Le journal, propriété du parti communiste, affiche une ligne éditoriale clairement à gauche. Pas facile d’être cohérent avec ses valeurs lorsqu’on a une santé financière fragile.
Condamné à verser près de 19 000 € à un ancien salarié pour licenciement abusif. Une affaire que L’Hérault du jour (groupe La Marseillaise) aurait pu relater dans ses colonnes. Car le quotidien, propriété du parti communiste, se fait un devoir d’alerter ses lecteurs dès qu’un patron ne respecte pas le code du travail ou même lorsque des salariés se mettent en grève pour oser réclamer des augmentations à leur patron. Problème, c’est précisément la SEIPLCA, la société qui édite L’Hérault du jour, qui a été condamnée le 18 juillet par le conseil des prud’hommes dans l’affaire qui l’opposait à Nicolas J., photographe à l’agence de Montpellier de L’Hérault du jour, d’octobre 2001 à août 2002. Mais là, bien sûr, pas un mot dans le quotidien.
30 € par jour
De quoi s’agit-il ? D’un journaliste payé au tarif des correspondants locaux, ces quasi-bénévoles de la presse quotidienne régionale qui quadrillent le terrain et remontent vers les rédactions des informations des villages et des quartiers. Nicolas J. touche donc 30 € par jour, n’a pas de contrat de travail, finit parfois à 23h pour couvrir les événements sportifs. Il dit même avoir travaillé « un mois complet sans prendre de jours de congés ». A son arrivée, on lui aurait dit : « Dans deux mois, on te fera le contrat. » Puis au bout de deux mois : « Non, le mois prochain. » Et c’est encore le comportement de son employeur qui le contraint au départ et à la saisine des prud’hommes. Car les deux derniers mois ne lui sont pas payés. C’est donc près de 4 ans plus tard qu’il obtiendra gain de cause. Et même si le conseil précise dans les motifs du jugement que « la société SEILPCA n’apporte aucun élément de preuve de son affirmation d’un statut indépendant de correspondant local de presse de nature à renverser la présomption légale d’un contrat de travail », la SEILPCA fait appel. Volonté de gagner du temps [1] ? La conséquence pour Nicolas J., c’est qu’il devra attendre l’appel pour toucher la totalité de la somme octroyée par les prud’hommes.
Arriérés de salaire
Plus grave encore, le cas de Nicolas J. est loin d’être isolé. Une grève est en effet menée par les salariés du journal en novembre 2002, peu après le départ de Nicolas J. Car, à cette époque, il n’y a pas moins de 4 journalistes dans la même situation sur une équipe de 10-15 personnes. Après 20 jours de lutte, ils obtiennent satisfaction. C’est-à-dire la régularisation des contrats mais avec l’engagement de « passer l’éponge » sur le passé, se souvient Nicolas Ethève qui faisait partie des 4 et qui est aujourd’hui délégué syndical SNJ-CGT [2] . « Croyez-vous que tout fut réglé ? Pas du tout. J’ai moi-même été témoin, lorsque j’étais salarié de L’Hérault du jour, du cas d’un autre photographe qui s’est retrouvé dans la même situation ». Employé à 30 € par jour par l’agence de Nîmes à partir de juillet 2002, ce n’est qu’après une action intentée aux prud’hommes fin 2004 qu’il obtient une régularisation en février 2005 sous forme d’un ¾ temps. Et ce, après une âpre négociation à l’amiable. Quant aux arriérés de salaires, lui aussi devra « passer l’éponge ».
« Négociations »
Aujourd’hui, la situation « est réglée dans L’Hérault, affirme Nicolas Ethève, mais il reste des cas isolés dans d’autres éditions d’usage abusif du statut de correspondant local. » Il y a aussi un autre point qui pose problème : le non-respect des minima de salaires fixés par la convention collective. Le délégué syndical veut donc ouvrir des « négociations » avec la direction. Car à La Marseillaise, les journalistes doivent négocier pour que la loi soit simplement respectée. On est bien loin des revendications pour des augmentations de salaires qu’aime à porter le parti communiste.
Jacques-Olivier Teyssier
« Je ne sais pas qui donne les orientations à la direction du journal »
Jean-Louis Bousquet est membre du comité directeur du groupe La Marseillaise dont fait partie L’Hérault du jour. Il est par ailleurs président du groupe communiste au conseil régional du Languedoc-Roussillon. Nous l’avons interrogé sur la responsabilité du PC en tant que propriétaire du journal dans la gestion des ressources humaines du quotidien.
Etes-vous au courant du jugement du conseil des prud’hommes du 18 juillet ? br>Non.
D’après le SNJ-CGT, ce n’est pas un cas isolé... br>
- La politique que nous avons par rapport au groupe La Marseillaise c’est : nous sommes l’éditeur, c’est donc un journal de sensibilité communiste où la ligne éditoriale a été fixée dans le sens d’une ouverture, de confrontation d’idées à gauche. On a abandonné le concept de journal organe. Et en même temps, on donne carte blanche aux journalistes et à la direction pour l’évolution du journal. Le comité directeur se réunit uniquement pour discuter de l’équilibre financier et de cette ligne éditoriale. Nous n’intervenons ni dans la direction, ni dans la rédaction. Ce que je sais, c’est que le journal vit dans un équilibre financier très, très, très précaire et donc, il peut y avoir des choses qui se passent qui ne sont pas conformes au droit du travail, et si le tribunal a rectifié, le tribunal a rectifié. Et c’est une bonne chose. Mais on n’est pas directement lié à la gestion du personnel dans ce journal. Il y a une direction et une rédaction en chef. Je n’étais même pas au courant qu’il y avait un procès.
Mais être éditeur ne vous donne pas une responsabilité ? Est-ce que vous faites des démarches pour améliorer les choses ? br>
- Lorsqu’il y a eu un mouvement, il y a quelques années, j’ai réuni plusieurs fois le personnel qui était en grève. J’ai travaillé à les aider à trouver une solution qui satisfasse tout le monde. Mais à la décharge du journal, il vit avec une épée de Damoclès financière en permanence sur sa tête. C’est très, très dur de tenir ce journal.
Pour autant, cela justifie-t-il de ne pas respecter le droit du travail ? br>
- Non, absolument pas. J’explique mais je n’excuse pas. Je veux que le droit du travail soit appliqué dans le journal, comme partout ailleurs.
Mais vous n’allez pas plus loin que ça et vous ne pressez pas la direction de se mettre en conformité ? Parce qu’il y a aussi des problèmes de non-respect de la convention collective... br>
- Si, si. Je demande à la direction d’appliquer le droit du travail et d’appliquer la convention collective.
Mais visiblement elle ne vous suit pas...
Si, quand même, parce que ça a drôlement bougé. Mais il devait y avoir ce cas qui devait être litigieux.
Il y en a un autre récent avec un photographe qui a été régularisé en février 2005... br >
- C’est une affaire avec la direction du journal. Et la direction, ce n’est pas le comité directeur. Mais je ne vous fais pas de réponses de Normand ni n’évacue pas le problème.
C’est le comité directeur qui nomme la direction ? br>
- Le rôle du comité directeur, c’est d’affiner la ligne éditoriale et de la mener avec la rédaction.
Mais la direction est responsable devant qui ? Qui peut la révoquer ? Elle prend forcément ses orientations auprès de quelqu’un. Est-ce le comité directeur qui les lui donne ? br>
- Je ne le sais même pas. Je ne le sais pas. Le directeur fait partie du comité de direction mais jamais nous n’avons traité de problème comme ça. Jamais, jamais, jamais.
Propos recueillis par J.-O. T.