Accueil > Critiques > (...) > 2006 : Mobilisations contre le CPE et la précarité

Les déçus du retrait, en version France 2 (11 avril)

par Denis Perais, Henri Maler,

Dans son édition du 11 avril 2006, le journal de 13 heures de France 2 se propose de revenir sur les conséquences pour une entreprise du recul gouvernemental sur le CPE, dans un reportage de deux minutes intitulé : « Fin du CPE : réaction des patrons ». A force d’approximations et d’omissions, le point de vue patronal est, volontairement ou non, validé.

Olivier Galzi, présentateur du journal télévisé, introduit le sujet : « Et en parlant de patrons, voyons maintenant comment ils réagissent de la fin du contrat première embauche. Nous sommes retournés dans une entreprise qui affirmait vouloir embaucher massivement en CPE. Qu’adviendra-t-il de ces emplois promis ? Reportage à Villejuif, près de Paris [...] »

L’affaire se présente plutôt mal puisque, d’emblée, une portée générale (comment les patrons régissent) est accordé au cas particulier de l’un d’entre eux, ... sans même mentionner que des salariés vont être interrogés.


L’ouverture du reportage laisse également songeur. A l’image, des locaux vides. Et ce commentaire : « Des locaux flambants neufs prêts à accueillir des employés embauchés en CPE. C’était le mois dernier : ce patron était enthousiaste.  »

Certes, le commentaire ne dit pas que les locaux étaient neufs pour accueillir des « employés embauchés en CPE » et que faute de CPE, ils resteront vides...

D’ailleurs, Jean-Pascal Siméon, patron de l’entreprise « Switch », interrogé dans les locaux vides [pour illustrer son point de vue ou celui des auteurs du reportage ?] précise : «  Les nouveaux locaux sont destinés à la création d’un nouveau plateau de réservation et à intégrer une cinquantaine à cent conseillers voyages. »

Le commentaire enchaîne : « Une cinquantaine de créations d’emplois sans le CPE, une centaine avec le CPE disait-on chez ce voyagiste. Aujourd’hui, ce chef d’entreprise est déçu. Dans un secteur dépendant des retournements de conjoncture, il assure que le CPE lui aurait permis d’embaucher, sans prendre de risques.  »

Le passage de l’impersonnel, qui englobe vaguement tous les salariés de l’entreprise, au seul chef d’entreprise n’est pas d’une grande précision. D’autant qu’il introduit un point de vue qui déborde singulièrement la seule question des « risques » pour revenir sur une évaluation globale du défunt CPE.

Le patron : « C’eût été une facilité intéressante. Je pense que c’est un gâchis pour les jeunes, parce qu’à l’heure actuelle, on voit des jeunes qui sont embauchés en CDD : c’est pas mieux. On voit des jeunes qui sont pris en stage : c’est pas mieux. Nous aurions pu donner un véritable emploi.  »

La mise en scène dans les locaux vides et, surtout, le mariage entre les commentaires du journaliste et ceux du chef d’entreprise laissent penser que le premier avalise les propos du second. Surtout quand aucune distance critique n’est introduite ni sur la supériorité supposée du CPE, ni sur la promesse d’un « véritable emploi ». Comme s’il allait de soi que le retrait du CPE ne pouvait avoir que des conséquences négatives : pour le patron « empêché » d’embaucher, et pour les jeunes restés sur le « carreau ». Aucune objection ne sera soumise à ce chef d’entreprise « déçu ».

La deuxième partie du reportage ne corrige pas les « biais » de la première.

Commentaire de relance : « Le CPE avait fait débat dans cette entreprise. Du côté des salariés, le CPE c’était à la fois davantage de précarité pour les futurs employés, mais aussi la perspective de mettre un pied dans le monde de l’entreprise. »

L’avis des salariés circonscrit le « débat » à une comparaison des avantages supposés et des inconvénients avérés. Mais rien n’indique qu’ils étaient divisés sur la conclusion. Et les deux témoignages retenus vont de la simple restriction à l’approbation du CPE.

- Nicolas Grossart, salarié depuis un an : « Les faire partir au bout de 4 - 5 mois, ça peut être dur pour eux, mais ça peut être aussi une formation, importante »

- Houssine Djahlat, salarié depuis 8 mois : « Je pense que c’est beaucoup plus un espoir d’ouverture de donner une chance réel à ces jeunes-là, plutôt que de fermer la porte et de coller le mot précarité ; voilà, aujourd’hui on est dans une nouvelle ère, puis le côté CDI, emploi éternel, n’existe plus, faut pas se leurrer non plus » [1]

Ces deux salariés qui ne représentent qu’eux-mêmes entérinent donc le discours patronal sur la flexibilité et, dans le contexte où ils sont présentés, valident donc le discours du chef d’entreprise « déçu » avec d’autant plus de poids que ce sont « ses » salariés.

Et toujours pas la moindre distance critique dans le commentaire...

La conclusion du reportage épouse une dernière fois les affirmations du chef d’entreprise : « A la place de la centaine d’emplois envisagés, il n’y en aura donc qu’une cinquantaine en CDI. Le patron a renoncé aux fameux 50 emplois supplémentaires. Il n’y aura dans cette entreprise, ni CDD, ni intérim.  »

Pourtant, les promesses d’embauche en CPE, comme la promesse de ne pas réaliser ces embauches ... n’engagent que ceux qui y croient.

Ce reportage, version à peine étendue des micros-trottoirs, ne tire pas explicitement la leçon que sa construction suggère : ceux qui se sont battus pour obtenir le retrait du CPE, sont finalement responsables du chômage d’une cinquantaine de personnes et, par extension, de bien d’autres encore. A moins que nous n’ayons pas bien compris...

Deux explications qui ne s’excluent pas sont à notre disposition pour rendre compte de tous les « biais » signalés :
- Ou bien ils résultent du formatage marchand des reportages qui les réduit à quelques poignées de secondes qui, montées en quelques minutes, interdisent toute mise en perspective ;
- Ou bien ils résultent d’une intériorisation de la pensée de marché qui proclame que, hors la flexibilité, il n’est point de salut.

Denis Perais et Henri Maler

 
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Notes

[1Ils représentent pourtant encore 86 % des contrats de travail, comme le souligne Florence Lefresne, socio- économiste et chercheuse à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), dans son article « Précarité pour tous, la norme du futur », paru dans Le Monde Diplomatique de mars 2006

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