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Présidentielle 2007 : le non-débat des médias

par Mathias Reymond,

De même que pour les élections présidentielles de 1995 et de 2002, les préoccupations essentielles des journalistes stars des médias ne sont pas les questions sociales, le fond du programme des partis politiques, ou le rôle de la France dans une économie mondialisée... mais les conflits de personnes au sein d’un même parti. En filigrane, on peut lire et entendre partout cette question fondamentale : « quels seront les candidats à la présidentielle de 2007 ? »

Les politiques en jouent et les médias en profitent. Les enjeux de pouvoir à l’UMP entre le premier ministre actuel et son ministre de l’intérieur font, depuis plusieurs semestres, le bonheur de la presse « people » et de celle dite « sérieuse ». Ravi de la petite phrase piquante, ou de la riposte percutante, le microcosme parisien des journalistes médiatiques, oubliant les débâcles qui désavouaient le monde politique en avril 2002 ou en mai 2005, se délecte à pronostiquer et à opposer.

Les prétendants socialistes

Depuis plusieurs mois, médias et instituts de sondages s’intéressent au Parti Socialiste. A son projet de programme ? Non. A ses propositions ? Non. Au futur candidat du parti, naturellement. Celui-ci devrait être désigné en novembre 2006 par les militants, mais pourquoi attendre ?

Ségolène Royal a le vent en poupe (appelée « Ségolène », parce que femme - les féministes apprécieront). En pleine crise du CPE, à une semaine des élections italiennes et péruviennes, alors que l’Union Européenne a décidé de suspendre ses aides à l’Autorité Palestinienne, 4 magazines font leur « une » sur la prétendante du PS (5-6-7 avril 2006) : Le Nouvel Observateur (« Ségolène Royal : ses idées, sa stratégie, ses atouts, ses handicaps »), Le Point (« Le mystère Royal - Les secrets de son couple - Enquête sur ses méthodes »), Paris-Match (« Ségolène Royal, l’irrésistible ascension ») et VSD (« Ségolène (sic) présidente : est-elle prête ? »). La semaine suivante c’est l’hebdomadaire Challenges (13 avril 2006), surfant sur la vague, qui revient sur « le phénomène Ségolène » (sic). Les idées du PS ? Que nenni.

Invitée par Patrick Poivre d’Arvor au JT de TF1 (6 avril 2006), elle doit faire face à un flot de questions sur sa prétendue candidature. Après avoir abordé l’actualité du moment (le CPE), le journaliste remarque qu’il « y en a une qui survole la gauche en ce moment dans les sondages, c’est vous » et questionne : « à quel moment vous vous êtes dit "je peux être Président de la République" ? » Et lorsque ladite candidate rétorque qu’elle ne se le dit pas encore, Poivre d’Arvor s’étonne : « Vous ne vous êtes jamais dit ça ? Et quand vous voyez toutes ces couvertures de magazine (...), vous vous dites que la France est prête à accueillir une femme à l’Elysée ? » Puis, journalisme d’investigation oblige, PPDA ose : « quand vous en parlez avec François Hollande le soir [pourquoi le soir ?], vous vous dites : "que le meilleur gagne". Ou "je te ferai la courte échelle" ou "il me fera la courte échelle" ? » Et il insiste : « On va se retrouver dans une situation inédite en France, un chef de parti et éventuellement une présidentiable ? » Poivre d’Arvor semble s’inquiéter de l’influence d’un couple Royal-Hollande sur le champ politique mais ne s’offusque pas, par contre, de l’existence de relations de connivence entre journalistes et politiques sans doute parce qu’il en est un des principaux acteurs [1]. PPDA choisit de clore l’interview par une question qui est censée passionner les Français : « Et à supposer que vous passiez ce premier tour du suffrage des militants socialistes donc, qui souhaitez-vous affronter à droite ? Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin ou Jacques Chirac ? »

Quelques jours plus tard, dans le 7/9 de France Inter (10 avril 2006), la problématique est la même et les questions de Pierre Weill sont calquées sur celles de PPDA. Seul l’invité change. Aujourd’hui, c’est Jack Lang...
Echantillon d’un questionnaire bien ficelé :

- « Conséquence de cette crise du CPE : la présidentielle de 2007, c’est dans la poche pour vous ? »

- « Imaginons que vous êtes président en 2007 (...) »

- « Restons avec les socialistes pour la présidentielle de 2007, il y a eu une image terrible il y a quelques semaines, c’était votre visite au salon de l’agriculture, vous étiez bien seul dans les allées et puis on a vu Ségolène Royal, elle, entourée de dizaines de journalistes, la bousculade avec des caméras, des micros. Et cette semaine, elle fait la couverture, Ségolène (sic), de quatre hebdomadaires, c’est pas trop difficile à vivre pour vous ?  »

