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CPE : Un éditorialiste régional contre « la chienlit »

par Henri Maler,

Les habitants de la Marne et des Ardennes ont bien de la chance : avec L’Union, ils disposent d’un quotidien régional qui, pluraliste à lui tout seul, bénéficie du renfort d’un grand éditorialiste qui veille sur l’ordre public et les « réformes » : Hervé Chabaud.

Où l’on peut vérifier, une fois de plus, que le prétendu unanimisme qui aurait envahi les médias n’est qu’une apparence et que, dans la presse quotidienne régionale (de loin la plus lue...), le monopole du commentaire autorisé n’a pas été ébranlé.

 Dans L’Union, le 15 mars 2006, Hervé Chabaud défend le CPE (à l’abri des commentaires étrangers...) contre des étudiants liberticides : « Villepin est sur un siège éjectable ! Avec l’emballement protestataire contre le CPE il fait figure de fusible idéal ce qui ne réglera d’ailleurs en rien la question du chômage. Le refus dans la rue de ce nouveau contrat est incompris dans l’Union européenne ce qui confirme l’isolement de la France sur ce sujet comme sur bien d’autres. Ce qui ne passe pas chez nos voisins c’est le rejet d’une formule dont l’objectif est de faciliter l’accès à l’emploi. C’est ainsi et cela illustre un fossé culturel préoccupant. Dans le même temps, le durcissement enregistré est produit au mépris des libertés publiques fondamentales. La liberté d’étudier, le droit d’aller en cours sont confisqués sur un nombre croissant de campus. Le filtrage organisé par des étudiants sur d’autres étudiants donne l’image amère d’une police de la pensée qui n’accorde qu’aux opposants le droit d’être véhément contre le CPE et aux autres celui de se taire et de rentrer bien au chaud chez eux . (...) »

 16 mars, Hervé Chabaud déplore la stérilité des polémiques parlementaires, cet autre désordre : «  Quel tohu-bohu sur les bancs ! Lorsque les députés jouent les polissons et les susceptibles pour faire parler d’eux, ils se plantent et donnent l’image de vilains enfants gâtés. Une majorité arrogante montrant le biceps et une gauche démagogue s’affichant en victime martyrisée par les mots de l’autre bord, le petit théâtre de l’Hémicycle a fait dans le spectacle facile : celui des capricieux ridicules. Plutôt que de se bombarder de petites vacheries, les parlementaires feraient mieux de s’affranchir des polémiques stériles et réfléchir aux réponses à apporter à une jeunesse qui se cherche. Le climat se durcit et chacun veut faire la leçon à l’autre. On travestit la réalité, on use du double langage sans se préoccuper des conséquences sur l’opinion publique navrée par tant d’agitation. Lorsque le feu est mis personne n’est assuré d’éteindre l’incendie si de mauvais génies soufflent sur les braises. Villepin qui a réuni ses ministres en séminaire, à Matignon, n’avait pas besoin de cette clameur des pupitres avant d’aborder les choses sérieuses, à savoir la cohésion sociale et l’emploi des jeunes. (...) »

 Le 17 mars, Hervé Chabaud défend le CPE contre la défiance envers le patronat : « Villepin est dans une impasse face à un mouvement de plus en plus politique dont la gauche profite pour se refaire une santé dans la rue. (...) L’avenir est d’autant plus incertain que si le gouvernement est contraint de céder, il n’existe aucune alternative qui ait la plus petite chance d’être encouragée par les entreprises. Le scénario est écrit. Si le patronat n’obtient pas plus de flexibilité sur l’emploi, il évitera de créer de nouvelles activités en France et le pays observera une accélération des délocalisations déjà trop nombreuses. Le Medef aura beau jeu d’affirmer que la compétitivité ne supporte pas les états d’âme des Français portant à bout de bras leur modèle social. Autant dire que le rapport au monde du travail n’est pas prêt de s’améliorer si chacun campe sur ses positions. La défiance des partenaires sociaux envers le patronat handicape déjà lourdement les chances de dialogue.  » Quant à la « défiance » du patronat envers les syndicats, il en sera question une autre fois...

 Le 18 mars, Hervé Chabaud en appelle au « dialogue » : « [.. .] La modernisation du pacte social est une exigence d’humanité pour donner aux jeunes des perspectives de trouver leur place dans un monde concurrentiel. Elle ne sera possible qui si chacun est capable d’écouter l’autre et ne campe pas dans l’hermétisme de ses certitudes. La République n’est pas le creuset pour le monologue d’une élite mais un espace privilégié de dialogue, pour bâtir un projet commun pragmatique et assumé dans ses contraintes utiles à l’intérêt général. Le temps n’est pas au compromis mou mais à un projet social qui ne soit pas le fossoyeur de nos espérances.  ». Ces pieuses généralités permettent de contourner le conflit en cours et, ce faisant, de le désavouer.

 Le 22 mars, Hervé Chabaud, salue le général Villepin et, pour le compte de ce dernier, s’inquiète des divisions de la droite : « [...] tous les parlementaires UMP ont-ils vraiment envie de sauver le général Villepin ? Sont-ils tous déterminés à former le carré autour du chef du gouvernement inébranlable dans sa détermination ? Sont-ils prêts à rester le petit doigt sur la couture du pantalon sans regimber ? Alors que le mouvement anti-CPE fait tache d’huile dans les lycées, Villepin inquiète les siens. Ils craignent de payer au prix fort l’addition aux prochaines législatives. (...) La gauche, qui se contente d’accompagner le mouvement protestataire, n’apporte pas d’alternatives crédibles à même de combattre autrement le chômage. ». Donc ?

