Entre janvier et mars 2006, nous avons recensé dans les trois grands quotidiens dits de « référence » (Le Monde, Libération et Le Figaro) quinze articles traitant du congrès du PCF.
Dans la première semaine de janvier, il s’agissait pour Libération, Le Monde et Le Figaro de présenter les 4 textes d’orientation et les deux amendements au texte de la direction sur lesquels les adhérents avaient à se prononcer. A la fin du mois de février, c’est la procédure d’exclusion lancée par la section d’Amiens à l’encontre de Maxime Gremetz, dont le texte d’orientation était minoritaire, qui intéresse la presse nationale. Enfin, du 25 au 27 mars, plusieurs articles sont consacrés au congrès qui se déroule au même moment au Bourget.
Personnalisation
L’étude des titres des articles est éclairante : sur 15 articles, dix titrent sur Marie-George Buffet. Pour Le Figaro (03-01-06), Nicolas Barotte est formel « Au PCF, les partisans de la rupture s’opposent à Buffet ». Libération, sous la plume de Pascal Virot, le rejoint : « Marie-George Buffet face à une fronde des orthodoxes ». Le Monde n’est pas en reste : Sylvia Zappi décrit dans l’édition datée du 4 janvier l’« Offensive des orthodoxes contre Mme Buffet ». Pendant le congrès lui-même, les titres sont de la même veine : on apprend dans Libération que « Buffet veut rester patiente pour 2007 » (24-03-06), qu’elle est « contrée par les orthodoxes du PCF » (25-03-06), mais qu’elle est néanmoins une « superstar au PCF » (27-03-06).
Quand les médias ne titrent pas sur Marie-George Buffet, ils titrent sur Maxime Gremetz, comme Libération, le 22 février, sous la plume de Pascal Virot : « Gremetz n’a jamais été aussi près de la porte du PCF » et le 25 mars « Gremetz, populiste énervé » ou sur les « Huistes indésirables » (Libération, 24-03-06).
Le contenu des articles confirme que le PCF, selon nos trois quotidiens, n’existe que par sa direction. Plusieurs noms reviennent fréquemment : ceux de Marie-George Buffet (26 fois), de Maxime Gremetz (15 fois), d’André Gérin, le député-maire de Vénissieux (10 fois), de Jean-Claude Danglot, le secrétaire de la fédération du Pas-de-Calais (8 fois), de Robert Hue (8 fois)...
Au total quinze noms seulement sont cités. Tous sont membres - ou étaient membres - du Conseil National, la direction du PCF. Rappelons que d’après les chiffres fournis par Le Monde, ce sont 958 délégués qui étaient réunis au Bourget... Qui étaient ces délégués ? Des hommes ? Des femmes ? De quel âge ? Issus de quel milieu socioprofessionnel ? Aucun des articles étudiés ne permet de s’en faire une idée. Aucun militant de base n’est même cité par les trois journaux étudiés.
Dramatisation
Corollaire de cette personnalisation exacerbée : différences et divergences sont présentées comme des conflits de personnes et ces conflits résument les enjeux du Congrès. Le vocabulaire de l’affrontement - « fronde des orthodoxes » (Libération, 03-01-06), « Offensive des orthodoxes » (Le Monde, 04-01-06), « guerres de clans » (Libération, 07-01-06), « Baroud d’honneur des opposants orthodoxes » (Le Monde, 25-03-06) - dispense d’informer sur sa teneur.
Derrière les personnalités citées se dessineraient donc des « clans » aux frontières floues : d’un côté les « orthodoxes » ou « identitaires » emmenés par André Gérin, Jean-Claude Danglot et Maxime Gremetz, de l’autre les partisans de la mutation initiée par Robert Hue et qualifiés de « Huistes » [1]. Entre ces deux groupes, la direction « légitimiste » du parti, à laquelle participent les « refondateurs » groupés autour de Patrick Braouezec.
Quelles sont leurs visions du monde, leurs revendications en matière de salaires, de services publics, de temps de travail ? Nul ne l’apprendra en lisant les articles du Monde, de Libération et du Figaro.
