Accueil > Critiques > (...) > 2006 : Mobilisations contre le CPE et la précarité

La tambouille de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 (20 et 21 mars 2006)

par Henri Maler,

Le Journal de 13 heures sur TFI est « le journal de Jean-Pierre Pernaut ». Sa personnalisation est l’un des ingrédients de sa considérable audience. Bien que le journal de JPP ne soit pas un pur reflet de celle-ci (de son ampleur, de sa composition), il lui est particulièrement bien ajusté. Fédérateur de la majorité des publics qui regardent la télévision à cette heure de la journée, il remplit cette fonction indissolublement fédératrice et mercantile en cultivant un minimum consensuel... aussi minimal que possible, mais éminemment politique. Dans le contexte des mobilisations contre le CPE, les recettes du chef valent le détour [1].

I. Au sommaire

JT des 20 et 21 mars. Il suffit de lire la liste des principaux sujets abordés pour découvrir qu’il ne se passe presque rien dans les autres pays et que les faits divers et les anecdotes sur la France des régions l’emportent, et de loin, sur toutes les autres questions.

 Journal télévisé de 13 heures, 20 mars 2006.

« [...] c’est le printemps », annonce Jean-Pierre Pernaut, en ouverture du journal »

« Les sujets du journal », selon le site de TF1 [2]

Les prévisions météo
Le moral revient avec l’arrivée du Printemps
CPE : forte mobilisation étudiante à Metz
CPE : les chefs d’entreprises favorables au nouveau contrat
Les médiateurs d’une association brestoise en grève
Décès d’un maire sur la Nationale qu’il voulait aménager
PV : Toulouse, ville propice
Des citoyens soutiennent leur député dans sa grève de la faim
Projet A51 : pour et contre
Des agriculteurs du Nord agacés par les déchets dans leurs champs
La "Villa Beau-Site" mise en vente par l’Institut National de France
L’école à la maison pour des enfants malades
Les avantages des magasins dits « de vente express d’occasion »
La blanquette de veau, plat préféré des Français
Petit tour au marché de St-Jean-de-Luz
La Touraine, lieu phare des jardiniers
Fête des œillets dans les Alpes-Maritimes
Hommage traditionnel à la petite madone à Ajaccio
Brasseries parisiennes : « La Coupole », lieu mythique du Tout-Paris

Puisque « c’est le printemps », on se demande encore, en lisant ce sommaire, pourquoi le journal n’a pas été ouvert par le reportage sur la « Fête des œillets dans les Alpes-Maritimes » ou sur « La blanquette de veau, plat préféré des Français »...

 Journal télévisé de 13 heures, 21 mars 2006.

« [...] Pas de chance : hier ce n’était pas vraiment le printemps » annonce Jean-Pierre Pernaut qui, en ouverture du journal, informe ainsi... sur la météo de la veille.

« Les sujets du journal »

Les prévisions météo
L’euro ferait-il consommer les Français ?
Manifestation dans le Nord après le décès du maire
CPE : pour ou contre le blocus des universités ?
CPE : qu’en pensent les jeunes apprentis ?
CPE : un syndicaliste grièvement blessé dans les affrontements
La colère des médecins spécialistes à Caen
Démission de Claude Frémont, Président de la CPAM de Nantes
Grippe aviaire : la volaille de retour dans les assiettes
Les agriculteurs et le biocarburant
Internet : des pirates accèdent aux comptes bancaires
Le Trésor Public, bête noire des artistes ?
Santé et équilibre, les maîtres mots du régime
Manque de fond [sic] dans la rénovation de la cathédrale de Strasbourg
Le retour apprécié du soleil en Auvergne
Récolte des premières fraises dans le Gard
Portrait d’une femme jardinier en Touraine
Le costumier, artiste dans l’ombre des étoiles
Brasseries parisiennes : "le Grand Colbert", trésor du patrimoine de la Capitale

« [...] hier ce n’était pas vraiment le printemps  ». Mais, puisqu’en dépit du mauvais temps, c’est tout de même le printemps, on se demande encore, en lisant ce sommaire, pourquoi le JT n’a pas été ouvert part le sujet sur « La récolte des premières fraises dans le Gard ».

