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CPE : Un éditorialiste régional contre la « faiblesse »

par Henri Maler,

Ancien journaliste de l’AFP et de France 3, Hubert Coudurier a collaboré à Valeurs Actuelles et à i-Télévision. Directeur de l’information et administrateur du Télégramme, membre du Comité de direction de Nantes 7, il est également membre du « Comité stratégique » du Presse Club de France et du Jury du « Prix du magazine de l’année ».

Avec lui, nous poursuivons notre passage en revue de quelques éditorialistes de la presse quotidienne régionale [1] pour tenter de répondre à cette question : de quels commentaires ont pu bénéficier les lecteurs de cette presse, derrière l’unanimisme apparent contre Villepin ? Question d’autant plus importante que les quotidiens régionaux sont généralement en position de monopole. Brest figure parmi les exceptions : on peut y lire aussi Ouest France. Dont on reparlera.

Revenons à Hubert Coudurier. Essayiste autant qu’éditorialiste [2], il s’est fendu d’un essai paru début 2006 - Requiem pour les années Chirac. Chronique incorrecte d’une France coupable [3]. On y apprend que la société française souffrirait d’un « complexe de culpabilité » qui se serait aggravé sous le règne de Jacques Chirac et largement à cause de lui. Imprégnés par la pseudo-psychanalyse de l’essayiste, les commentaires de l’éditorialiste opposent la « réalité » (libérale) aux « délires » et en appellent à un pouvoir « déculpabilisé » face ses opposants : un pouvoir sans « faiblesse ».

 Le 14 mars, Hubert Coudurier, en appelle à la mobilisation de la droite : « (...) L’analyse de Dominique de Villepin, qui ne la claironne pas sur tous les toits, contrairement au ministre de l’Intérieur plus disert avec les journalistes, est simple. La droite a intériorisé au cours des vingt dernières années la domination psychologique de la gauche. (...) Villepin veut donc réussir là où Chirac a échoué et ne se prive pas de dénoncer l’agit-prop’ des relais gauchistes du PS, qui commence à diviser les étudiants comme à l’université de Rennes. L’heure n’est donc plus à regretter que le Premier ministre ne se soit pas contenté d’une extension du CNE, mais à une mobilisation de la droite. (...). »

 15 mars, Hubert Coudurier attribue à Chirac et Villepin des positions qui ressemblent fort aux siennes : « (...) Même si le président de la République estime que le Premier ministre a commis un péché d’orgueil en imposant son CPE ( une extension du CNE aurait suffi ), même s’il désapprouve le passage en force de Dominique de Villepin, il n’en dira rien. Ces deux là sont trop liés, ils ont partagé trop d’épreuves, connu assez de victoires et de défaites pour savoir que le moindre signe de faiblesse leur serait fatal . Les étudiants poussent leur avantage, la gauche rêve de reconquête, la droite doute déjà, à l’image de ses dirigeants qui déplorent le caractère psychorigide de Villepin. (...) »

 16 mars, Hubert Coudurier prend position en faveur du CPE au nom de la « réalité » et désavoue les affrontements au nom de « ceux qui veulent travailler » : « (...) Obtenir le scalp d’un Premier ministre, un de plus, ne résoudra rien. Tout le monde se fout des règlements de comptes entre la gauche, la droite, les syndicats et le Medef. L’enjeu, c’est l’avenir de nos enfants qui reprochent déjà à la génération post-soixante huitarde de leur laisser un pays lourdement endetté qui ne leur offre selon eux qu’un avenir sombre . La précarité étant là, la question est effectivement posée de savoir si le CPE l’aggrave ou la réduit en créant une dynamique d’emploi. Entre les principes et la réalité, il faut parfois choisir . A force de refuser l’évolution de l’environnement international dans une tentation albanaise qui l’isole chaque jour un peu plus de nos voisins européens, la France pétrie d’idéologie se laisse dériver comme saisie par l’ivresse de l’abandon . Les affrontements symboliques [???], que des corps intermédiaires fragilisés livrent régulièrement contre un pouvoir politique dévalué, n’ont plus guère de sens. C’est sur le terrain que se décidera l’issue de la bataille en cours entre ceux qui veulent travailler et ceux qui croient encore à la politique pour changer leur vie. »