 Le 23 mars, Hervé Chabaud est angoissé par l’immobilisme : « (...) Tandis que le président de la République persiste à demeurer en retrait ou ailleurs et que l’unité des anti-CPE semble solide, la question d’une France arc-boutée sur ses principes et rétive aux évolutions imposées par la mondialisation revient comme un refrain d’immobilisme . Villepin qui cherche un Austerlitz se rapproche de Waterloo comme s’il avait oublié la leçon des Cent jours.  »

 Le 24 mars, Hervé Chabaud ponctue ses spéculations sur l’attitude Chirac-Villepin-Sarkozy ses déplorations habituelles : «  Que de temps perdu ! Cela témoigne une fois encore de l’absence en France d’une vraie culture de la négociation . [...] Si l’on se reparle, cela ne signifie pas que la grande manifestation de mardi prochain est annulée. Elle reste comme une épée de Damoclès au-dessus de du chef du gouvernement. Il n’empêche que rien n’est réglé et surtout pas la question du chômage des jeunes.  »

 Le 29 mars, Hervé Chabaud poursuit ses lamentations, assorties de nouvelles spécultations : « Villepin adopte une posture thatchérienne et se dit imperméable aux préalables et aux ultimatums mais déterminé à agir pour l’emploi des jeunes. Comme les syndicats refusent de le rencontrer, les ponts sont coupés et le bras de fer peut durer encore longtemps. La France malade y gagnera-t-elle à vivre au rythme des défilés, des manifs, des rancœurs et des incompréhensions ? Si Nicolas Sarkozy a haussé le ton et indiqué devant la commission exécutive de l’UMP que le gouvernement est obligé de bouger, c’est pour lancer un signal clair au chef de l’État avant le conseil des ministres de ce matin. Chirac est sommé de sortir du bois, sans quoi la fracture politique sera inévitable et la dissolution de l’Assemblée nationale s’imposera d’elle-même. »

 Le 31 mars, Hervé Chabaud livre en un mot - la « chienlit » - le sens des inquiétudes qui le taraudent : « (...) Que va faire le chef de l’État avant de s’exprimer ce soir devant les Français ? S’il promulgue le texte voté par le Parlement, il conforte son Premier ministre, satisfait une partie de sa majorité, mais il prend le risque d’une chienlit générale . La République n’en sortirait pas victorieuse. [...] La France peut-elle s’offrir une crise sans précédent qui la fragiliserait davantage ? La France a-t-elle le droit de laisser perdre une année d’étude à ses enfants pour le CPE ? (...) »

 Le 1er avril, Hervé Chabaud déplore que Jacques Chirac ne parvienne pas à se faire entendre : «  C’est la République du dialogue de sourd ! Existait-il seulement une chance que Jacques Chirac soit entendu tout simplement parce qu’il n’est plus écouté ? Les jeux n’étaient-ils pas déjà conclus avant qu’il ne s’exprime tant la crise sociale, la crise politique et la crise institutionnelle écrasent le bon sens ? Bien sûr le chef de l’Etat a défendu la règle républicaine comme l’idée que la loi est l’émanation des élus de la nation qui n’ont pas un mandat impératif d’obéissance aux mouvements de la rue. Seulement il s’est privé de l’option douce offerte par l’article 10 de la constitution. Mais est-ce qu’une nouvelle lecture des points litigieux de la loi sur l’égalité des chances aurait suffi à décongestionner l’ambiance et à ouvrir une négociation dynamique sur l’insertion professionnelle des jeunes ? L’option retenue par le Président de la République est inédite. (...) ». Ah, bon ?

 Le 8 avril, Hervé Chabaud en appelle à la mise à mort du CPE ... contre la chienlit : « (...) La multiplication de manifestations incontrôlées est dangereuse. La tension est encore montée d’un cran sur les campus et sur les zones de blocage. L’exaspération des gens empêchés d’aller et de venir amène des pertes de sang-froid aussi risque-t-on des incidents graves. (...) On ne peut pas attendre un drame pour mettre un terme à cette chienlit version 2006 . Il est plus qu’urgent de sortir de ce bourbier politique. (...) Etre responsable, c’est aussi ne pas pousser son pays au fond du trou. (...) Retrait, abrogation, suspension, remplacement ? Qu’importe ! Le CPE est mort. »

 Le 11 avril, Hervé Chabaud sonne le glas : « L’éloge funèbre du CPE est dit. [...] On reprend de vieilles recettes de contrats aidés qu’on améliore pour les rendre plus attractives et digestes. Cela ne changera rien au chômage des jeunes mais le gâchis enregistré est immense. Il reste un goût amer pour la politique face à cet entêtement et ces inconséquences qui ont bousculé les règles élémentaires de la démocratie et ont conduit à deux mois de tensions insupportables. Convaincre d’abord pour réformer ensuite, cette clé de l’échange constructif a été oubliée aussi il ne faut pas s’étonner que la serrure du changement ait été grippée. Pour l’avoir oublié Villepin s’est mis hors jeu parce que les Français n’ont pas le goût des méthodes autoritaires. Le pays a été secoué et il est excédé par tout ce temps perdu pour un simple contrat mort-né. (...) »

Ayant apparemment renvoyé tout le monde dos à dos, l’éditorialiste sans parti pris a pris parti contre la mobilisation et en faveur d’une sagesse noyée dans les larmes et les vœux pieux. Les lecteurs rémois ont sans doute été éclairés par ce très droitier bon sens.

Henri Maler

PS / Cet article a été rédigé grâce à la revue de presse du quotidien permanent du Nouvel Obs.

 
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