Cette « politique de la dépolitisation » - pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu -, qui noie les informations pertinentes sous un amoncellement de reportages secondaires ou anecdotiques et de « sujets de proximité », est par elle-même une politisation droitière de l’information.

Mais les séquences consacrées au CPE sont encore plus éloquentes. Les reportages eux-mêmes ne sont pas toujours en cause, mais leur commentaire et leur mise en scène par Jean-Pierre Pernaut en conditionnent le sens.

II. « C’est le printemps ! »

Reprenons...

 Journal télévisé de 13 heures, 20 mars 2006.

Ouverture du journal. Aucun résumé des titres, mais : « [...] c’est le printemps ! Enfin le printemps ! [...] Malheureusement beaucoup de nuages [...] Les températures seront douces [...] En tout cas, ce simple changement de saison sur le calendrier redonnera le moral à beaucoup de gens, sans doute, après un hiver si long et si rigoureux. Du côté du Havre, en Normandie, reportage [...] »

Un reportage ? Non... Une « enquête de terrain » - « Le moral revient avec l’arrivée du Printemps » sur les mérites comparés de la pluie et du beau temps qui informe sur... la supériorité du beau temps. Son titre en période de mobilisation contre CPE est particulièrement bien trouvé : « Le moral revient avec l’arrivée du printemps ».

Au risque de ternir ces images printanières et de démentir l’existence d’un « moral en hausse », force est de parler du conflit qui porte sur le CPE :

« Venons-en à l’actualité importante, bien sûr. Notamment les suites de la forte mobilisation syndicale de samedi contre le CPE. Le gouvernement semble déterminé à maintenir son projet. Hier soir, à Dijon, une coordination nationale a appelé à une grève générale et à deux nouvelles journées d’action demain et samedi. Des étudiants qui restent donc très mobilisés »

Deux reportages suffiront à illustrer cette « actualité importante ». Entre ces deux reportages, JPP délivre notamment les informations suivantes, à un rythme tellement accéléré qu’il faut tendre l’oreille pour percevoir les non-dits :

« En tous cas, sachez que le ministre de l’Education, Gilles de Robien a invité les organisations étudiantes à discuter avec lui dès cet après-midi. De son côté, Dominique de Villepin n’envisage pas de retirer son texte, je vous l’ai dit, même s’il se dit prêt à l’améliorer et à l’enrichir avec les partenaires sociaux. Il va tous les recevoir, en commençant ce matin par les chefs d’entreprises. »

Sans doute mal informé, JPP a simplement omis de préciser que les principales organisations étudiantes et lycéennes - opposées au CPE - ont refusé ce rendez-vous (et de donner les raisons de ce refus). Et c’est pure distraction s’il a oublié de mentionner ce que les syndicats mobilisés contre le CPE entendent exiger lors de l’entrevue avec Villepin : le retrait du CPE, préalable à toute autre discussion.

Restent les reportages. Le premier - « CPE : forte mobilisation étudiante à Metz » - met en scène des étudiants qui se prononcent principalement sur l’opportunité du blocage des universités et très secondairement sur le CPE. Le titre du second - « CPE : les chefs d’entreprises favorables au nouveau contrat » - en indique assez le contenu : il donne la parole aux chefs d’entreprises à la sortie de leur réception à Matignon. On relèvera seulement que les étudiants sont surtout invités à se prononcer sur le « blocage » alors les chefs d’entreprises argumentent sur le CPE lui-même. Un tel déséquilibre, peut-être fortuit s’agissant de reportages montés séparément, cesse de l’être quand ils sont juxtaposés.

La séquence consacrée au CPE s’achève sur le chiffre des universités bloquées, la mention de l’extension de la mobilisation au lycée, l’évocation d’incidents dans les rues d’Ajaccio, suivie d’une évocation de l’insécurité en Corse et, par une habile transition, sur l’insécurité dans les transports en commun à Brest.

 Journal télévisé de 13 heures, 21 mars 2006.

