France Culture, 2 mai 2006. Alexandre Adler commente une décision d’Evo Morales, nouveau Président de Bolivie : « Le nouveau président bolivien, le trafiquant de coca Evo Morales, vient d’annoncer la nationalisation totale des hydrocarbures en Bolivie (...) ». Nous savions déjà qu’Hugo Chávez était un « gorille », nous savons désormais qu’Evo Moralès n’est qu’un trafiquant de drogue. Alexandre Adler poursuit : « C’était dans son programme et c’est une surprise que pour ceux qui estiment que les idéologues n’appliquent par leur programme. » Pour Adler, qui a au moins retenu cela de son lointain passé communiste, tout adversaire n’est qu’un idéologue. Mais l’historien reconnaît quand même qu’Evo Moralès ne fait qu’appliquer son programme.
France Inter, lundi 8 mai 2006. Philippe Val relève le défi : l’expert de géopolitique, c’est lui. « Il y avait quelques jours, Chavez, affectueux et protecteur avec le tout jeune élu bolivien Evo Morales, l’a invité à discuter le coup à la Havane avec son grand ami Fidel Castro. C’est probablement là que les deux rusés et compères, Castro et Chavez, ont persuadé Morales de nationaliser sans prévenir et sans négocier. ». En vérité, seul Philippe Val n’était pas prévenu. Adler, lui, savait.
Le combat à distance entre nos deux chroniqueurs promet d’être passionnant. Il oppose deux « philosophies » de l’histoire : prisonnière des idéologues pour l’un, œuvre des comploteurs pour l’autre.
Aux yeux d’Alexandre Adler, Hugo Chávez n’a pas changé, il était un « révolutionnaire populiste » et le reste encore : « D’un côté, une social-démocratie latino américaine s’affirme (...) et de l’autre évidemment une gauche révolutionnaire populiste » (2 mai 2006).
Philippe Val apporte à ce distinguo une touche personnelle, en différenciant « les national-populistes de l’école castriste du genre Chavez, de l’autre les sociaux-démocrates comme l’argentin Kirchner et le brésilien Lula ». « National-populistes » invite manifestement rapprochement avec « national-socialistes » : tant de subtilité a de quoi séduire...
D’autant que Philippe Val explique ainsi leurs relations : « il s’agit, ici et là, de deux gauches bien distinctes dont l’une fait tout pour faire crever l’autre. » D’ailleurs tout est clair pour lui : « La nationalisation du gaz bolivien, désirée ardemment par Castro et Chavez, est directement dirigée contre Lula, le président brésilien et Kirchner l’argentin et indirectement contre Michelle Bachelet, la présidente du Chili. » Val le certifie « Chavez et Castro n’ont qu’un ennemi : les régimes progressistes qui risquent de conjuguer justice sociale et libertés fondamentales. » Et encore : « Grâce à leur démagogie populiste, [ils] feront tout pour que la gauche démocratique échoue en Amérique latine. »
Alexandre Adler, le 12 mai 2006, sans le savoir ou en connaissance de cause, récidive et surenchérit. Pour justifier son interprétation selon laquelle « la vraie bataille pour la démocratie (...) c’est l’affrontement de Lula et de Chavez », notre péremptoire assène : « l’association Chavez-Morales a déclaré la guerre au Brésil. ». C’est donc le même topo, d’un côté une gauche « démocrate », « moderne », et de l’autre des « émules populistes ». Ainsi, « la nationalisation des hydrocarbures » entraîne la dépossession de « la grande compagnie brésilienne Pétrobras. » Point. Après avoir réservé une série d’hommages à Lula et Bachelet, Adler s’énerve : « Chávez n’est pas un homme de gauche, c’est un militaire putschiste qui a essayé de faire une synthèse entre des idées de gauche et de droite, voire d’extrême-droite. ».
Laissons provisoirement le dernier mot au patron de Charlie Hebdo : « Par cette nationalisation sans négociation, le président bolivien, Evo Morales, va se rendre populaire dans toute l’Amérique latine, alors qu’ il s’agit d’une manœuvre pour en affamer la moitié. » Une manœuvre...
Quoi que l’on pense des politiques mises en place respectivement par Hugo Chavez et Evo Moralès, quoi que l’on pense des relations stratégiques qu’ils entretiennent avec le régime de Fidel Castro, quoi que l’on pense de ce dernier, il fallait toute la finesse géopolitique de l’un des docteurs ès « théories du complot » pour déjouer un... véritable complot dont l’objectif est de provoquer la famine dans la moitié de l’Amérique Latine.
On se gardera de conclure de la convergence entre Adler et Val à l’existence d’un complot qu’ils auraient fomenté pour aggraver la misère culturelle de la moitié des radios publiques. Qu’ils se rassurent : pas question de nationaliser ces variétés d’hydrocarbures que sont les chroniques indigentes et à sens unique, qui font le charme du "pluralisme" sur France Inter et sur France Culture.
Mathias Reymond et Henri Maler
(grâce au travail d’écoute et de saisie de Jamel)