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Presse quotidienne régionale : un monoPole sud

Nous publions ci-dessous, avec l’autorisation de l’auteur, un article paru dans le Ravi (« mensuel le Ravi, infos § satire en Provence Alpes Côte d’Azur ») n°29. (Acrimed)

Le groupe Le Monde, associé à Hachette-Filipacchi, pourrait devenir propriétaire majoritaire de Midi Libre, La Provence, Var Matin et Nice Matin, pour donner naissance à une holding baptisée « pôle sud ». Les journalistes et les lecteurs risquent de ne pas être gagnants.

Midi Libre, La Provence, Var Matin, Nice Matin, même combat ? En tout cas, de Perpignan à Menton, la presse quotidienne régionale (PQR) pourrait bientôt se retrouver dans les mains d’un même propriétaire. Celles de l’empire Hachette Filipacchi ? Celles de France-Antilles ou de Serge Dassault, les deux héritiers du groupe Hersant ? Point du tout ! Le futur actionnaire majoritaire du nouveau mastodonte de la presse méditerranéenne pourrait être le héraut du pluralisme de la presse, le maître étalon du « journalisme de référence », le nec plus ultra des médias parisiens : Le Monde. Nom de code de cet ensemble capable de revendiquer chaque jour la diffusion de plus de 670 000 exemplaires : le pôle sud.

Les journalistes ne sont pas toujours les mieux servis ni les premiers ! Dans les rédactions des différents titres concernés, les informations tombent au goutte à goutte. « Nous avons entendu parler pour la première fois de ce projet début février, en lisant un article dans la presse nationale. Pourtant, quatre jours avant, il y avait eu un comité d’entreprise. Rien n’avait été divulgué », explique Cathy Versini, délégué SNJ (Syndicat national des journalistes) à La Provence. « Nous avons donc réagi très vivement. » Dans un communiqué commun, dès le 15 février, les sections SNJ des quatre quotidiens concernés [1] protestent : « l’uniformisation de l’information limite l’expression de la diversité démocratique ». Et fixent des exigences : l’autonomie des rédactions, le maintien de la concurrence rédactionnelle, le remplacement d’éventuels départs... Signe d’inquiétude : le taux de participation des dernières élections professionnelles, en mars, s’est élevé à La Provence à 81 % (au lieu de 67 % il y a deux ans) avec un score de 75 % en faveur du SNJ dans le collège des journalistes.

Depuis, la direction d’HFM (Hachette-Média-Filipacchi, elle-même filiale du groupe Lagardère, le marchand d’armes) a concédé quelques informations aux représentants du personnel de La Provence et Nice Matin, journaux dont elle est propriétaire. Et Jean-Marie Colombani, directeur du Monde et président du directoire de la SA Le Monde, déjà propriétaire de Midi Libre, s’est même fendu d’un déplacement à Marseille et à Nice pour porter la bonne parole lors de CE extraordinaires, le 28 mars. « Il nous a rassuré sur le maintien de la ligne éditoriale, souligne Serge Mercier, élu SNJ au CE de La Provence. Le Monde n’aurait pas selon lui de volonté impériale, s’engage à respecter l’identité des titres, à ne pas mutualiser les forces. » Mais tous les doutes sont loin d’être dissipés : « Ce n’est pas très joyeux de se faire racheter par un journal qui perd de l’argent, poursuit le délégué. Je ne peux pas dire que l’on nage dans l’enthousiasme. »

Car c’est un fait. Depuis cinq ans, le groupe Le Monde a perdu 140 millions d’euros. Il a aussi réalisé un plan social qui a fait partir 120 salariés du Monde et plusieurs dizaines dans ses filiales (Aden, Le Monde Initiatives, Desclées de Brouwer...). Pourquoi alors vouloir investir 51 % dans la PQR méditerranéenne, au côté d’HFM qui en conserverait 49 % ? Cette opération pourrait financer un journal gratuit sur Paris qu’envisage de lancer Le Monde pour contrer le succès sur le marché publicitaire de Métro et 20 Minutes. « Colombani nous a assuré qu’il y aurait une stricte autonomie financière, note Serge Mercier. Mais je ne vois pas trop comment l’argent du Sud pourrait ne pas remonter si nécessaire vers le Nord. » La création de cette holding n’est pas du goût de la rédaction parisienne. Ce que résume sans la moindre ambiguïté Alain Faujas, délégué SNJ au quotidien Le Monde : « Notre hostilité à cette évolution est absolue. Ce n’est pas un projet éditorial mais une opération financière pour Lagardère, le seul grand gagnant de ce fourbi. Il va récupérer une énorme créance de 100 millions d’euros et va déconsolider la rentabilité médiocre de ses journaux régionaux. Tout en prenant pied un peu plus dans Le Monde où il possède déjà 17 % et le contrôle de la régie publicitaire. Ce qui est très inquiétant. »

