Revenant sur l’incendie criminel d’un bus à Marseille qui a causé une victime grièvement brûlée, Jean-Pierre Elkabbach fit office de porte-micro durant vingt minutes. Echantillon d’une interview pour le moins complaisante.
Un tapis rouge...
La première question donne le ton : « Est-ce que les policiers sont sur une ou des pistes concernant les auteurs de l’incendie du bus qui a brûlé si grièvement une jeune femme à Marseille ? ». Quant aux questions qui suivent, elles garnissent le discours sécuritaire de Nicolas Sarkozy : « Qui sont-ils ? », « C’est une bande ? », « Ce sont des mineurs ? ».
Puis les questions d’Elkabbach deviennent des éditoriaux. En répondant par avance, il prépare même les réponses de Sarkozy : « Mais pourquoi à votre avis ils agissent de cette manière ? Est-ce que c’est organisé ? On dit que maintenant les jeunes agissent de 12 à 14 ans, et ça a été le cas à Marseille. Cagoulés, qu’ils montent des guets-apens, en commando. Est-ce qu’ils sont organisés ? Est-ce que vous arrivez à savoir avec les policiers pourquoi et s’ils sont vraiment des groupes organisés ? » Six phrases pour une question. Merci. Le « on dit que » est la preuve d’un grand sens journalistique... Et quand Sarkozy s’insurge, « il faut en finir avec l’excuse permanente. (...) Rien, je dis bien rien, ne saurait justifier un acte barbare ! », Elkabbach - certainement en train de hocher la tête - l’accompagne à plusieurs reprises d’un « évidemment » complice.
Attentionné, le patron d’Europe 1 se fait alors l’avocat d’un Sarkozy vilipendé de toutes parts, en faisant mine de s’inquiéter des raisons de telles attaques : « [Francois Hollande] dit que votre responsabilité est engagée parce que vous avez enlevé des policiers, vous avez cassé la police de proximité. (...) Et vous êtes la cible, au-delà de la campagne électorale, mais c’est vrai que vous avez reçu tous les coups, de tous les leaders de gauche. Est-ce qu’il y a des raisons ? Pas des raisons ? » Plutôt que de poser directement le problème de la « police de proximité », Elkabbach le fait endosser au seul François Hollande : ce qui permet à Sarkozy d’esquiver la question en polémiquant contre le premier secrétaire du Parti Socialiste et d’enchaîner sur un monologue de 2 minutes. Elkabbach tente alors poliment de l’interrompre : « on va essayer de répondre à des questions précises ». Mal lui en prend. Sarkozy le coupe : « Attendez, je veux répondre ! » Elkabbach, déférent, acquiesce : « oui ».
... pour un duo efficace
Quelques temps plus tard, Elkabbach, bienveillant, s’inquiète des états d’âme de son alter ego qu’il trouve tendu car il est (bis) « attaqué de tous les côtés ». Celui-ci sourit (cela s’entend...) et le rassure : « je ne suis pas plus tendu que vous, et chacun connaît le caractère apaisé de votre tempérament, et donc quand on vient chez vous et à votre micro on est forcement décontracté. »
Dans cette entrevue d’une rare complaisance, l’intervieweur reprend souvent les derniers mots de l’interviewé, histoire d’accompagner les propos. Ainsi quand Sarkozy inspire : « Je crois qu’il ne faut pas donner de publicité à des actes inadmissibles, il faut donner la publicité aux victimes », Jean-Pierre Elkabbach expire : « raconter, sans faire la publicité ». Le tandem est efficace. A propos des déclarations des dirigeants du Parti Socialiste, Sarkozy s’émeut : « si dans les jours qui viennent on pouvait arrêter ceux qui ont fait ça, à cette petite jeune fille, et bien pour moi, elles pèseraient de peu de poids, les déclarations des dirigeants socialistes ». Après un long « hmmm » approbateur l’écho reprend : « Et surtout si ça pouvait ne pas recommencer, ce serait encore mieux ».
Une telle obligeance se devait d’être saluée, d’ailleurs Sarkozy n’y manqua pas : « Merci de m’avoir invité, et merci pour la définition de l’exemplarité [1] monsieur Elkabbach, je m’en souviendrai. » Nous aussi, monsieur Elkabbach.
Mathias Reymond (d’après la transcription de Jean-Charles Dughetti)