne m’avait pas été annoncée. Convaincu que les attaques contre le Monde étaient en partie inspirées par l’entourage de Jacques Chirac, Jean-Marie Colombani cherchait auprès de Nicolas Sarkozy des informations pouvant étayer cette hypothèse à laquelle, pour ma part, je n’ai jamais cru. »
Il est vrai qu’Edwy Plenel avait alors, officiellement et officieusement, découvert d’autres sources au « complot » : en vrac, les auteurs eux-mêmes, L’Express, PLPL et Acrimed, ainsi que, quelques temps après, les auteurs d’autres livres consacrés au Monde : Bernard Poulet et Alain Rollat !
Quoi qu’il en soit, « entraîné » dans le bureau de Sarkozy, Edwy Plenel aurait assisté à une scène très compromettante.
– Accusation : la proximité entre Jean-Marie Colombani et Nicolas Sarkozy. Edwy Plenel la décrit ainsi :
« Ce fut ma première et ma dernière rencontre avec Nicolas Sarkozy, place Beauvau, dans ses fonctions de ministre de l’intérieur. J’ai assisté plus que participé à une conversation qui, pour l’essentiel, se tenait entre Sarkozy et Colombani qui se tutoyaient et dont j’ai découvert, à cette occasion, l’amicale proximité. Il y eut notamment un monologue du ministre, expliquant comment lui-même avait su psychologiquement résister aux attaques des chiraquiens après l’échec présidentiel d’Edouard Balladur. Je suis ressorti de ce rendez-vous avec le sentiment d’avoir été un intrus. Ce malaise et bien d’autres choses ont ensuite cheminé dans mon esprit jusqu’aux ruptures que vous savez. »
On savait déjà que, en soutenant ardemment la perspective d’un passage du Monde en Bourse, Edwy Plenel ignorait qu’il œuvrait à la soumission du quotidien aux financiers, une soumission qu’il découvre au moment de rédiger son dernier livre, Procès. On apprend désormais que, en fréquentant Nicolas Sarkozy, en dehors de tout motif proprement journalistique, lors d’une entrevue destinée à lui demander son soutien, Edwy Plenel n’était qu’un « intrus ». Mais peut-être qu’un peu de lucidité tardive vaut mieux que pas de lucidité du tout...
Donc, Jean-Marie Colombani serait un allié de Sarkozy ? C’est ce que soutient encore plus explicitement l’ancien directeur de la rédaction du Monde, en confiant dans un entretien à la lettre électronique Presse News, que, selon lui, les dirigeants actuels du journal ont « des liens forts » avec Nicolas Sarkozy, que démontrerait notamment un éditorial du 9 novembre publié pendant les révoltes dans les quartiers populaires dans lequel on pouvait lire que « Dominique de Villepin n’a pas encore les nerfs d’un homme d’Etat » et que « le couple fermeté-justice énoncé par Nicolas Sarkozy (...) est de nature à rassembler le pays ». « Maladresses d’expression », se serait défendu Jean-Marie Colombani face aux critiques de journalistes du Monde.
Le témoignage d’Edwy Plenel a pour effet (et pour but ?) de propager des soupçons. En guise de journalisme d’investigation, il nous offre, malgré lui, une brève description des mœurs d’un microcosme livré aux jeux de pouvoir, aux connivences consternantes et aux rodomontades pittoresques.
Comment s’abstraire de ces jeux de pouvoir qui charrient souvent plus de rumeurs que d’indices ? En préférant au règne des soupçons l’arme de la critique.