 Le 22 mars, Hubert Coudurier évalue la « force » de Villepin face aux « bons apôtres » dont la désignation suggère qu’ils sont sans doute mauvais : «  Seul contre tous ! Ils veulent le faire céder : les syndicats, les étudiants, la gauche et une bonne partie de la presse. En quelques jours, Dominique de Villepin est devenu l’homme à abattre. Tous dénoncent son orgueil, promettent des lendemains apocalyptiques et lui demandent de céder, d’en rabattre, de courber la tête. Soumettez-vous, mon vieux, au nom de la paix civile, lâchent ces bons apôtres qui le disent carbonisé. (...) »

 Le 23 mars, Hubert Coudurier découvre que Sarkozy « adopte en l’occurrence un comportement centriste  ». Quant à Villepin : « Se posant en chef de file des libéraux, le Premier ministre, par son attitude, semble dire à son camp longtemps dominé psychologiquement par la gauche, qu’il ne doit pas avoir peur du conflit. [...] ». Et cela d’autant moins que, précise une note, c’est «  un conservateur qui veut néanmoins bousculer le statu quo du chômage de masse face à une gauche et des syndicats d’un conservatisme absolu . »

 Le 24 mars, Hubert Coudurier se félicite de la « reprise du dialogue »... inexistant, s’inquiète des « risques de dérapages  » et se prononce en faveur d’un CPE amendé et contre son retrait : « C’était inévitable, le climat commence à se tendre. Les manifs d’hier ont donné lieu à des incidents violents au moment de la dispersion à Paris, comme à Rennes, en pointe dans la contestation. La veille, tout le monde avait été choqué par l’image de l’Ecole des hautes études en sciences sociales envahie par des casseurs, au point de devoir être évacuée par le corps enseignant. Une image d’anarchie est en passe de s’instaurer dans l’Hexagone , alors que l’entrée des lycéens dans le mouvement ne peut qu’aggraver les risques. Certes, il faut distinguer les motivations des uns et des autres. Mais le risque de dérapages est bien là. C’est pourquoi il faut se féliciter de la reprise du dialogue entre les syndicats et Matignon à la demande explicite du Premier ministre, formalisée par une lettre. Entre la motivation du licenciement et la réduction de la durée de la période d’embauche, les voies d’un compromis sont tracées sans pour autant retirer le CPE. Car, il faut bien donner plus de flexibilité à notre économie et voir dans ce but si le CPE crée une dynamique d’emploi . »

 Le 29 mars, Hubert Coudurier jauge et juge les jeunes au nom de la « réalité » : « [...] les jeunes sont victimes d’une société maternante qui ne les aide pas à grandir et à affronter la dureté d’un monde qu’ils refusent . La première façon pour eux d’exister, c’est donc de dire non. Non aux adultes et aux politiques coupables de ne pas avoir fait cette pédagogie du changement qui s’impose désormais dans la crise et l’urgence. Là est notre tragédie nationale, car le terme de psychodrame ne convient pas, et notre responsabilité commune par-delà les tentatives de récupération ou le discours moralisateur des uns et des autres. En effet, une fois les lampions de la fête éteints et même si des têtes comme celle du Premier ministre (...) roulent dans la sciure comme le veulent ceux qui recherchent un bouc émissaire, la réalité continuera à s’imposer malgré les occasions manquées.  »

 Le 31 mars, Hubert Coudurier, sain d’esprit, diagnostique des « délires » : « (...) Tout le monde délire aujourd’hui dans ce pays sans pères ni repères. Les étudiants qui ne veulent plus (dans leur grande majorité) étudier [sic !], la gauche qui ne cesse de culpabiliser tout le monde pour asseoir son pouvoir sur le "politiquement correct", la droite pétocharde et incapable de s’unir (ainsi Sarko ne sort-il pas grandi de son comportement des derniers jours), les syndicats figés dans des attitudes archaïques. Obtenir le départ de Villepin ne résoudra rien et ne nous exonérera pas d’un examen de conscience collectif pour sortir des errements d’une société moralisatrice, compulsive et apeurée. S’il entend siffler la fin de la récré, c’est que Chirac s’apprête à affronter les turbulences qui vont en résulter.  »