HFM justifie son retrait stratégique sur une position minoritaire en expliquant qu’il s’agit avant tout de répondre aux exigences des actionnaires. « Bien que nos ventes ne soient pas bonnes, La Provence fait des bénéfices, avec un taux de rentabilité entre 6 et 7 %, explique Cathy Versini. Mais le groupe HFM, habitué aux rendements de la presse magazine, réclame un taux de 12 %. Notre direction nous dit qu’elle se sépare de nous afin de ne pas faire peser sur nos épaules de pareilles exigences ! » Chaque CE a fait une demande d’audit auprès d’un cabinet d’expert comptable afin de se prononcer ensuite en connaissance de cause. Mais leur avis ne sera de toute façon que consultatif. L’objectif du Monde et d’HFM est de signer un accord fin juin avec l’espoir qu’il soit effectif à la rentrée. « Que cache cette belle alliance ? » questionne George Bertolino, délégué SNJ de Nice Matin. « Un mariage d’intérêt ou d’amour ? Si Le Monde, journal de référence mais fauché, nous donnait les moyens d’avancer journalistiquement l’aventure serait séduisante. Mais l’expérience de nos collègues du Midi Libre, déjà rachetés par Le Monde, n’est pas très concluante. Ils ont eu quelque peu le sentiment d’avoir servis de vache à lait. »

Du côté de Montpellier, le climat n’est en effet pas au beau fixe. En février, la rédaction a failli se mettre en grève, ce qui aurait été une première depuis 30 ans, après avoir voté une motion de défiance contre un projet de réduction des effectifs. « La direction a fait un peu marche arrière en gelant la situation », commente José Navaro, délégué SNJ au Midi Libre. « Pour nous, l’intérêt du Monde avec la naissance d’un « pôle sud » est clairement de récupérer de la trésorerie, en clair de l’argent frais. » Alain Rollat, ancien conseiller de Jean-Marie Colombani, ancien du Monde et du Midi Libre, aujourd’hui rédacteur en chef de La Gazette de Sète est encore plus explicite : « Au début, Le Monde avait vraiment l’ambition de constituer son propre groupe de presse en s’appuyant sur la PQR pour conserver son autonomie. Aujourd’hui, l’inverse s’est produit. Hachette tient Le Monde. Le Midi Libre ne suffit plus à compenser les pertes de ce dernier. Et Lagardère va réaliser par personne interposée son rêve de contrôler le pourtour méditerranéen français. Se constituer un empire plus puissant que le groupe Hersant. Et c’est Le Monde, champion de la vertu journalistique, qui joue ce jeu. Hubert Beuve-Méry va se retourner dans sa tombe. J’ai un peu honte d’avoir un temps contribué à ça. »

Pour l’heure, la grande affaire dans les rédactions est la question de l’ouverture d’une « clause de cession ». Ce dispositif autorise les salariés, en cas de changement de propriétaire d’un journal, à démissionner en empochant une indemnité au moins égale à un mois de salaire par entreprise plafonnée à 15 ans. Le jackpot pour des salariés approchant la retraite. Quant aux autres, un grand souci : « Obtenir le remplacement de tous les départs », explique Colette Auger, déléguée du personnel SNJ à La Provence. Et une crainte, malgré les dénégations : une fois la holding en place, la nouvelle direction pourrait chercher à faire des économies d’échelles sur le dos du personnel, en créant par exemple des pages communes pour les « informations générales » ou les sujets magazines.

Ce dont est persuadé Paul Massabo, délégué syndical SNJ à Var Matin : « Quel intérêt y aura-t-il de conserver des imprimeries à Saint Jean de Vedas, à Marseille, à Nice et en Corse ? Des fermetures auront lieu comme à Ollioules près de Toulon, en 1998. Depuis ce temps, le rapport de force s’est dégradé au détriment des salariés. Nos petits amis niçois, qui se croient protégés par l’existence d’un statut coopératif à Nice Matin. Le réveil risque d’être douloureux. » Une simple affaire interne ? Pas si sûr... « La PQR est déjà, avec Hachette, dans les mains d’argentiers dont la rentabilité est le seul souci, poursuit Paul Massabo. Il suffit de lire Var Matin, Nice Matin ou La Provence : notre approche institutionnelle, notre propension à reprendre sans distance la pensée unique, l’appauvrissement de notre contenu augmente proportionnellement au poids des monopoles qui nous contrôlent. » Et le délégué syndical de conclure : « C’est un peu pompeux, mais ce qui se prépare met en danger la qualité du débat démocratique. »

Michel Gairaud

Le Ravi n°29 (avril 2006)

 
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Notes

[1Le « pôle sud » inclurait également d’autres titres : Centre-Presse et L’Indépendant (groupe Midi-Libre), Corse Matin (groupe Nice Matin), Marseille l’Hebdo (groupe La Provence)

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