Ouverture du journal. Aucun résumé des titres, mais : « [...] Pas de chance : hier ce n’était pas vraiment le printemps » Après un bref exposé sur le mauvais temps de la veille et une présentation des prévisions du jour, cette transition : « Et d’abord tout à fait autre chose. Un record historique : la consommation des ménages a augmenté de presque 2% au mois de février. Petit bémol quand même : depuis le passage à l’euro beaucoup de gens - peut-être vous - ont le sentiment [sic] que leur pouvoir d’achat a baissé. » Suit une « enquête de terrain » sur la hausse des prix lors du passage du franc à l’euro.

JPP enchaîne : « Retour sur cette affaire dramatique que je vous racontais hier » (la mort d’un maire, victime d’un accident sur la route nationale, alors qu’il demandait une déviation). Reportage : « Manifestation dans le Nord après le décès du maire ».

Une fois diffusé le reportage - « Manifestation dans le Nord après le décès du maire » -, Jean-Pierre Pernaut mentionne la « nouvelle journée d’action » du jour-même, donne les chiffres des universités « perturbées », évoque la situation à Rennes et enchaîne : « Donc une situation toujours très tendue et, en parallèle, la colère croissante des étudiants qui, eux, rejettent le blocage de leurs facultés. Reportage à Tolbiac [...] » Et, comme la veille, nouveau sujet centré sur le blocage des universités : « CPE : pour ou contre le blocus des universités ? ».

Vient le moment de livrer la première information proprement politique :

« Hier, vous le savez, on en a déjà parlé, Dominique de Villepin a commencé à recevoir les partenaires sociaux pour essayer d’adapter le texte déjà voté à l’Assemblée. Il a d’abord reçu les chefs d’entreprises. Cet après-midi, il sera devant les députés ».

Ne cherchez pas les informations manquantes sur la position des organisations hostiles au CPE : JPP, une fois encore, les a oubliées.

Passage au « sujet » suivant : « Ce que pensent les jeunes en apprentissage ». Commentaire introductif : « Ils ne sont pas vraiment ravis. ». C’est le moins que JPP pouvait dire. Le reportage - « CPE : qu’en pensent les jeunes apprentis ? » -, plutôt bien fait compte-tenu des limites du genre, donne la parole à ces jeunes : « tous solidaires du mouvement de contestation  ».

Deuxième information politique du jour : l’annonce de la nouvelle journée d’action prévue pour le mardi 28 mars. Et au passage, cette merveille :

« La CGT de la SNCF qui n’est pourtant pas du tout concernée par le CPE a déposé un préavis de grève nationale pour le mardi 28 »

Pas assez « corporatistes », les cheminots ? Comme s’il allait de soi que les remises en cause du droit du travail ne concernent que les destinataires directs du CPE. Comme si tous les agents de la SNCF étaient des célibataires sans enfants !

Le moment est venu d’évoquer une nouvelle « affaire dramatique  » (mais qui ne mérite pas que JPP la désigne ainsi) : « Des manifestations et donc des risques d’incidents », dit-il pour introduire les informations sur les circonstances dans lesquelles le syndicaliste de Sud-PTT, toujours dans le coma, a été très grièvement blessé. Un simple « incident » ?

Le reportage - « CPE : un syndicaliste grièvement blessé dans les affrontements » - mériterait une analyse précise. Une fois ce reportage achevé, JPP propose un complément dont l’à-propos est évident : « J’ajoute que 8 manifestants parisiens ont été jugés hier en comparution immédiate ». Passage au sujet suivant : « La colère des médecins spécialistes à Caen »...

On se demande encore pourquoi le Journal de TF1 a consacré tant d’importance au CPE alors que tant de téléspectateurs « ne sont pas concernés ».

Henri Maler

Nota bene : Le titre de cet article est, indirectement, emprunté à Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, La bonne soupe. Comment le "13 heures" contamine l’info, Editions les Arènes, 270 pages, 17,80 €. A lire et à discuter...

 
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Notes

[1Cet article sera complété ultérieurement.

[2Il s’agit en réalité de la liste des principaux reportages (qui sont entrecoupés d’informations et commentaires qui les présentent et les complètent)

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