 Le 1er avril, Hubert Coudurier félicite Chirac pour cause de « bonne volonté », dénonce l’irrationalité du conflit et pourfend la gauche : « (...) Qu’il ait choisi de réaffirmer des principes comme la primauté de la loi votée, malgré les angoisses qui s’expriment dans la rue, était nécessaire en dépit des oppositions politico-syndicales qui s’expriment avec force. Céder sous la pression n’aurait fait qu’accentuer le caractère irrationnel d’un conflit , en démontrant aux Français l’inanité de leurs institutions. En proposant de faire la moitié du chemin sur la durée de la période d’essai du CPE et la motivation d’un éventuel licenciement, Chirac fait néanmoins preuve de bonne volonté . Hélas, en cette fin de règne, tout le monde veut en découdre. En rejetant cette esquisse de compromis, l’opposition montre qu’elle est avant tout engagée dans une bataille politique à un an de la présidentielle. L’emploi des jeunes n’est plus qu’un prétexte.  »

 Le 5 avril, Hubert Coudurier, au comble de la déception, s’indigne des concessions de Chirac : « (...) Mais Chirac n’est-il pas victime avant tout de sa culpabilité du pouvoir ? Villepin que l’on accuse de tous les maux depuis la dissolution a bon dos et pourrait reprendre du poil de la bête si le chaos s’installait dans le pays. Car c’est le président qui encourage l’instabilité en cédant plus souvent qu’il ne le devrait.  »

 Le 11 avril, Hubert Coudurier tire le bilan de la faiblesse coupable du pouvoir politique : « (...) Grand gagnant de cet affaiblissement, Nicolas Sarkozy se retrouve désormais face à Ségolène Royal pour un affrontement programmé qui témoigne d’une volonté de renouvellement du personnel politique et surtout de ses méthodes. A tout le moins, une vision jacobine et centralisatrice de l’Etat aura définitivement vécu au terme de ces années Chirac dont la crise du CPE a entamé le requiem, ce chant funèbre des espérances déçues. Reste à savoir si les contre-pouvoirs syndicaux, médiatiques ou étudiants qui n’ont pas hésité à bloquer le pays pour faire prévaloir leurs vues, quitte à défier la loi, sauront se satisfaire d’une telle capitulation. Ou si, par sa faiblesse, le pouvoir politique a donné un feu vert à de nouvelles surenchères qui lui feront bientôt regretter d’avoir cédé aux angoisses de ses concitoyens. La peur du conflit et la volonté de l’éviter n’offrent généralement qu’un répit provisoire . »

Résumons. La mobilisation contre le CPE était une « surenchère » qui en fait craindre de « nouvelles » en raison de la « faiblesse » du pouvoir politique. Les lecteurs de Brest ont eu bien de la chance de recevoir cette leçon. Il est vrai qu’ils pouvaient lire également les éditorialistes de Ouest France qui écrivaient à peu près la même chose, mais sur un ton tellement différent !

Henri Maler

PS / Cet article a été rédigé grâce à la revue de presse du quotidien permanent du Nouvel Obs.

 
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Notes

[1Lire : « CPE : Un éditorialiste régional contre « le pire » (Jacques Camus, maître à penser de La République du Centre) et CPE : Un éditorialiste régional contre « la chienlit » (Hervé Chabaud, maître à penser de L’Union.

[2« PPDA l’inconnu du 20 heures  » et « Le monde selon Chirac »

[3Jacob-Duvernet, 190 p. L’ouvrage a été salué par Alain Duhamel, toujours prêt à rendre service à ses semblables, dans Le Point du 6 avril 2006 : «  Hubert Coudurier emploie, lui, les armes de la psychanalyse pour tenter de comprendre les pathologies françaises dans un petit livre enlevé et original . Sous le titre accusateur de « Requiem pour les années Chirac. Chronique incorrecte d’une France coupable », il se penche avec une alacrité offensive sur l’envahissant complexe de culpabilité français et sur les dérives de ce sport national qu’est devenu l’autodénigrement. Culpabilité et culpabilisation, réquisitoire et victimisation, il décortique cette dialectique franco-française. Jacques Chirac lui sert naturellement de cible principale, mais les socialistes et les médias ne sont, à juste titre, pas épargnés. Les déclinistes sont vigoureusement remis à leur place et Villepin se trouve légitimement croqué en symbole d’une nostalgie arrogante et crépusculaire. »

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