- « Comment expliquez-vous le succès de Ségolène Royal actuellement ? Est-ce que c’est pas finalement une volonté de renouveau ? Les Français veulent du nouveau dans la classe politique française, ils vous connaissent, ils vous entendent depuis 25 ans ? »

- « Vous y croyez toujours ? Vous croyez toujours à la candidature Jack Lang ? »

Et lorsque que Jack Lang répond que ce qui compte, ce n’est pas la personne mais le programme et qu’il nomme les prétendants potentiels : « Dominique, Laurent, François, X, Y ou moi-même... » Pierre Weill frétille : « Lionel ? » En guettant depuis des mois les faits et gestes de l’ancien premier ministre socialiste, le microcosme parisien du journalisme privilégie l’insignifiant à l’essentiel et engloutit les questions de fond sous des discussions superflues.

Entre temps, Laurent Fabius était l’invité (9 avril 2006) du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro. Si l’essentiel de l’émission a tourné autour de l’actualité, un bon quart a été consacré à la présidentielle de 2007 et aux présidentiables du PS. Mais au final, qu’a retenu le quotidien Libération de l’entretien (10 avril 2006) ? Que Laurent Fabius « est à la traîne mais [qu’il] vante son CV ». L’ensemble de l’article utilise le même leitmotiv : « il met en avant pour 2007 son expérience gouvernementale et dit relativiser les sondages » ; « décidé à éviter de critiquer ouvertement les autres postulants, Fabius a dû s’attarder sur ses médiocres performances dans les sondages qui le placent derrière ses concurrents », etc. Sur le reste de l’émission ? Rien. Pas un seul mot. Pourtant il y avait matière. D’ailleurs Le Figaro, partenaire de l’émission, a consacré un article entier à l’émission (10 avril 2006) sans relever les propos sur les ambitions présidentielles de Laurent Fabius.

Une « peopolisation » de la politique

La presse écrite d’information raffole des conflits de personnes. Elle devient même la principale artisane de la « peopolisation » de la politique et parfois devance la presse dite... « people ».

L’Express s’intéresse (déjà) à 2007, en soulignant que pour le « PS, ce n’est pas encore gagné » (20 avril 2006) et surtout s’interroge : « Jospin peut-il arrêter Ségolène ? (sic)  » (23 février 2006) puis mène l’enquête : « La candidature de Ségolène Royal a replacé dans l’ombre les autres prétendants socialistes pour 2007. Déterminé à tenter sa chance, l’ancien Premier ministre est, pour ses proches, le seul à pouvoir désormais la devancer ». Le fond, toujours le fond, vous dit-on... Le Nouvel Observateur (20 avril 2006), présentant un entretien avec Jack Lang, surtitre : « Sa popularité n’est pas très éloignée de celle de Ségolène... (sic)  ». Le Point (13 avril 2006) s’émeut des « échanges virils » entre les « pro-Sarko » et l’entourage de Jean-François Copé, « chiraquien de naissance ». L’Express (20 avril 2006) questionne : « 2007 : Villiers éliminera-t-il Le Pen ? ». Alain Duhamel, dans Libération (19 avril 2006), remarque, à l’instar de ses confrères, que « Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang et, bien sûr, Lionel Jospin peuvent présenter des CV de candidats au moins comparables au sien (Hollande, NDLR). » Puis les sondages s’enchaînent. Si untel se présente face à untel (en général Sarkozy), qui l’emporterait ? Le dernier en date, faisant la « une » du Figaro (20 avril 2006) : « 2007 : Royal et Sarkozy champions de leur camp », donnerait une légère avance à Ségolène Royal (51/49).

Outre que ces considérations contribuent à dénaturer la fonction politique en la réduisant à de pures ambitions personnelles, les journalistes ne semblent pas avoir tiré les conséquences du passé où des sondages préélectoraux, en 1995, voyaient Balladur à l’Elysée et en 2002, un deuxième tour opposant Chirac à Jospin...

Les mêmes journalistes et éditorialistes qui s’établissaient déjà en fins limiers de la pédagogie lors du référendum sur le Traité Constitutionnel, posent la seule question qui vaille : quels seront les candidats de la présidentielle ? Refusant de prendre leur mal en patience, ils ne cessent de pronostiquer et d’anticiper. Ils deviennent les artisans de « la fabrique de l’opinion »... Une opinion qu’ils essayent de maîtriser mais qu’ils ne cessent de mépriser.

Mathias Reymond

 
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Notes

[1Voir le film de Pierre Carles : Pas vu pas pris.

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