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Tribune

Gloire à toi Jean Daniel

par Sébastien Fontenelle,

Sous forme de « tribune », un article de Sébastien Fontenelle, publié sur son Blog (« Vive le feu ! »), le 26 juin 2006.

Gloire A Toi, Jean Daniel, Phare De Nos Pensées, Timonier De Nos Vies ! Gloire A Toi, Jean Daniel, Père De Tous Les Soleils ! Gloire A Toi, Jean Daniel, Maître Suprême De L’Univers !


De la même façon qu’il y a maintenant, dans l’Histoire majuscule de l’élection présidentielle, un « avant » et un « après » 21 avril 2002, il y aura désormais, dans l’Histoire de la déontologie journalistique, un avant et un après 22 juin 2006. Retenez bien cette date, s’il vous plaît. Cochez-la d’une pierre blanche, dans vos agendas, puis, pour les siècles des siècles, dans vos éphémérides. Elle ne vous dit rien encore ? Alors suivez le guide.

Prenons le supplément « TéléCinéRadioMusiquesDVDInternet » (mouârf) du Nouvel Observateur du jeudi 22 juin 2006.



La « une », déjà, est prometteuse, comme vous pouvez le constater ci-dessus. Elle est porteuse d’une information capitale. Jean Daniel, patron du Nouvel Observateur, est l’invité de Michel Drucker, animateur de l’émission « Vivement dimanche », sur France 2, dont je tairai ce qu’elle m’inspire. Donc, Jean Daniel, patron du Nouvel Obs, passe chez Drucker, et le Nouvel Obs consacre « une » à cet événement de portée planétaire. C’est, en soi, réjouissant.

Mais c’est à l’intérieur du supplément « TéléCinéRadioMusiquesDVDInternet » (mouââârf) que se trouve, sur deux pages (16 et 17), la longue pâmoison-aux-pieds-du-Chef qui, d’un seul coup d’un seul, révolutionne un genre journalistique à part entière : le léchage de culte (de la personnalité).

C’est véritablement, sous la forme d’un long récit de la façon dont s’est déroulé l’enregistrement de l’émission, un festival, dont je ne peux malheureusement, faute de temps, vous livrer ici que ce trop bref (mais goûteux) extrait, où quelques amis et subordonnés viennent protester de leur admiration pour Jean Daniel :

« Régis Debray évoque l’honnêteté, la dignité, la finesse d’un homme qui, pourtant, "ne fait pas partie de la même famille d’esprit" ; Jacques Julliard parle de "cet homme de gauche, cet homme des Lumières qui a toujours voulu que la science soit au service de la justice" ; Laurent Joffrin souligne "l’humilité formidable de ses éditos et sa volonté permanente de chercher l’intelligence des choses". "J’aime cet homme", dit Pierre Bénichou à propos de son "patron de quarante qui a su faire lire le journal le plus élitiste du monde à 2 millions de personnes". Il y aura aussi Mario Soares, qui témoignera sa gratitude à celui "qui a toujours pris des positions courageuses et qui nous a aidés" ; Bertrand Delanoë, que Jean Daniel "a accompagné dans toute sa vie de citoyen engagé" et dont il apprécie la "critique constructive". Hubert Védrine saluera "l’homme courageux", Robert Badinter "l’homme fidèle", Jacques Delors vantera "l’ami, leader de la gauche morale, et sa passion de comprendre et d’admirer". »

J’arrête là, et je fais mes comptes. En l’espace de ces quelques lignes, le lecteur du Nouvel Obs aura notamment relevé que Jean Daniel, patron du Nouvel Obs, est, dans l’ordre : Honnête. Digne. Fin. De gauche. Des Lumières. Humble. Intelligent. Aimé. Courageux. Secourable. Constructif. Fidèle. Passionné. J’en ai sûrement oublié.

Mon passage préféré ? Celui où Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Obs, s’extasie devant "l’humilité formidable" des éditoriaux de Jean Daniel, patron du Nouvel Obs, qui lui verse chaque mois un salaire confortable. Ma fille de six ans, si je lui fais lire trois lignes de N’IMPORTE QUEL édito de Jean Daniel, mettra un peu moins de trois secondes à comprendre qu’on peut dire BEAUCOUP de choses des éditos de Jean Daniel. Mais PAS qu’ils sont d’une formidable humilité. Sauf si on est Laurent Joffrin.

Cette double page dont je vous parle est l’œuvre d’un certain Jacques Guérin. Il signe aussi deux encadrés.

1) Une interview de Jean Daniel sur la télévision, où le patron du Nouvel Obs concède à son salarié des sentences aussi extraordinairement novatrices que : « Nous ne sommes pas seulement dans la société du spectacle, mais dans un monde où l’image a pris une force quasi-exclusive dans la communication ». Que c’est formidable, dirait Joffrin.

2) Une interview de Michel Drucker, sous le titre : « L’honneur du service publlic ».

Jacques Guérin, « journaliste » au Nouvel Obs, considère que c’est « tout l’honneur du service public », que d’inviter « un intellectuel dans une émission de divertissement du dimanche après-midi », en la personne de son employeur, Jean Daniel, patron du Nouvel Obs.

Alors vous savez comment ça se passe. On est toujours un peu gêné, au boulot, quand un voisin, toute vergogne bue, se met soudain à laper d’une langue chargée de salive un postérieur patronal. On éprouve pour ce flagorneur de la honte, mêlée de beaucoup de dégoût. Mais là, nous parlons d’autre chose. De quelque chose de beaucoup plus fort. Du cirage de pompes élevé au rang de beauzart. C’est tellement obscène, que ça devient fascinant, un peu comme un son et lumière yankee sur Bagdad by night. (Toutes choses égales par ailleurs.) Dans ces moments-là, nos repères - esthétiques, moraux, et journalistiques pourquoi pas - vacillent.

Il nous reste cette unique certitude : « ça » n’empêchera pas Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Obs, de pontifier, à la première occasion, sur la déontologie des médias. C’est, d’une certaine manière, rassurant.


Sébastien Fontenelle

- Article publié sur son Blog (« Vive le feu ! »), le 26 juin 2006.

 
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