Cela commence par une déclaration de lassitude, ponctuée par une profession de foi : « Cela revient, périodiquement, comme une rengaine inusable. Chaque fois qu’un journal est en péril pour n’avoir plus assez de lecteurs, mille voix s’unissent pour appeler les pouvoirs publics à voler au secours du malade au nom d’un sacro-saint pluralisme de la presse. Nous sommes naturellement les premiers à nous alarmer du déclin de la presse quotidienne, souvent analysé dans nos pages. Mais, disons-le tout net, nous ne croyons pas que le défaut de pluralisme soit la cause de son mal, et encore moins que l’intervention de l’Etat en soit le remède. »
Peu importe si personne, confondant la cause et les effets, n’a prétendu (bien que la réduction de la diversité de l’offre ne soit pas sans conséquences) que le défaut de pluralisme était la cause principale du « déclin de la presse quotidienne » : pour Médias tous les arguments sont bons pour atteindre l’adversaire, l’intervention des pouvoirs publics.
L’éditorialiste collectif de Médias peut ainsi s’emporter tout à son aise contre le Conseil économique et social « qui a publié l’an dernier un rapport recommandant la création d’une invraisemblable usine à gaz étatique pour résoudre les problèmes de la presse d’information générale par la promotion du pluralisme. »
Avec plus d’un an de retard, la revue Médias a donc lu le rapport intitulé « Garantir le pluralisme et l’indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir » (et que l’on peut télécharger sur le site du Conseil économique et social, au format .pdf.).
Ce monstre d’étatisme (Médias dixit), rédigé par Michel Muller et assorti d’un avis du Conseil économique et social, a été adopté le 6 juillet 2005. 262 pages que Médias résume ainsi : « Il faut d’abord et naturellement une nouvelle loi sur la presse. Comme s’il n’y en avait pas déjà trop ! Il faut ensuite mettre en place une nouvelle « Haute Autorité » de régulation de la presse qui coordonnera les actions publiques et privées en faveur du pluralisme et de la création de nouveaux titres. » Le lecteur de Médias n’en saura pas plus. L’éditorialiste a déjà traduit : « Autrement dit, le contribuable doit payer pour que paraissent des journaux que trop peu de gens ont envie de lire. »
Une aide publique ? Pas question, puisque le pluralisme se porte bien : « [...] il faut reconnaître que la presse française d’information générale, écrite aussi bien qu’audiovisuelle, malgré ses travers et ses insuffisances, produit dans son ensemble une information raisonnablement pluraliste. » Comme chacun a pu le vérifier lors du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen ou à l occasion des mobilisations sociales contre les réformes ». Comme chacun peut s’en convaincre en suivant la précampagne pour les élections de 2007...
Les raisons de ce miracle ? D’abord le professionnalisme des journalistes (et particulièrement, sans doute, des sommités de la profession auxquelles Médias attribue ses « Unes » avec complaisance) et la neutralité des propriétaires : « Le professionnalisme des journalistes des principaux médias d’information générale, quels qu’en soient les propriétaires, assure habituellement à leurs usagers une honnête variété de points de vue sur les événements de France et du monde. » Ensuite, les merveilles de la technologie (qui permettent de confondre le pluralisme de l’information et celui des idées, quelle que soit leur diffusion) : « Avec les nouvelles technologies de l’information, le pluralisme des idées, bonnes ou mauvaises, est moins en péril que jamais. L’interactivité des journaux en ligne, les forums de discussion, les blogs, permettent à tous ceux qui croient avoir quelque chose à dire à leurs contemporains de devenir leurs propres éditeurs. »
« Tout va bien parce que ça pourrait être pire », concluait en substance le rapport Lancelot (nous aussi, nous savons résumer...). La revue Médias surenchérit : « Tout va bien puisque tout va mieux ». Comme en témoigne, entre autres, la crise que traverse Libération.
Le Docteur Diafoirus invente donc un diagnostic que personne ne propose pour déclarer superbement que cette maladie n’existe pas : « Si la presse quotidienne d’information est en déclin, ce n’est donc pas par défaut de pluralisme. » Personne n’ayant prétendu le contraire, sous une forme aussi simpliste, la question du pluralisme elle-même est réglée ...
... Et les causes du déclin de la presse peuvent être dûment établies : « C’est parce que les Français ne sont pas suffisamment attirés par l’information et les journaux qui la leur proposent. Un peu d’info radio entre deux chansons, un peu de « 20 heures » télé entre deux sitcoms, ça leur suffit. Ils lisent beaucoup de « canards » pourtant. Ils font exploser les chiffres de la presse de divertissement, des hebdos de télé, des magazines people et des sous-produits imprimés de la télé-irréalité. Ceux-là n’ont pas besoin de l’aide de l’Etat pour pluraliser leurs titres. » Au nom de la diversité, cette généralité dénuée de sens : « les Français ne sont pas suffisamment attirés par l’information ». Passons... Mais une telle affirmation, si elle était vérifiée, devrait logiquement inciter à s’interroger sur les motifs de ce prétendu désintérêt. Si la question n’est pas posée, c’est que la réponse implicite, pour Médias, est évidente : les Français préfèrent se divertir avec des « sous-produits »...
La marchandisation à tout crin de toutes les formes d’information et de divertissement ? Une demande des Français que seul le marché révèle et que seul le marché peut satisfaire. « Sacro-saint libéralisme »...
« Pourquoi le Conseil économique et social n’a-t-il pas pensé à une loi sur la lecture de la presse d’information ? Avec des sanctions pour ceux qui ne liront pas assez les quotidiens généralistes ! ». Ce sarcasme libéral est signé « Médias » qui proposerait sans doute de privatiser tous les biens publics... au nom des contribuables.