En revanche, rien ne semble plus important que de distribuer les rôles entre Marie-George Buffet et Maxime Gremetz. En février, Pascal Virot oppose la direction « compréhensive [...] qui tient à privilégier le débat » au député de la Somme qualifié par ses détracteurs de « trublion, d’incontrôlable ou de provocateur », qui « se marre et rigole de cette procédure » (Libération, 22-02-06). Et de s’appesantir sur l’image caricaturale du conflit impliquant Maxime Gremetz personnellement : Sylvia Zappi insiste ainsi sur le « vif incident à la tribune » déclenché par Maxime Gremetz (Le Monde, 26-03-06). Pascal Virot revient lui aussi sur cet « esclandre » et ajoute que le député de la Somme « a aussitôt crié au charron, annonçant sa volonté de se porter candidat à la présidentielle » (Libération, 27-03-06).
Mesurés à cette aune, les débats du Congrès n’ont pas eu lieu. Et il était inutile d’en rendre compte. Comme la Fête de L’Humanité de septembre 2005 pouvait être résumée par la scène de l’œuf lancé contre Fabius [2].
Focalisation
Comme l’élection présidentielle intéresse au plus haut point les journalistes de la presse parisienne, à en croire Pascal Virot, Sylvia Zappi et Rodolphe Geisler, c’était le seul sujet à l’ordre du jour du Congrès.
Reflet d’une obsession médiatique ou de la manière dont même les partis a priori les plus hostiles au système présidentialiste se soumettent in fine à l’agenda médiatique ? On ne tranchera pas ici [3].
Dans les colonnes de Libération, Pascal Virot est affirmatif : « Durant quatre jours, le PCF, qui ouvre cet après-midi au Bourget (Seine-Saint-Denis) son 33ème congrès, va s’écharper autour d’une unique (ou presque) question : que faire pour 2007 ? » (Libération, 23-03-06). Deux jours plus tard, Pascal Virot nous informe sur les préférences des « communistes orthodoxes » : « A Buffet, ils préfèrent Alain Bocquet » (Libération, 25-03-06). Une préférence toute hypothétique puisque le même article précise : « hyper légitimiste, le patron des députés communistes ne devrait pas se risquer dans cette galère ». Sylvia Zappi s’est elle aussi intéressée... à la présidentielle : elle cite Robert Hue, ironisant sur « une course à l’échalote pour attendre qu’Olivier Besancenot parte le premier » (Le Monde, 26-03-06).
Ritualisation
Quand le Congrès n’est pas vidé de l’essentiel de son contenu, il est un simple prétexte à poser une question, désormais rituelle, dont la formulation routinière mérite d’être relevée.
Ainsi Rodolphe Geisler, convaincu de « l’interminable déclin du Parti communiste français » dissèque les résultats électoraux du PCF à la présidentielle depuis 1969 pour se demander gravement « Faut-il en conclure que la fin du PCF est proche et que le parti vit ses derniers soubresauts ? » (Le Figaro, 27-03-06). « Soubresauts » : le vocable dépréciatif dit assez le sens de la question... qui reste sans réponse.
Et en l’absence d’observations précises qui permettraient de savoir à quoi s’en tenir, il ne reste plus, par prudence, qu’à proposer des informations dubitatives... dont la teneur informative est plus que limitée. « Le PCF croit en sa renaissance » constate Sylvia Zappi (Le Monde, 25-03-06). Une renaissance que la journaliste du Monde met en question, en avouant, mais implicitement, qu’elle n’est pas en mesure de la vérifier ou de la démentir : « Oubliée la tentative de sauvetage du parti par une souscription aux accents alarmistes. Apparemment , les anciens reviennent et, assure-t-on Place du Colonel-Fabien , les adhésions reprennent. »
Ainsi, les lecteurs sont plus informés sur la façon dont les journalistes se posent les questions (« déclin » ou « renaissance » ?) que sur les questions abordées par le Congrès et sur le contenu des débats.
Un parti de notables, en butte à d’interminables guerres de clans, exclusivement intéressé par l’élection présidentielle : la construction médiatique du Congrès du PCF, effectuée selon cette grille, nous informe plus sur elle que sur le Congrès lui-même. Une grille d’autant plus apparente qu’elle concerne un parti qui ne bénéficie pas d’une sympathie excessive de la part des journalistes qui le décrivent, mais qui est fondamentalement la même quand ceux-ci prétendent rendre compte de la vie de la plupart des partis politiques. On se doute toutefois que le miroir tendu par les médias dominants est particulièrement déformant quand il est tendu en directions des partis, des associations et des syndicats qui ne se reconnaissent pas dans l’alternative entre le libéralisme prétendument social et le socialisme effectivement libéral.
David Noël